François de Closets : « L’objectif unique de l’Etat est de maintenir la paix sociale »

Publié le 27 mars 2014 par Lecriducontribuable

Nous diffusons, en avant-première sur notre site, l’entretien que François de Closets nous a accordé pour notre numéro d’avril/mai «L’assistant ruine la France». Un numéro disponible dès maintenant en ligne, et sortie en kiosque le vendredi 28 mars. 

Près de 32 ans après la publication de « Toujours Plus », quel bilan dressez-vous du corporatisme à la française ?

Je ne relève pas de grand changement. Lorsque ce livre a été publié beaucoup n’ont  voulu y voir qu’une revue de détail des corporatismes alors que mon propos était de dénoncer ce système. Le livre expliquait notamment, qu’en France, l’Etat ne donne pas en fonction du niveau de détresse des citoyens mais selon le niveau de nuisance des corporations. Son objectif est uniquement de maintenir la paix sociale.

Plus de 30 ans plus tard, c’est toujours ce principe qui commande la politique, et les inégalités se sont creusées. Augmentations de salaire, réductions du temps de travail, avantages sociaux divers, savez-vous que c’est la condition des agents de l’EDF qui s’est le plus améliorée sous la houlette de l’Etat au cours de la dernière décennie alors que le niveau de vie du reste de la population continuait à se dégrader ?

Si l’Etat n’est pas venu en aide aux veuves qui survivent avec 500 euros par mois, ni aux jeunes sans emploi qui surnagent tant bien que mal, c’est tout simplement parce les agents EDF disposaient d’un pouvoir de nuisance supérieur à celui de ces déshérités.

Pourquoi l’assistanat tous azimuts est-il devenu une sorte de tradition française ?

Tout part de la perception du système social. Aux Etats-Unis, par exemple, la richesse est justifiante et c’est la pauvreté qui, le cas échéant, doit se justifier. En France, c’est l’inverse. Le riche est suspect tandis que le fait d’être pauvre, ou de donner l’impression de l’être, permet de mettre l’Etat en accusation. La société me doit quelque chose. Si je suis démuni, c’est elle qui est coupable et j’ai le droit de l’accuser, de réclamer son aide. Voilà l’esprit de notre bréviaire social.

Savez-vous que c’est la condition des agents de l’EDF qui s’est le plus améliorée sous la houlette de l’Etat au cours de la dernière décennie ?

L’assistanat est-il lié à une sorte de victimisation volontaire ?

En France, mieux vaut être en situation de victime. C’est un état valorisant. Il est préférable de faire pitié plutôt qu’envie. Il y a même une sorte de concurrence victimaire. Dans ce contexte, tout ce que l’Etat verse est considéré comme un dû par les récipiendaires. L’important n’est pas ce que l’on touche mais ce que l’on réclame, pas ce que l’on a, mais ce que l’on voudrait avoir. Il faut réclamer toujours plus, ce qui est acquis tombant dans le domaine de la normalité.

L’Etat est-il dans son rôle en pratiquant cette politique d’assistanat ?

Le problème est que l’Etat donne sans demander de contreparties et que la vérification, pourtant légitime, de ces contreparties serait perçue comme une insupportable menace. Par exemple, vérifier si l’état de santé des personnes justifie un arrêt maladie ou si des familles sont en droit de percevoir des allocations familiales alors que leurs enfants ne sont plus rattachés au foyer fiscal est considéré comme un crime de lèse-démocratie, une stigmatisation des victimes…

Comment en est-on arrivé là ?

Une des causes essentielles de cette situation tient au grand ratage social du XIXe siècle. Ce sont toujours les régimes dits progressistes qui ont réprimé dans le sang les grandes manifestations ouvrières. Conséquence, le corporatisme ouvrier s’est radicalisé.

Les socialistes sont les héritiers de cet état d’esprit. Ils se sont dissociés des communistes mais leur sur-moi est marxiste. Un socialiste, c’est un communiste honteux pour qui la concertation est ressentie comme une forme de trahison.

Faut-il réformer les conditions de l’assurance chômage ?

Voici 40 ans que des centaines de milliers de postes restent vacants dans un pays où le taux de chômage frôle les 11 %. Mais on ne saurait le reconnaître sans accuser les chômeurs d’être des fainéants.

Il a fallu que François Hollande soit acculé pour oser évoquer cette question. Mais comment  la résoudre sans remettre en cause la formation et s’appuyer sur l’apprentissage ? Résultat, on préfère créer des emplois sans avenir que de développer les compétences pour pourvoir les postes vacants !

La France rêve du système de « fléxisécurité » (définition Wikipédia : facilité de licenciement pour les entreprises et indemnités longues et importantes pour les salariés licenciés, NDLR) à la danoise qui assure pratiquement le plein emploi. On oublie de préciser que les Danois ont des exigences en rapport avec l’aide qu’ils apportent aux chômeurs. C’est au Danemark que les radiations sont les plus nombreuses !

Quelle sont les réformes qu’il vous semblerait urgent de mettre en œuvre ?

Toutes les réformes qu’il faut mettre en œuvre ont été décrites dans différents rapports, notamment ceux de la Cour des comptes.

Ces préconisations ne sont pas mises en œuvre pour des raisons politiques. Prenez la dernière réforme des retraites. C’est un faux semblant, un vulgaire trompe-l’œil. Bruxelles avait dressé la liste de ce qu’il fallait faire : désindexation des pensions, allongement de la durée de cotisation, suppression des régimes spéciaux… La France a fait tout le contraire ! Les politiques ont peur de conduire les vraies réformes.

