Les nouvelles les plus courtes, comme les plaisanteries, sont souvent les meilleures. Mais cela suppose d'aller très vite à l'essentiel, sans barguigner, avec une grande économie de mots.
Quand on lit le recueil de nouvelles de Mélanie Richoz, Le bain et la douche froide, du titre de l'une d'entre elles (comme c'est souvent le cas), on a le sentiment que l'auteur a ce rythme effréné au bout de la pulpe des doigts. Car ce recueil comporte vingt-quatre nouvelles en moins de 120 pages.
Si cela se trouve, d'ailleurs, elle les a écrites en tapotant sur le clavier d'un ordi, ce qui lui a permis de faire jaillir les mots encore plus vite qu'avec un stylo, même si c'est moins romantique.
Les histoires que raconte Mélanie Richoz sont des histoires humaines, des histoires de notre temps, des histoires qui touchent au privé, à l'intime.
Et, en effet, ces histoires ont "quelque chose de privé, d'intime" comme la rédaction de Cindy, l'héroïne de la première nouvelle, Mademoiselle Jupenlair, qui croyait:
"Qu'on pouvait tout écrire, que rien n'était ni juste ni faux; qu'écrire permettait de dire les choses sans vraiment les dire, de les déguiser. Pour s'en distancer. Pour comprendre. Pour passer outre."
Alors Mélanie Richoz, comme Cindy, raconte la vie d'aujourd'hui, avec cruauté souvent, avec humanité toujours, en se distançant, ce qui lui permet de dire les choses de manière plus directe et plus rapide que ne le ferait n'importe quelle démonstration.
Ainsi dit-elle l'inceste sans vraiment le dire. Elle dit la saveur violente, bonne et douce d'une vengeance mortelle. Elle dit le remords d'avoir causé la mort d'une enfant, fût-ce involontairement.
Elle dit la foi qui est d'aimer et non pas de condamner. Elle dit l'amour adultérin et ses lâchetés. Elle dit l'infidélité que les yeux ne veulent pas voir et avec laquelle ils préférent s'accommoder. Elle dit les premiers émois qui commencent par de la curiosité avant de faire des étincelles.
Elle dit l'amour qui se perd entre un père et son fils et, après son divorce, entre une mère et ses filles, trop occupée qu'elle est à s'occuper des Autres. Elle dit la peur qui peut naître à la pensée de l'amour contraint de l'autre.
Elle dit la préférence en amour pour le fond sur la forme. Elle dit que le choix d'abandonner la futilité et la folie douce pour fonder une famille n'est pas toujours heureux.
Elle dit l'amour d'une petite fille pour l'amie de son père parce qu'elles ont une blessure en commun et le soulagement d'une patiente qui imaginait le pire en se soumettant à un IRM. Elle dit l'amour qui commence par des bégaiements et finit par aboutir.
Elle dit les préjugés que les êtres humains éprouvent à l'égard les uns des autres avant de les connaître et le mal qu'ils peuvent faire quand ils croient les connaître ou, pire, quand ils leur prêtent des actes qu'ils n'ont pas commis.
Elle dit la précipitation de la fille d'un soir qui s'esquive au petit matin pour prendre un train, malgré qu'elle en ait. Elle dit la séparation et les amours mortes qui retournent en poussière.
Elle dit qu'on ne décide pas d'être écrivain mais qu'on écrit. Elle dit que, quand on a des choses à écrire, il faut les écrire, sans se juger, sans se censurer, et que ce sont de tels mots-confiance qui donne l'élan pour écrire.
Mélanie Richoz avait beaucoup de choses à écrire. Elle les a écrites tout simplement, parfois crûment. Elle s'est écoutée et le genre de la nouvelle courte convenait parfaitement à tous ces propos qu'elle voulait tenir. A la lire, il n'est pas besoin de se demander si l'élan pour écrire lui a été donné.
Francis Richard
Le bain et la douche froide, Mélanie Richoz, 128 pages, Slatkine