Avec autant de communes dont on renouvelle le conseil municipal, il y a
toutes les situations possibles et imaginables. L’une d’elle s’est répétée pour dix-neuf d’entre elles : la liste du FN a pris la première place au premier tour et serait bien placée pour
l’emporter au second. Les réactions du PS et de l’UMP sont très différentes à cette nouvelle situation qui montre que les électeurs, dans leur majorité, pensent que le FN est devenu un parti
comme les autres.
Le premier tour des élections municipales du 23 mars 2014 a été un véritable coup de semonce pour le Parti socialiste et le pouvoir en place. Il est peu probable que le second tour infirme cette
tendance, d’autant plus que la publication des dernières statistiques sur le chômage le 26 mars 2014 a confirmé la situation désastreuse de l’emploi qui empire plus que jamais (31 500
demandeurs de plus en février par rapport à janvier 2014 : la courbe a dû inverser l’inversion).
Un enjeu national pour les électeurs
Comme prévu, même si les spécificités locales doivent être
prises en compte (un bon maire est relativement récompensé par ses électeurs, un maire clientéliste également), les tendances sont avant tout nationales : forte abstention chez les électeurs
socialistes, et très forte mobilisation des électeurs du FN. Ces deux éléments ne sont pas corrélés mais renforcent l’effondrement du PS.
La preuve, c’est que le
FN se retrouve parfois largement en tête dans certaines communes, dépassant le PS mais aussi l’UMP. Parfois, ce sont des listes de la gauche plus radicale, écologiste ou opposées au PS qui
ont fait de beaux scores, comme à Grenoble mais aussi à Paris, même à Nantes ou à Lille. Ce sont des bastions socialistes qui sont mis en difficulté : Niort ("tombée" dès le premier tour
avec la grande victoire d’un radical), Grenoble (l’absence d’accord entre les deux listes de gauche va probablement faire gagner les écologistes), et même Lille où Martine Aubry a quelques difficultés à maintenir son autorité.
Le FN présent partout, et surtout dans le Nord-Pas-de-Calais et le quart Sud-Est
L’un des enseignements, c’est que le FN n’est plus le parti d’avant 2011. Il est devenu, dans l’esprit des
électeurs, un parti comme les autres, à combattre ou à soutenir, mais pas différent des autres. Dans les 585 villes de plus de 1 000 habitants (seuil à partir duquel l’élection se fait par listes bloquées sans panachage) où le FN a présenté des listes, une liste FN a gagné dès le premier tour (Hénin-Beaumont), et
323 listes FN se sont qualifiées pour le second tour (ont donc obtenu plus de 10%) avec une moyenne générale de près de 15% des suffrages (soit moins que le score de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2012).
Les listes du FN ont obtenu, dans 110 villes, plus de 20% des voix (dans 22 villes, plus de 30%) et parfois,
pour 19 d’entre elles, se sont hissées à la première place de l’offre municipale : Angles (20,8%), Armentières (20,6%), Aubagne (20,6%), Aurec-sur-Loire (27,2%), Avignon (29,6%),
Bagnols-sur-Cèze (24,4%), Barr (20,7%), Beaucaire (32,9%), Billy-Montigny (26,9%), Boulogne-sur-Mer (21,6%), Brignoles (37,1%), Bruay-la-Buissière (36,8%), Béziers (44,9%), Carcassonne (21,9%), Carmaux (22,9%), Carpentras (34,4%), Carros (21,5%),
Carvin (35,2%), Cavaillon (35,7%), Chaumes-en-Brie (23,4%), Chauny (20,2%),
Châlons-en-Champagne (20,5%), Cluses (31,4%), Cogolin (39,0%), Corbas (25,0%), Cuers
(23,0%), Digne-les-Bains (27,7%), Dourges (20,7%), Draguignan (22,7%), Dunkerque (22,6%), Échirolles (20,9%), Ensisheim (26,7%), Étréchy (22,3%), Forbach (35,8%), Frontignan (29,7%), Fréjus (40,3%), Gignac-la-Nerthe (20,3%), Givors (20,8%),
Grasse (21,1%), Graulhet (28,6%), Harnes (20,1%), Hayange (30,4%), Istres (29,1%), L’Hôpital (24,0%), La Ciotat (23,8%), La Seyne-sur-Mer