Lorsque la France ne sera plus en mesure de payer ses fonctionnaires, ses retraités, qu’elle sera au bord de la faillite, il deviendra possible de mener les réformes en gouvernant par ordonnance.

Comment faire évoluer cet état d’esprit ?

Je pense que la situation ne pourra évoluer qu’à la suite d’un choc salutaire. Lorsque la France ne sera plus en mesure de payer ses fonctionnaires, ses retraités, qu’elle sera au bord de la faillite, il deviendra possible de mener ces réformes en gouvernant par ordonnance. Il faudra tout faire en même temps afin d’éviter les abcès de fixation corporatistes.

Vous semble-t-il nécessaire de réformer le système redistributif français ?

On ne pourra pas faire l’économie d’une remise à plat de ce système de redistribution. Malheureusement, la France n’est pas le pays le plus malade d’Europe mais celui qui a le plus de mal à se soigner. Cela ne peut pas durer éternellement.

Voici deux ans, j’ai pensé que l’intensification de la crise rendrait les changements incontournables. Mais, pour se tirer d’affaire, les banques centrales se sont mises à injecter des tombereaux de liquidités, en créant en quelque sorte de la fausse monnaie. Cette situation est explosive et cette fuite en avant mène à une impasse.

Faut-il craindre une crise des banques centrales ?

Les banques centrales ont remplacé la création de richesse par la création de monnaie. Elles gagnent du temps. Nous vivons dans un cycle de procrastination financière. Combien de temps durera-t-il ? Seul un devin pourrait le dire mais, je le répète, cette situation est explosive.

Il est très dangereux pour une société de mettre en place une sorte de terrorisme intellectuel qui interdit de se poser la question de l’accueil des étrangers sur son territoire.

La France accueille chaque année 200.000 migrants. Faut-il modifier les conditions des aides financières dont ils bénéficient ?

Il est très dangereux pour une société de mettre en place une sorte de terrorisme intellectuel qui interdit de se poser la question de l’accueil des étrangers sur son territoire.

Lorsque Michel Rocard a déclaré que la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde, cette remarque, pourtant justifiée, a suscité une vague d’émotion. Elle garde toute sa pertinence. Mais il faut en tirer la conclusion, c’est-à-dire définir la population qu’on accueille et celle qu’on n’accueille pas.

Il est de bon ton de dire aujourd’hui que l’économie française doit faire appel à une main-d’œuvre étrangère. J’avoue ne pas comprendre. S’agit-il d’une main-d’œuvre très qualifiée ? Deux questions. Pourquoi la France est-elle incapable de trouver ces compétences dans sa population ? De quel droit allons-nous prendre ce personnel qualifié à des sociétés plus pauvres ? S’il s’agit, au contraire, d’une main-d’œuvre sans qualification, comment se fait-il qu’il faille faire appel à l’étranger alors que la majorité des demandeurs d’emplois en France n’ont pas de qualification ?

Bref, je crois que l’appel à l’immigration n’est qu’une fuite devant nos problèmes de main-d’œuvre et de formation. Mais, à l’inverse, n’oublions pas que la France est une société de faible immigration et que les sociétés qui ont des taux d’immigration élevés ont aussi des taux de chômage bas et des salaires élevés.

Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à réduire sa dépense publique ?

Il faut d’abord savoir que lorsque l’Etat parle de réduire la dépense publique il s’engage simplement à ce que celle-ci augmente moins fortement d’un exercice budgétaire à l’autre.

Qu’il s’agisse des dépenses de l’Etat ou des dépenses sociales, voilà des années que la droite, par démagogie, et la gauche, par conviction, considèrent que la dépense publique doit augmenter d’une année sur l’autre, un peu comme le chiffre d’affaires d’un chef d’entreprise…

En outre, la gauche représente le secteur public et considère toute diminution de la dépense publique comme une amputation. N’oubliez pas non plus que l’argent public est, par nature, affecté à de nobles tâches, l’éducation, la santé, la culture… Il a donc une valeur morale, à la différence du fric, qui ne sert que l’égoïsme individuel.

Au fil des ans, le service public s’est doté de moyens d’auto-défense efficaces comme le droit de grève illimité. Ces différents facteurs constituent autant de causes de paralysie.

Certaines associations se sont spécialisées dans différentes formes d’assistanat. Pensez-vous que ce rôle soit légitime ?

Le développement du monde associatif est une excellente chose car il permet de renforcer la citoyenneté à une période où la société se lézarde de tous les côtés.

Cela étant dit, comme le scandale de l’ARC l’a prouvé, il est indispensable d’exercer le plus strict contrôle sur les associations qui reçoivent des subventions, perçoivent des redevances, ou font appel à la charité publique. Or cette idée d’un contrôle rigoureux est très loin d’être admise et la subvention a vite fait de se transformer en un abonnement, un droit acquis hors de tout contrôle. Je pense, au contraire, que ces prérogatives et ces subventions doivent être subordonnées à des vérifications pouvant, par exemple, être conduites par la Cour des comptes.

Propos recueillis par Didier Laurens

«L’assistanat ruine la France», Les Enquêtes du contribuable avril/ mai 2014 - 68 pages, 3€ 50.

En kiosque le 28/03/14 et sur abonnement : www.contribuables.org/boutique

Suivre ce lien pour commander en ligne ce numéro.