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"L'Aquarium" de Cornélia de Preux

Publié le 27 mars 2014 par Francisrichard @francisrichard

Alcide-Hyacinthe du Bois de Beauchesne distinguait l'orgueil de la vanité en ces termes:

"L'orgueil se contente de son propre suffrage, la vanité a besoin du suffrage des autres."

L'Aquarium, le roman de Cornélia de Preux est l'illustration de ce à quoi peut mener la vanité d'un homme, qui veut en jeter plein la vue à ses voisins, alors qu'il n'a pas un sou vaillant. Ce qui va le conduire à mettre un projet délirant à exécution pour ne pas perdre la face.

La famille Fergus se compose de cinq membres: la mère, Tatiana, 37 ans, le père, Constantin, 42 ans, et leurs trois enfants, Kevin, 14 ans, Violette, 13 ans, et Vladimir, 6 ans et demi.

Les Fergus sont à sec. Ils ont certes acheté une maison mitoyenne dans un lotissement qui en comporte sept, mais ils sont perclus de dettes. Comme Constantin ne gagne pas suffisamment pour y faire face, Tatiana essaie en vain de se réinsérer dans le monde professionnel et, en attendant d'y parvenir, fait de l'intérim. Il faut bien payer les hypothèques.

Kevin ne se laisse pas mener facilement et serait volontiers rebelle. Violette aime le shopping et la position horizontale - c'est une grosse dormeuse. Vladimir bégaie et est encore petit garçon; il serait plutôt soumis.

Chaque année, depuis trois ans, le jour du dimanche des Rameaux, les Fergus participent à un pique-nique canadien avec leurs voisins des six autres maisons. Cette année-là deux familles sont absentes, les Lamproie et les Hotu, mais il y a les Rotengle, les Achigan, les Von Zingel et les Fario. Et il fait beau et chaud pour ce rassemblement sur l'asphalte.

A un moment donné la conversation tourne sur le sujet des vacances et Constantin déclare tout de go que lui et les siens iront cet été aux îles Fidji. Ce qui déclenche la jalousie des autres, qui disent qu'ils ont une chance magnifique,... et la stupéfaction de sa femme, Tatiana, qui tombe des nues.

Comment ne pas perdre la face, après avoir fait une telle sortie, quand on n'a pas le sou? Constantin joue bien encore à la loterie pendant les quelques semaines qui précèdent leur départ, mais il ne décroche pas de lot, ni gros ni petit.

Constantin imagine donc de faire croire aux autres, avec un luxe de détails qui sonnent juste, qu'ils partent bien du 14 au 27 juillet par un vol de la compagnie Next Dream et qu'ils séjourneront là-bas à l'Eden oublié. Alors qu'en réalité ils vont passer les deux semaines de leurs vacances dans le sous-sol de leur maison, un abri anti-atomique, dont les autres maisons du lotissement sont dépourvues.

Jusqu'au dernier moment, seule Tatiana est au courant de cette imposture, mais elle n'a pas le cran de s'y opposer. Aussi, quand leurs enfants apprennent que leur voyage, dont ils rêvent depuis des semaines, sera immobile, dans un espace confiné, fût-il bien aménagé par leur père, regimbent-ils avant de se soumettre...en maugréant.

Les choses ne se déroulent donc pas vraiment comme prévu par Constantin, qui a pourtant élaboré tout un programme pour que ces vacances se passent on ne peut mieux, que son petit monde se distraie et soit capable de les raconter avec la précision qui convient à un tel voyage dans des îles lointaines.

Dans ce huis-clos l'ambiance est souvent  bien lourde. Mais Constantin ne veut décidément pas perdre la face devant ses voisins et il persiste dans son fol projet, quelles qu'en soient les conséquences. En sont les témoins muets les poissons de l'aquarium familial...

Cornélia de Preux sait très bien restituer cette ambiance et les tensions qui s'exercent entre les protagonistes et qui font ressortir leurs caractères si différents. En poussant le plan de Constantin jusqu'au bout de sa cohérence, elle met en garde contre les extrêmités auxquelles peuvent mener la vanité et les mensonges qui l'entretiennent.

Et puis, comme dans la vraie vie, il peut toujours se trouver un grain de sable qui grippe la machine la mieux huilée. On ne peut jamais tout prévoir...

Francis Richard

L'Aquarium, Cornélia de Preux, 152 pages, Plaisir de lire


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