White Fang ou l’histoire de Portlandgnar, par Sonia Terhzaz
Erik Gage, Kyle Handley, Jimmy Leslie et Chris Uehlein se connaissent depuis le lycée, sont originaires de la ville de Portland, en Oregon, aux États-Unis, et jouent depuis 2005 du lo-fi punk sous le nom de White Fang.
Dans la plus stricte éthique DIY, Eric Gage, le chanteur, a créé, en 2008, à l’âge de 18 ans, le label Gnar Tapes & Shit, éditant des cassettes après avoir auparavant beaucoup traîné avec les gars de Marriage Records - un autre label indépendant de Portland créé en 2001. En bon aficionado, Erik Gage s’est d’ailleurs fait tatouer le logo de Marriage Records sur sa poitrine grassouillette à l’instar d’un Kurt Cobain tatouant sur son bras décharné celui de K Records, le label de Calvin Johnson qui, d’ailleurs, en bon élitiste, n’avait guère apprécié.
Au commencement de cette soirée à l’Espace B organisée par Gone With The Weed était…. Dame Blanche. Scène parisienne que j’ignorais. En cliquant sur le bandcamp du groupe, on tombe sur la jolie Shannon Doherty de l’époque Mall Rats et sur une couverture d’album à la belle expressivité. Et puis la musique a commencé et l’effet escompté n’a pas eu lieu. Un shoegazing appliqué, à bien regarder ses pieds, en quête d’intériorité mais l’énergie n’est pas passée. Y’en avait qui kiffaient, ouais ouais, mais quand, en plein concert, on pense davantage à fumer, boire ou pisser, on sait qu’on passe à côté. Dommage, d’autant que l’album Taking Happiness est chouette à écouter.
Après donc avoir trépigné d’impatience, les White Fu…ing Fang, débraillés comme on s’y attendait, commencent à jouer. Et là, dès que ça chante, on a vraiment envie de balancer les jambes et d’agiter les bras. Comme dans Mortal Kombat. Le chanteur ouvre la voie puisqu’il lève ses membres de la même façon sans égaler le jeu de jambes de Robert Pollard, le chanteur de Guided by Voices dans I’m A Scientist - à la 21ème seconde. Fallait mettre les baskets de compèt’ parce qu’on avait envie de sauter, de se jeter, de tout envoyer valdinguer. Pourtant, étrangement, et peut-être heureusement, le public de l’Espace Berbère se tenait bien. D’ailleurs, doit-on s’en étonner ? Y-a-t-il a des comportements types, caractéristiques, propres à des types de publics, dans des lieux spécifiques ?
L’ambiance musicale proférée, volontairement régressive, donnait tout de même l’envie de faire l’abruti. Les Fang auraient dû engager des chauffeurs de scène canadiens : le mec de Fubar David Lawrence et Tom Green par exemple qui auraient pu faire un remake de Grateful to Shred de White Fang ou plutôt Great Balls of Fire pour reprendre le titre de Jack Hammer et Otis Blackwell. D’ailleurs, en écoutant le morceau de White Fang, je croyais comprendre Great Balls of Fire ! Na na na ! Great Balls of Fire! Na na na! On s’en rappelle d’ailleurs de ce morceau des White Fang Shui, il reste en tête, même après le concert : il possède l’efficacité d’une bonne musique de jeu télé. Une de leurs spécificités.
Mais pourquoi, grands dieux, avoir pensé aux Balls ! En même temps… guère étonnant compte-tenu des titres et les thèmes des chansons. Shit on My Shoe, Feeling Shitty, Wrecked, Pissing in the Driveway pour ne retenir que celles qui ont été interprétées avant-hier à l’Espace B. Wrecked, de l’album High Expectation, a ce son garage bien cracra qui donne envie de l’être dans ces moments là. Oh please, can i be totally wrecked just this on time?
L’histoire de l’indie-rock à Portlandia a-t-elle toujours été aussi joyeusement désinvolte ? Peut-être bien… Si on se souvient, en 1963, de la reprise de Louie Louie (de Richard Berry, à ne pas confondre… mais oui mais oui) par deux groupes portlandiens, The Kingsmen en 1963, définie comme l’urtext qui a défini le punk rock (Roger Sabin, Punk Rock, So What? The Cultural Legacy of Punk en 1999) ou Paul Revere & The Raiders, un des pionniers du rock garage. C’était déjà plutôt amusant, et donc nonchalant. Maintenant c’est toujours plus goofier. Est-ce à cause des hipsters ?
Sur scène, l’occupation de l’espace par les Fang est pour le moins intéressante, avec leur bonhommie, leurs gros bidons rebondissant, leurs gros tétons et le panicule adipeux bien voyant. Ce n’est plus du slacker mais du gnar et du cochon. Mais telle est leur revendication. Dans la pochette de High Expectation, sorti en 2012, ils se targuent d’être le groupe le plus stupide de la planète. Sous leurs airs et revendications débiles, ils se consacrent pleinement, avec un vrai engagement, à la découverte musicale, à l’échange et à l’édition (limitée) à travers le Label Gnar Tapes & Shit - le terme gnar signifiant à la fois cool, mais aussi extrêmement repoussant - permettant à la moultitude de petits groupes locaux et de tout horizon de diffuser et d’échanger leur musique sous format cassette. Ils ont la culture cassette dans la peau, le check tape, l’esprit punk DIY érigé au plus haut, et perpétuent cet art postal hérité des années 70. Ils animent également l’émission Gnar FM, l’unique station à ne diffuser que ces icônes de la scène Gnar. Un peu comme l’émission des Français de The Brain Radioshow, créée en 1999 et consacrée à la Freaky Deviant Electro musique. Donc une vraie désinvolture au service d’une contre-culture mais un engagement, également, de tous les instants au nom de la découverte et de l’exploration musicale. Voilà pour la petite histoire de Gnarnia. Dear White Fang, I really like your gnarlternative scene.
Un moment déterminant au cours de leur set… La pirouette acrobatique d’un des membres du groupe, évoquant, inévitablement, la fameuse position en 69 aérien, sur la très émouvante musique d’Aerosmith, des deux patineurs artistiques dans le film Blades of Glory (Les Rois du Patin) interprétés par Will Ferrell et John Heder. Là c’est Eric Gage, le chanteur, qui a soudainement soulevé Chris Uehlein, ce dernier continuant malgré tout à jouer de la gratte la tête en bas, les balls écrasant le faciès de Gage, les jambes en l’air bien écartées. De la Herr guitar ! Mais d’ailleurs, où sont passés les guitar heroes maniant si bien l’art de la flamboyance frôlant l’absurde et l’absence totale de retenue ? Des héros épiques à la Steve Harris, guitariste d’Iron Maiden (avis à tous ceux qui mettent des t-shirt d’Iron Maiden comme la claviériste de Dame Blanche) jouait en simulant un tir à la carabine, ou encore Richard Kruspe, du groupe Rammstein, raffolant d’effets pyrotechniques, qui crachait de belles grosses flammes avec sa guitare ! Émouvant !
Pour la petite histoire, White Fang est aussi le héros d’une nouvelle de Jack London, l’histoire d’un animal, mi-loup mi-chien, qui doit affronter de nombreuses épreuves et lutter pour sa survie dans un monde hostile. La vie est un mortal Kombat !