Magazine Culture
Le premier chapitre plonge le lecteur dans l'horreur des tranchées à la fin de la première Guerre Mondiale. Pierre Le Maître réalise le tour de force de camper en peu de mots l'ambiance du front. Il découvre les deux personnages principaux du roman aux prises avec l'enfer de la guerre, quelques jours avant l'amnistie. Il aurait réécrit 22 fois ce chapitre.
Alors que les poilus aspirent à l'arrêt des combats, un officier, le troisième personnage important du roman, le capitaine Pradel envoie deux éclaireurs s'exposer sur la ligne du front. En les tuant de dos, il trouve le prétexte pour lancer ses troupes dans un nouvel assaut. Albert faillit mourir étouffé dans un nouvel assaut. Edouard le sauve, mais un éclat d'obus fait de lui une gueule cassée. Les autres chapitres, pour ceux qui l'ignorent, évoquent la grande misère de beaucoup de survivants de la guerre 14-18. Pour échapper à cette misère, Edouard et Albert montent une escroquerie aussi spectaculaire qu'amorale. Ils enverront à toutes les communes pleurant leurs défunts, des croquis de monuments aux morts et réclament des paiements à la commande. Avec la fortune accumulée, ils comptent s'enfuir à l'étranger, sans songer à une quelconque réalisation des dits monuments. Le roman a comblé un certain nombre d'ignorances de ma part : le trafic sur les cercueils, l'absence de pensions de guerre et de travail pour un certain nombre de poilus ; le fait que les monuments aux morts aient été financés par la collecte auprès des populations.
Nos antihéros sont dotés d'une personnalité originale, voire surprenante. Quoique la peur animale qui dévore Albert devait être assez courante, après les traumatismes subis. Mais je n'ai pas compris pourquoi Edouard a refusé que des chirurgiens lui construisent d'un nouveau visage, puisque le sien avait été pulvérisé, malgré tous leurs efforts pour le convaincre. Le fonctionnaire Joseph Merlin doit beaucoup au Personnage Cripure de Louis Guilloux.
L'escroquerie audacieuse mise au point leur permet de prendre une revanche d'un cynisme absolu. Cette revanche défie la société, ses valeurs, l'Etat, la morale patriotique. Le roman se distingue par une construction remarquable, qui aboutira à la fin du roman aux retrouvailles d'Edouard et son père. L'usurpation d'identité entraînera nos deux personnages dans les développements déjà évoqués. Beaucoup de détails sont criants de vérité : Albert manque d'être fusillé pour haute trahison : le capitaine Pradel le menace de le traduire devant le tribunal militaire parce qu'il aurait cherché à se protéger en se réfugiant dans un trou d'obus.
Ce récit est fidèle aux structures du roman policier. On a un détective, des victimes, un criminel. Le criminel doit tuer pour des raisons personnelles l'amour y est absent comme le fantastique, le coupable occupe une bonne place sociale. Ni de description, ni d'analyse psychologique, l'auteur est un observateur indépendant. Il a su éviter les situations banales, le crime est puni et la justice triomphe. On a deux cours de justice : Madeleine Péricourt et celle de son père. Il dira au ministère de la guerre qui voudra sauver de la prison le capitaine Pradel, « n'en faîtes rien ». Madeleine dira froidement à son mari, le même, qu'elle le laissera aux prises avec la justice et le déshonneur car elle ne l'aime plus.
Pierre Le Maître a écrit plusieurs romans policiers. J'en lirai quelques uns, assurée d'y trouver le même plaisir de lecture qu'avec « Au revoir là haut ».