Je suis à Séville, capitale andalouse, où je vais donc démarrer ma nouvelle aventure sur la Via de la Plata. Mais c'est bien à Paris que mon voyage a vraiment commencé, tôt ce matin. Avenue de Versailles, a côté de chez mon ami Marc, je commence à trouver le temps long quand un taxi décide enfin à s'arrêter. Je m'apprête à lui indiquer ma direction par la fenêtre mais il me fait signe de monter direct." Je suis un pro, je vais partout sans rechigner..." m'explique t il. Bon, Orly de bon matin n'est de toutes façons pas une mauvaise course et comme il est disert nous engageons gaiement la conversation. Mon chauffeur est français, algérien et kabyle, tout à la fois, et sympathique. On parle de la France, de l'Algérie qui d'après lui ne va pas si mal, de la crise qu'on ne sent pas tant que ça à Paris, des mariages berbères et de pleins d'autres choses. Du coup le trajet se passe agréablement et j'ai l'impression d'être bien parti, déjà dans une ambiance de rencontres cosmopolites.
Quelques heures plus tard, me voici à Séville. Le ciel est presque bleu, la température encore douce. Dans le bus, j'écoute les conversations qui m'entourent. Deux jeunes filles françaises parlent d'un jeu sur leur téléphone où des monstres doivent dévorer les passants. Ici, ça a l'air plus paisible. Notre bus stoppe sa course aux portes de la vieille ville.
Après avoir pris une chambre d'hôtels, plutôt confortable (après tout la suite sera sans doute un peu plus spartiate) , déposé mes affaires et manger un morceau dans un restaurant du coin, je me rue à la découverte des rues de la cité.
J'ai toujours une immense soif de marcher dans une ville inconnue, à la rencontres de ses rues, de ses beautés et de ses cafés. Je me promène ainsi pratiquement au hasard, à travers le centre historique. Bon, Séville ne m'est pas vraiment inconnue car je l'ai déjà visité avec mes parents il y a quelques années déjà. ..Je retrouve des images enfouis dans ma mémoire, bien sûr les ruelles aux façades colorés, la cathédrale, l'ambiance générale, jusqu'aux petits pénitents dans les vitrines des confiseries que j'ai toujours trouvé plutôt mignons alors que leurs modèles sont quand même un peu inquiétants. Question d'échelle sans doute. Des souvenirs remontent ainsi. Je me souviens d'un footing avec mon frère, nous étions passés devant la cathédrale et comme on courait assez vite les gens nous criaient "Indurain" , c'était la référence sportive içi à l'époque, les marathoniens espagnols n'étant alors pas encore totalement au sommet de leur renommée.
Je marche assez longtemps, goûtant cette promenade sans contrainte. Mais par rapport aux 1000 kilomètres qui m'attendent, je suis encore en rodage: mon pas reste celui d'un flâneur, j'en prends le droit, j'aurai de quoi allonger la foulée ensuite. Je n évalue d'ailleurs pas ma forme de façon sûre: j'avais retrouvé un peu d'allant grâce à ma période de repos à Poitiers, mais je n'ai pratiquement plus couru, ou si peu, ces quinze derniers jours. Je verrai bien comment mes jambes et mon corps répondent aux sollicitations, mais je ne suis pas trop inquiet. En descendant les escaliers de l'hôtel, où sont disposés de grands miroirs, je me suis fait la réflexion qu'il y a deux ans lorsque je partais déjà vers Saint-Jacques, mes cheveux et ma barbe étaient bien moins grisonnant. Est ce la trace de toute l'énergie que je mets dans toutes ces courses et ses projets, ou les tourments d'une âme trop sensible qui a pris quelques coups depuis? Je ne sais pas. Je vieillis donc un peu, mais ça n'entamera pas mon enthousiasme et ma détermination à vivre au plus près de mes aspirations, en tous cas dans ces si beaux moments où je suis sur les grands chemins.
Ma marche touristique est bien agréable. La ville est belle, recèle de ruelles pittoresques, de patio fleuris et d'églises, bien sûr. Ici aussi, la crise me semble finalement relative; c'est peut-être un écrin touristique mais les gens ont l'air heureux, dans l'ensemble. Les terrasses sont pleines de tablée réunies autour d'un verre de blanc, les boutiques, qui alternent entre grandes enseignes internationales et magasins locaux aux belles façades, sont bien garnies, les rues sont bien tenues et propres. Les jolies filles sont coquettes et bien habillées, comme presque partout quand on est pas dans la misère.
Une ville européenne donc, même si la tour de la cathédrale, l'architecture et les jardins me rappellent aussi, bien entendu, Marrakech. Je n'avais pas encore voyagé en Afrique du Nord lorsque j'étais venu ici la première fois, mais la similitude et l'héritage arabe me frappe vraiment maintenant. Et ce n'est pas désagréable non plus d'y retrouver cet air de famille là! Après avoir dîner de quelques tapas arrosés d'un verre de vin blanc, ou deux, entouré d'affiches de feria et de têtes de toros, dans un restaurant typique et pas mauvais, au milieu de mangeurs français et espagnols, je fais encore un petit tour pour admirer la ville de nuit.
Demain, je vais m'accorder encore une journée de mise en route. Une petite acclimatation pour profiter encore de Séville avant de me plonger dans le chemin.