(26,3%), Le Luc (36,9%), Le Muy (27,6%), Le Passage (20,6%), Le Pontet (34,7%), Le
Teil (21,9%), Le Val (20,8%), Lens (20,0%), Les Andelys (28,2%), Lunel (24,5%), Lézignan-Corbières (25,4%), Mainvilliers (22,2%), Mantes-la-Jolie (21,7%), Marseille (les quatre derniers secteurs respectivement 25,6%, 25,9%, 32,9% et 27,6%), Maubeuge (20,6%), Mauguio (20,5%), Menton (22,4%), Mer (22,1%), Metz
(21,3%), Meulan (20,1%), Milhaud (23,5%), Monteux (25,0%), Montigny-en-Gohelle (28,9%), Mouy (24,9%), Mulhouse (21,9%), Mèze (21,6%), Neuville-en-Ferrain (21,5%), Nogent-sur-Seine (20,0%), Noyon
(28,3%), Nîmes (21,7%), Oraison (27,2%), Outreau (25,5%), Perpignan (34,2%), Pierrelatte (21,9%), Pont-Sainte-Maxence (28,3%),
Pontault-Combault (25,2%), Pégomas (24,9%), Rambervillers (21,5%), Saint-Germain-lès-Arpajon (20,0%), Saint-Gilles (42,6%),
Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (21,0%), Saint-Priest (22,0%), Saint-Sulpice (20,0%), Savigneux (20,6%), Sin-le-Noble (23,7%), Six-Fours-les-Plages (29,5%), Soissons (22,1%), Tarascon (39,2%), Tonneins (23,6%), Trèbes (22,1%), Unieux (24,7%), Vallauris (21,0%), Valréas
(36,1%), Vauvert (32,6%), Vedène (32,7%), Vierzon (20,5%), Villeneuve-Saint-Georges
(26,1%), Villeneuve-sur-Lot (26,0%), Villers-Cotterêts (32,0%), Vitrolles (24,4%),
Vitry-le-François (23,7%) et Viviers (22,2%).
Ces scores très élevés sont parfois réalisés par des têtes de liste complètement inconnues dans la commune
(comme à Avignon), ce qui renforce l’hypothèse d’une motivation des électeurs sur les seuls enjeux nationaux. Remarquons par ailleurs que dans la ville où le FN a démarré son aventure électorale en septembre 1983, à Dreux, le FN n’a recueilli que 13,5%.
Comment réagir face à cette situation électorale ?
La question se pose alors pour les autres partis de savoir que faire lorsque la liste du Front national est
arrivée en première position et susceptible de l’emporter au second tour, plutôt à la majorité relative qu’à la majorité absolue, grâce à la présence de trois listes ou plus.
Le choix du PS a été assez clair : désistement des listes PS arrivées en troisième position (sauf pour
celle de Patrick Mennucci dans un secteur de Marseille, nécessairement s’il veut continuer à concourir pour la mairie) et soutien implicite à la liste UMP (arrivée en deuxième position). C’est la
stratégie du "front républicain".
Le choix de l’UMP a été aussi très clair, et curieusement, dès la soirée du premier tour, n’a pas donné lieu
à des discussions entre ses responsables (peut-être que la ligne Buisson est définitivement écartée). Elle est celle-ci : aucun accord entre
UMP et FN, aucun soutien au FN, mais pas de désistement quand la liste UMP arrive en troisième position derrière celle du FN et du PS. C’est la stratégie du "ni ni" (ni PS, ni FN). En fait,
concrètement, quand aucune liste UMP, centriste ou divers droite n’est présente au second tour, l’UMP a choisi de faire barrage au FN, ce qui, implicitement, signifie le soutien à la liste de
gauche.
Ces lignes sont donc très différentes et malgré quelques accrocs à gauche (en particulier à Béziers), elles
ont été respectées. Le plus étonnant, sans doute, est le respect de la ligne UMP par tous les protagonistes des 323 communes où le FN est encore en lice. Les digues ont tenu. Cela dément toutes
les supputations dont le PS accuse régulièrement l’UMP.
Seules deux communes ont réalisé la fusion entre une liste soutenue par l’UMP et une liste FN arrivée après
elle, Villeneuve-Saint-Georges (pour faire barrage à la maire communiste sortante), et L’Hôpital (en Moselle), mais dans ces deux cas, il ne s’agit pas de listes UMP mais seulement divers droite
qui ont par conséquent perdu le soutien de l’UMP pour le second tour.
Le FN, un parti "différent" ?
