APPARITION (d'après Maupassant)
Lors d’un diner, rue de la Convention,
Nous parlions de séquestration.
Le marquis de Magenta
S’est levé
Et nous raconta
Une histoire qui m’a bouleversé :
-« C’était en mars 1826.
J’étais en vacances à Nice
Et rencontrais par hasard Francis des S.,
Un ami de jeunesse.
Depuis l’université,
On ne s’était
Jamais revus.
Il semblait fourbu
Et marchait courbé.
Voici
Le malheur qui lui était arrivé
Et qui avait brisé sa vie :
Il avait épousé Anne de Rouvrais.
Cinq ans plus tard, elle mourrait.
Il quitta le Vert Clos, son vieux château,
Et vint s’installer à Monaco.
Solitaire, rongé par la douleur,
Il pensait à un suicide libérateur.
-« Puisque je te retrouve, m’a-t-il dit,
Et que je ne connais personne ici
Pourrais-tu aller au plus tôt
Me chercher au Vert Clos
Une lettre dont j’ai un urgent besoin.
Je compte sur toi
Et sur ton absolue discrétion
Car hélas, pour moi,
Il n’est pas question
De retourner dans cette maison. »
Il m’expliqua ce que je devais faire
Et me confia la clé de son secrétaire.
Je m’y rendais.
Le château semblait abandonné.
Dans sa chambre, le lit était défait
Et je remarquai
L’empreinte d’un coude ou d’une tête,
Comme si quelqu’un venait
De s’y reposer.
Une persienne était entrouverte.
J’y voyais suffisamment clair
Pour ouvrir le secrétaire.
Je déchiffrais les suscriptions
Quand j’ai senti un frôlement derrière moi.
Tout d’abord, je n’y fis point attention.
Un courant d’air dans les rideaux de soie ?
Non. Un nouveau déplacement
Me fit frissonner.
J’allais saisir le document
Que Francis m’avait demandé
Quand j’entendis soupirer dans mon dos.
Je me suis retourné aussitôt.
Une femme vêtue de blanc
Me regardait avec attention.
Je ne crois, c’est évident,
Ni aux fantômes ni aux apparitions.
Elle me dit d’une voix douce et lisse :
-« Monsieur, rendez-moi un service ! »
Me tendant son peigne, elle a murmuré :
-« Peignez-moi, s’il vous plait. »
La panique m’envahit.
Je sautai dans l’escalier et m’enfuit.
Chez moi, je m’aperçus
Que sur mon pardessus.
Une mèche de cheveux longs
Était enroulée autour d’un bouton.
Trop troublé
Pour me rendre chez mon ami,
Je demandai à mon valet
D’y aller.
Le lendemain j’allais voir Francis,
Résolu à lui dire la vérité vraie.
Il était sorti et n’était pas rentré.
Je revins dans la soirée, il était absent.
J’ai patienté une semaine durant.
Sa concierge n’avait pas revu Francis.
Alors j’ai prévenu la gendarmerie.
On l’a recherché. Sans succès.
On a perquisitionné dans son château
Et chez lui à Monaco.
Ces visites ne donnèrent rien.
On ne découvrit rien de suspect
Ni aucune personne dissimulée.
Que c’était-il passé ?
L’enquête n’aboutissant à rien,
Les recherches furent interrompues.
Depuis, j’ignore ce qu’il est advenu. »