La leçon de musique
Jazz. John Lewis (1920-2001)
DVD en vente libre
Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, celui où TF1 était la première chaîne de télévision française, une chaîne publique. C'était avant 1987. En 1980, avec l'INA, elle proposait un programme de leçons de musique.Le 22 juin 1980, c'était le tour du Jazz et de John Lewis, directeur musical du Modern Jazz Quartet, créateur de la Third Stream Music (mélange entre Jazz et Classique) avec son ami Allemand Gunther Schuller.
Cela se passait dans les anciens entrepôts de Citroën, aujourd'hui disparus, à Paris 15e, le 20 août 1979, sur le quai de Javel où fut créée la fameuse eau éponyme. Un camion vient livrer un piano à queue et les musiciens arrivent: Daniel Humair (battere), Michel Gaudry (contrebasse), Christian Escoudé (guitare électrique), Svend Asmussen (violon).
John Lewis fait répéter son groupe avec une précision de maniaque mais avec le sourire. Il chante et scande chaque partie de musicien. Voici un de ses propos: " Le Jazz est une quête éternelle de l'élément rythmique, le Swing, de l'élément mélodique, le Blues, de l'élément de surprise et d'éléments qui définissent l'Art. " Débrouillons nous avec ça.
Il travaille le rythme, les accents, les placements. D'abord debout comm un chef classique puis assis au piano en jazzman. Il faut savoir compter. Les musiciens ont la partition sous les yeux et ça bosse fort comme disent les Turcs. Des mesures 124 à 132, le groupe joue puis le pianiste accompagne le soliste i.e le violoniste. Quelle densité sur chaque note de piano! Humair conteste un peu mais John Lewis impose son point de vue: " Je vous demande de bien m'écouter car c'est mon nom qui est sur l'affiche." Il sourit mais ne lâche rien. Le Boss, c'est John Lewis et personne d'autre. C'est sa musique et ses conceptions doivent l'emporter. Le thème est d'ailleurs superbe, entre Jazz et Classique, comme souvent chez John Lewis. Daniel Humair finit par faire ce qui lui est demandé et l'oeuvre prend forme. La preuve, John Lewis ne parle plus mais joue. Et ça joue, nom de Zeus! Christian Escoudé est en grande forme. Son album duo avec John Lewis reste une merveille soit dit en passant.John Lewis remercie ses musiciens.
Le 21 août 1979, retour dans le même entrepôt pour une leçon particulière de piano par John Lewis. C'est le même thème que la veille mais travaillé en rythmique. Alby Cullaz est à la contrebasse, Eric Dervieu à la batterie.
D'abord avec Franck Amsallem, pianiste aujourd'hui bien établi, alors âgé de 18 ans.John Lewis explique que le thème est volontairement monotone pour laisser au musicien toute liberté d'improviser. " J'ai appris mon métier comme on le faisait en Europe dans les guildes du Moyen-Age " c'est-à-dire qu'il s'est incrusté dans un orchestre, s'est mis au pano, a joué avec les autres. S'il se trompait, il devait payer une amende ce qui fait qu'il a appris vite. " Aujourd'hui, on ne vous laisse plus le temps. Si vous ne faites pas l'affaire, vous êtes viré sans qu'on vous dise ce qui ne va pas. Il n'y a plus que dans les écoles de musique que l'pn vous laisse le temps d'apprendre de vos erreurs ". Belle image du travail dans le monde contemporain. Est ce pour cette raison qu'aujourd'hui tant de Jazzmen sont diplômés des conservatoires et n'ont pas fait l'école de la rue comme Louis Armstrong, Django Reinhardt, Stéphane Grappelli?
John Lewis donne des conseils techniques à Franck Amsallem " Articulez vos phrases de façon plus coulée. Jouez cette note plus fort. Donnez de l'intensité à l'improvisation en jouant des choses simples. Raccourcissez au fir et à mesure de vos chorus ". Démonstration du Maître qui explique tout en jouant. Il demande au batteur de marquer un passage à l'attenion du pianiste. Un autre conseil précieux: " Evitez de jouer pour jouer. Ca ne va pas venir d'un seul coup. Je veux planter l'idée dans votre tête, que cela travaille dans votre subconscient et dans six mois, l'idée germera. Plus vous jouerez inconsciemment, mieux vous jouerez. " Prenez en de la graine, pianistes en herbe.
Au tour d'un autre jeune pianiste de Jazz de prendre sa leçon de musique par John Lewis. Un certain Christophe que je n'ai pas identifié. Si vous le connaissez, merci de m'en faire part, lectrices sagaces, lecteurs subtils. John Lewis l'écoute et conclut: " Voici deux styles très différents. Vous jouez plus en accords que Franck. C'est un défi pour moi." Quelques conseils techniques adaptés à ce jeune pianiste: " Voyez combien du thème vous pouvez intégrer à votre solo.Vous avez suggéré. Vous n'avez fait qu'aguicher l'auditeur. J'en donnerai plus. " Comme avc Franck, John Lewis reprend avec Christophe la métaphore de la graine semée pour qu'elle germe en lui. Il apprend à ces jeunes virtuoses à élaguer, simplifier, bref à parler au lieu de bavarder.
Après cela, John Lewis, resté seul au piano, joue " Django " la composition qu'il écrivit en 1953, en mémoire de Django Reinhardt. Après tant de beauté, il n'y a plus qu'à fermer le piano et partir. Merci pour tout, Mr John Lewis.
Ne disposant pas d'extrait de cette émission, je vous en propose une autre, lectrices sagaces, lecteurs subtils. Billy Taylor, qui fit découvrir le Jazz à des millions d'Américains et créa le Jazz Mobile Summer Festival à Central Park (New York, USA) invite John Lewis qui explique son amour pour la musique de Django Reinhardt et joue " Django ". Rien à voir avec Quentin Tarantino.