Le PS et l’UMP se rejoignent en considérant le FN comme un adversaire. Mais l’UMP le considère comme un parti
adversaire au même titre que les autres partis qui ne font pas partie d’une alliance avec elle. Alors que le PS a gardé une notion morale
différente, mettant le FN sur un autre plan que ses autres partis adversaires.
Pourtant, il y a une véritable schizophrénie au PS de considérer le FN comme un parti qui ne mériterait pas
d’avoir des élus mais de le laisser agir normalement comme un autre parti. Au pouvoir depuis deux ans, et après dix-sept ans d’exercice du pouvoir depuis 1981, le PS avait mille possibilités de
dissoudre le FN s’il le considérait comme n’étant pas un parti comme les autres (professant la haine des étrangers par exemple). Mais il ne l’a pas fait. Il est maintenant prouvé que
François Mitterrand, au contraire, cherchait à encourager le développement médiatique et électoral du FN à
partir de début 1984 pour rendre plus difficile le retour au pouvoir du centre droit.
Mais la réalité électorale est pourtant sans complaisance : elle montre que le PS est bien plus victime
du FN que l’UMP ne l’est. Deux preuves : le 21 avril 2002 où Lionel Jospin est évincé du second tour au profit de Jean-Marie Le Pen, et les différentes élections législatives partielles de 2013 et ces élections municipales de 2014 qui montrent que souvent, dans le jeu à trois, le FN est fort quand le PS est faible et que
le PS est souvent en troisième position derrière l’UMP et le FN (même à Marseille !).
Il est sûr qu’en cas de triangulaire, ne pas se désister risquerait de laisser la situation du premier tour
se reproduire au second, à savoir, lorsque le FN est en tête au premier tour, favoriser sa victoire au second tour. Mais c’est malgré tout mal comprendre le comportement des électeurs qui ne sont
pas forcément fidèles à leur vote d’un tour sur l’autre.
Se désister, c’est croire que les électeurs de la liste qui se désiste vont se reporter mécaniquement sur la
liste voulue, mais rien ne confirme cela. Le second tour des élections législatives du 17 juin 2012 montre au contraire que les électeurs ne sont pas du tout influencés par les consignes de vote
entre les deux tours. Heureusement d’ailleurs, chaque électeur est libre et n’appartient à aucun parti ni aucun candidat (sauf pour les encartés).
Inefficacité du front républicain
Je crois ainsi que le désistement est une stratégie complètement contreproductive. S’il s’agit de contrer le FN sur le terrain électoral, il ne faut pas réduire l’offre électorale.
1. D’une part, le désistement conforte l’argument massue anti-système qu’utilise à longueur de débats le FN, à avoir l’UMPS, l’UMP
égale le PS, tous ces partis se valent, et sont pourris. Pourtant, il est palpable qu’il y a de grandes différences entre l’UMP et le PS (et pas seulement sur le mariage gay), et que dire du FN qui, loin d’être antisystème, profite à fond du système ? Jusqu’à des rentes de situation depuis trente ans au sein d’une institution
européenne alors qu’ils sont contre le principe même de la construction européenne (imaginez De Gaulle
prendre sa retraite comme sénateur après 1969 !).
2. D’autre part, cela focalise nécessairement le débat sur pour ou contre le FN. C’est la seule chose qu’attend le FN, qu’on parle de
lui, qu’on le victimise, qu’on l’ostracise pour pouvoir ensuite dire qu’il est seul contre tous, et donc, qu’il serait le seul à proposer enfin la bonne solution. Qu’importe que les candidats du
FN (à quelques exceptions près) soient particulièrement incompétents et ignorants du mandat et de la collectivité où ils se portent candidats, l’intérêt, c’est de renforcer le maillage local du
FN.
3. L’idée d’adopter une stratégie plus morale que politique, si elle est louable sur le plan des idées, n’est pas du tout efficace sur
le plan des actes et ne fait que renforcer le FN. Cette stratégie a montré son échec depuis trente ans. Il ne s’agit pas de perdre son âme, il s’agit simplement de ne pas s’incliner devant le FN.
