Parmi les musiciens pour lesquels 2014 marque un anniversaire, on peut parier que l'on risque de parler assez peu, du moins en France, de Gottfried August Homilius, même s'il me semble que la belle émission de Marc Dumont, Horizons chimériques, diffusée quotidiennement sur France Musique entre 16h et 17h, lui fera un peu de place le 18 avril prochain. En Allemagne, les choses sont heureusement un peu différentes, en grande partie grâce à Carus-Verlag, un éditeur qui, depuis quelques années, a pris fait et cause pour ce compositeur dont il s'attache à faire connaître la musique, notamment au travers de publications discographiques régulières.
Mais qui est donc Gottfried August Homilius, exact contemporain de Carl Philipp Emanuel Bach qui ne lui survécut que trois ans ? Ce fils de pasteur, né à Rosenthal, en Saxe, le 2 février 1714, entra à l'école Sainte-Anne (Annenschule) de Dresde, dont son oncle était recteur, vers 1722, année de la mort de son père. Outre la musique, qu'il y étudia sous la férule de J.G. Stübner, organiste de l'église Sainte-Anne qu'il était déjà en mesure de remplacer à l'âge de 20 ans, il y reçut une formation académique suffisamment solide pour lui permettre, en 1735, de s'inscrire à la très renommée faculté de Leipzig pour y faire son droit. Vous avez, bien entendu, suivi ma pensée, et, en lisant « 1735, Leipzig », le premier nom qui vous est venu à l'esprit est celui de Johann Sebastian Bach. Effectivement, Homilius fut son élève, mais aussi celui de l'organiste de l'église Saint-Nicolas, Johann Schneider ; comme Telemann trente ans plus tôt, celui qui était arrivé étudiant en droit acheva, six ans plus tard, son cycle universitaire en musicien accompli. Ses premiers pas dans la carrière qu'il avait décidé d'embrasser furent difficiles, puisque sa candidature à la tribune de l'église Saint-Pierre de Bautzen, en 1741, se solda par un échec. L'année suivante lui fut plus favorable, puisque lui échut le poste d'organiste de la Frauenkirche de Dresde. Il se fixa alors définitivement sur les bords de l'Elbe, même s'il tenta de s'échapper à Zittau en 1753, et fut nommé, en 1755, Cantor de la Kreuzkirche, la plus importante église protestante de la ville, un emploi qu'il devait conserver jusqu'à sa mort, le 2 juin 1785, malgré les vicissitudes liées à la guerre de Sept Ans qui causèrent, en 1760, la destruction de la Kreuzkirche, obligeant au repli vers la Frauenkirche, et une attaque qui, en 1784, l'empêcha définitivement d'assurer sa tâche.
La production de Homilius est, fort logiquement compte tenu des fonctions qui furent les siennes, essentiellement constituée de musique sacrée – passions, cantates et motets – , la majorité de ces œuvres ayant été composée après sa nomination au poste de Kreuzcantor, son legs d'avant 1755 comportant surtout des pièces d'orgue. Il est l'auteur d'une soixantaine de motets, dont ce disque propose une sélection de quatorze, augmentée d'un très beau Magnificat, qui donne un excellent aperçu de la variété de son inspiration et de sa maîtrise des techniques d'écriture. Le jubilant Habe deine Lust an dem Herrn utilise ainsi, en un cantus firmus parfaitement distinguable, une mélodie de choral (« Du bist mein Vater, ich dein Kind ») qui lui apporte une dimension spirituelle supplémentaire, tandis qu'on trouve une aria intercalée, faisant office de commentaire moral, dans le motet funèbre Die richtig für sich gewandelt haben, et que Dennoch bleib ich stets an dir use de chromatismes qui rappellent que nous sommes à l'époque de l'Empfindsamkeit. Plus globalement, la recherche d'une certaine simplicité de la facture, de la clarté des textures, de la fluidité et du charme mélodiques regardent déjà assez nettement vers les canons de ce qui sera le style classique. Il est également tout à fait frappant de voir à quel point sa science des timbres et de la polyphonie permet à Homilius, en maints endroits, de suggérer des effets orchestraux, souvent extrêmement efficaces, avec le seul secours des voix. Toutes ces qualités sont parfaitement mises en valeur par l'ensemble sirventes Berlin dont le chef, Stefan Schuck, fait varier les effectifs en fonction des pièces avec beaucoup de pertinence et obtient de ses chanteurs des nuances, des dynamiques et des couleurs aussi convaincantes que séduisantes. Il me semble que cette équipe, bien que non spécialisée dans le domaine de la musique ancienne, a pleinement saisi les enjeux de la musique de Homilius qu'elle défend avec autant de ferveur que de finesse, en donnant aux textes la densité et la saveur qu'ils réclament et en rendant justice à l'invention souvent subtile du compositeur. Bien en place malgré quelques légères et ponctuelles inégalités des sopranos, la prestation chorale se révèle globalement de très bon niveau et son caractère lumineux et souple donne envie de revenir vers ces œuvres qui réussissent la prouesse de chercher sans cesse à atteindre un équilibre serein sans jamais négliger d'être sensibles.
Voici donc un bien beau disque pour faire connaissance avec l'univers de Homilius qui complète parfaitement la première anthologie de motets dirigée par Frieder Bernius parue chez le même éditeur en 2004. Si vous avez, comme moi, des affinités avec ce répertoire, je vous recommande de ne pas le manquer.
sirventes Berlin
Stefan Schuck, direction
1 CD [durée totale : 54'06"] Carus 83.266. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Habe dein Lust an dem Herrn HoWV V.42
2. Dennoch bleib ich stets an dir HoWV V.6
Je remercie sincèrement Roland Koch d'avoir attiré mon attention sur ce disque.