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Ce dernier roman de Sylvie Germain m'avait été décrit comme très sombre, très triste, bref, très déprimant. Ce n'est pas entièrement faux. Les personnages qui entourent Lili-Barbara s'éteignent, brutalement ou après de longues années. Est-ce un destin contraire qui s'acharne ou simplement la vie qui est ainsi ?
Ce roman, c'est l'histoire d'une vie, celle de Lili-Barbara. Une fillette discrète voire effacée, une jeune femme passive et sans ambition, toujours en recherche d'elle-même, une adulte finalement sereine. Mais pour cela, que de drames, que de vexations, que d'interrogations. La vie de Lili s'expose pendant de courts chapitres, ces fameuses quarante-neuf scènes capitales qui la construisent et écrivent son histoire. Il y a son enfance lumineuse, transformée par le remariage de son père puis par des décès. Il y a les histoires des autres, celles de cette nouvelle famille qui accompagne sa belle-mère, aux quatre enfants bien différents. Il y a des sensations, des images, des moments anecdotiques. Tous composent l'aventure, somme toute banale, d'une femme née en France après la Seconde Guerre mondiale.
Ce roman d'apprentissage, ciselé par une plume toujours élégante et précise, à la limite du lyrique, pose des questions existentielles, universelles mais profondément liées à l'intime et à l'histoire personnelle : "Qui suis-je ? D'où suis-je issu ? Où vais-je ?" et l'éternel "pourquoi ?" des injustices, du destin et de la chance. Notons également le très beau moment de la prise de conscience de soi par Lili, cette cassure qui se fait entre elle et le monde, cette naissance du "ego". Sans donner de réponse définitive à toutes ces questions philosophiques, ce roman explore bien des pistes : vie religieuse, vie d'artiste, vie en communauté, vie familiale... une ribambelle de possibles avec ses satisfactions et ses échecs.
Petit extrait, on se promène dans les rues... "Les façades des immeubles, à la nuit tombée, ressemblaient à des pages de livres illustrés, dont les images étaient mouvantes. Des livres qui chuchotaient des bribes d'existences dont elle ignorait le début et la fin, dont elle ignorait tout en vérité, mais dont les personnages, aussi réduits à de succinctes et fugaces esquisses aient-ils été, vivaient bel et bien. Non des vies fantômes, mais des vies autres, indépendantes, qui, dans leur totale indifférence à son égard, n'en ébauchaient pas moins avec elle des liens de sympathie. Des liens fluides entre vivants qui partageaient un commun ici et maintenant, et qui, dans leur flottement, s'incurvaient en point d'interrogation. Tant de gens en train de vivre tout autour d'elle, si près, inaccessibles, tant de corps en mouvement, tant de gestes déployés, tant de paroles et de regards échangés, hors d'elle, tant de pensées. Tant de destins - peut-être médiocres pour la plupart, mais magnifiés par le soyeux et la clarté d'or fondu des cadres où ils se laissaient apercevoir".
Mon petit favori de Sylvie Germain reste toutefois Tobie des marais