4. Surtout, elle sous-tend que les électeurs sont des entités instrumentalisables logiquement. C’est comme croire que l’échec de Lionel
Jospin en 2002 provient des candidatures de Christiane Taubira et Jean-Pierre Chevènement. Bien sûr, arithmétiquement, si l’on additionne les voix de Taubira et Chevènement avec celles de Jospin,
le résultat aurait dépassé celui de Jean-Marie Le Pen. Il est impossible de savoir ce qu’auraient fait les électeurs sans ces candidatures secondaires, mais il est probable que si des électeurs
(plutôt de gauche, donc susceptible de voter pour Jospin) n’avaient pas voté Jospin, quelle que soit l’offre politique, ils n’auraient pas voté pour Jospin dans une configuration différente. En
cas d’absence d’autres candidatures (de gauche), il serait fort probable que ces électeurs-là, parce que déçus par le gouvernement Jospin, auraient voté blanc ou se seraient abstenus, mais
n’auraient certainement pas voté pour Lionel Jospin (l’absence d’offre électorale n’aurait pas réduit la cause de la colère contre Lionel Jospin).
5. En 2014, la situation est la même : la présence d’une liste PS ne signifierait pas que l’électeur du PS qui considérerait que
rejeter le FN est plus important que voter pour le PS ne ferait pas un choix différent pour atteindre son but. Mais en toute liberté, car il y a bien évidemment d’autres électeurs qui ne
voudraient pas tomber dans le calcul et qui voudraient seulement voter selon leur opinion politique.
6. D’ailleurs, rien ne prouve que le retrait d’une liste PS (mal placée) irait nécessairement bénéficier à la liste UMP. Le désistement
pourrait au contraire bénéficier à la liste FN (ce genre de cas s’est produit aux législatives de juin 2012). Pourquoi ? Parce que, qu’on le veuille ou pas, les électeurs, dans leur grande
majorité, considèrent le FN comme un parti ordinaire, un parti comme les autres. Cela s’est aperçu aux cantonales de mars 2011 où les candidats FN maintenus au second tour ont réussi à doubler
leur score entre les deux tours, rassemblant des électeurs très éloignés d’eux. Les législatives partielles de 2013 ont également montré ce phénomène à chaque occasion. À la tête du FN depuis
début 2011, Marine Le Pen a réussi à "dédiaboliser" son parti qui n’a pourtant rien changé de son idéologie et de ses vieilles lunes. L’emballage est juste plus respectable. Plus acceptable.
7. Enfin, le désistement d’une liste arrivée en troisième position, dans une triangulaire où le FN est arrivé premier, pour favoriser
la deuxième liste n’a aucun sens dans la durée. En effet, en se désistant, non seulement elle empêche ses électeurs de se prononcer selon leur opinion, mais surtout, elle n’aura aucun élu
d’opposition dans la commune pendant six ans, laissant aux seuls élus du FN le monopole de l’opposition et de l’information des affaires municipales, lui donnant un atout supplémentaire pour
gagner à l’élection suivante.
Le FN suffisamment fort pour gagner au scrutin majoritaire ?
Pour toutes ses raisons, et la principale, c’est que les électeurs ont définitivement fini de croire que le
FN est un parti différent (même s’il l’est dans son idéologie), la stratégie du "front républicain" est vouée à l’échec. Pire, elle renforce encore un peu plus la progression électorale du FN qui
sera peut-être en position, en juin 2017, de bénéficier du redoutable effet levier du scrutin majoritaire : désormais, dans une circonscription électorale, un candidat du FN est capable de
rassembler la majorité absolue des suffrages exprimés. Cela vient d’être prouvé à Hénin-Beaumont le 23 mars 2014, et peut-être que dimanche prochain, d’autres exemples viendront le compléter.
C’est pour cela que, dans les conditions de 2014, je trouve la ligne adoptée par l’UMP comme sage :
aucune compromission avec le FN, aucune alliance, aucune fusion (même si l’envie ne manque pas pour certains), mais aucun désistement pour aider un PS discrédité. Laisser aux électeurs leur
liberté de choisir leur liste comme le veut la loi électorale (seuil de 10% au premier tour), quitte à se responsabiliser s’ils pensent qu’une liste a plus de chance qu’une autre d’éviter …une
troisième.
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (27 mars 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Premier tour des élections municipales du 23 mars 2014.
Enjeux des élections municipales de 2014.
Scrutins locaux : ce qui va changer.
Front républicain ?
La ligne buisson écartée définitivement ?
Syndrome bleu marine.
Le FN et son idéologie.
Les élections législatives partielles de 2013.
Historique de cette réforme des scrutins locaux.
Texte intégral de la loi votée définitivement le 17 avril
2013.
Analyse du scrutin
du 17 avril 2013 : qui a voté quoi ?
Les dernières régionales (2010).
L’occasion perdue des Alsaciens.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/se-desister-au-second-tour-149928