Un film de Julie Taymor (2003 - USA, Canada, Mexique) avec Salma Hayek, Alfred Molina, Mia Maestro, Valeria Golino, Ashley Judd, Geoffrey Rush
Pas assez juste.
L'histoire : Années 20. La jeune Frida Kahlo, élevée dans un quartier assez bourgeois de Mexico, vit heureuse et insouciante. Un terrible accident de bus l'envoie à l'hôpital puis la laisse alitée des mois. Pour s'occuper, elle dessine des papillons sur son armure de plâtre. Ses parents lui offrent alors une boîte de peinture, des toiles et un miroir qu'ils fixent au-dessus d'elle. Elle peut ainsi se lancer dans des autoportraits et peaufiner son style. Une fois debout, elle part voir un peintre qu'elle admire, Diego Rivera, pour qu'il lui dise honnêtement ce qu'il pense de son travail. Il adore. Et les toiles, et la femme.
Mon avis : Evidemment, j'ai bien aimé ce film qui a le mérite de retracer la vie de l'immense peintre mexicaine. Beaucoup de qualités dans la réalisation, le plus souvent assez classique, mais avec une avalanche de couleurs qui évoque Frida et ses tenues traditionnelles mexicaines, sa peinture, et le pays tout entier, et quelques petites animations originales à partir d'oeuvres, d'illustrations diverses ou de photos.
MAIS j'ai été déçue parce que Julie Taymor ne rend pas un hommage complet et sincère à Frida, dont la vie fut beaucoup plus tumultueuse que ce qu'on nous montre. Les petits passages choc ont été gardés, l'accident bien sûr, l'homosexualité, les infidélités de Rivera, la liaison avec Trotsky... de simples anecdotes, sans doute croustillantes pour le public, mais qui ne sont qu'un petit aspect de la personnalité de l'artiste, des choses un peu superficielles, alors que cette femme a énormément souffert et beaucoup lutté, contre son corps défaillant, contre la société capitaliste et macho, tout en construisant une oeuvre personnelle intense. Le portrait qui se dégage n'est pas celui que j'ai retenu de toutes mes lectures sur le sujet, et de l'observation de ses incroyables peintures.
D'abord on nous présente une jeune fille en pleine forme, soudain victime d'un très grave accident. Puis après une période d'immobilité, la voilà qui remarche, avec une canne au début, puis qui sautille, qui court, qui danse... On évoque brièvement les conséquences de l'accident lorsqu'elle fait une fausse couche, puis à la fin lorsque son corps commence à la lâcher. Mais sur l'ensemble du film, la souffrance a finalement assez peu de place, alors qu'elle fut la source même de la peinture de Frida... La souffrance, elle a connu ça toute sa vie. Victime de polyomélite enfant, elle en garda une jambe et un pied atrophié. On la surnommait "la boiteuse" avant même l'accident. Celui-ci, gravissime (elle a entre autres été transpercée au ventre par une barre de métal), la laisse trois mois alitée. Un an plus tard (ellipse dans le film), elle retourne à l'hôpital et reste neuf mois plâtrée des pieds à la tête. C'est là effectivement qu'elle se met à la peinture, pour s'occuper (en fait, elle voulait être médecin). Toute sa vie, elle fera des séjours à l'hôpital (ellipses dans le film) pour subir de multiples opérations à la colonne vertébrale, qui la laissent à chaque fois allongée pendant des mois, puis l'obligent à porter quotidiennement un corset de fer. Elle n'a jamais vraiment marché correctement. A la fin de sa vie, elle est amputée d'une jambe, elle tombe dans une profonde dépression et la douleur intolérable la pousse à prendre quantité de médicaments. Elle est morte officiellement d'une embolie pulmonaire ; officieusement ses proches pensent qu'elle s'est suicidée en absorbant volontairement trop de pilules...
Toute cette souffrance est à peine évoquée dans le film, alors que si l'on observe les toiles de Frida... elle est partout, omniprésente. Tout comme le traumatisme dû à ses deux fausses couches, elle qui voulait tant avoir un enfant. Une seule est montrée dans le film, et elle semble s'en remettre assez bien...
Fluctuat : "Trop rapidement éludée la question du corps de Frida, cruciale chez cette peintre, est à peine évoquée. Cette souffrance à la source de tant de tableaux est bien trop factuelle pour correspondre à l'état d'esprit des toiles nées de ce désespoir. Transformée en parfaite femme la peintre au grand coeur fait la cuisine, aide sa famille, pardonne à son mari et le film prend très vite des allures de chromos naïfs et déjà vu"
Autres erreurs et ellipses importante : les Etats-Unis. Ce n'est pas à New York que les Rivera commencent leur voyage. Rivera a d'abord oeuvré à San Francisco, puis à Détroit. New York vient ensuite et l'épisode de la destruction de sa fresque par Rockefeller le décide à rentrer au Mexique, ce que Frida lui demande depuis longtemps... On ne voit pas du tout dans le film à quel point Frida se sentait malheureuse là-bas et combien son pays lui manquait (elle n'a pas aimé la France non plus). C'est aussi aux Etats-Unis qu'elle a fait ses deux fausses couches.
Par ailleurs, les Rivera étaient des communistes militants et engagés, et Frida était une féministe passionnée, doublée d'une anticonformiste notoire. On ne le voit guère, à part quelques petits épisodes de ci de là.
Le Monde : "Il aurait été sage de trouver un scénariste capable de rendre compte de l'intensité du combat politique de ces années-là. A l'écran, la rivalité entre Rivera et Siqueiros passe pour une querelle d'ivrogne, et l'exil de Trotski pour l'ultime étape d'une croisière du troisième âge".
Contrairement à ce qui nous est laissé croire dans le film, Frida ne rencontre Diego qu'après son accident. Elle admirait le peintre et est allée lui montrer les peintures qu'elle avait fait faites. Ils ne se sont plus jamais quittés, à part un bref divorce. Il était infidèle, elle le savait, elle lui pardonnait ; ils s'aimèrent passionnément toute leur vie. Et, de ce que j'ai pu lire, elle n'a jamais été copine avec son ex femme !
La peinture de Frida, enfin, est gravement sous-estimée. On a l'impression qu'elle fait ça en dilettante... et que le peintre, c'est Rivera. Elle a peint plus de 250 toiles, elle a été professeur de peinture à l'Académie des Beaux-Arts, et membre du Seminario de Cultura Mexicana, qui avait pour mission la diffusion de la culture mexicaine. Frida et Diego étaient tous deux des personnalités importantes du Mexique. D'où l'accueil de Trotsky, en exil, reçu par les Rivera à la demande du gouvernement mexicain. Mais aussi la visite d'André Breton, qui était subjuguée par la peinture de Frida et la classait parmi les surréalistes, ce qu'elle refusa toute sa vie, détestant les étiquettes et les bourgeois parisiens !
Si le film présente donc bien des inexactitudes et ne traduit pas la réelle Frida, Salma Hayek et Alfred Molina sont eux PARFAITS et arrivent malgré tout à nous intéresser à ce couple passionnant et passionné !
A part les deux citations que je vous ai insérées, la plupart des critiques semblent dithyrambiques. Ah bon.
Petite anecdote : pourquoi ces impressionnants sourcils, voire ce léger duvet brun au-dessus de la lèvre ? Parce qu'il était de bon temps dans la société sud-américaine de se différencier des améridiens ; avoir des ancêtres espagnols, c'était plus classe... Or les Indiens sont imberbes. Montrer sa pilosité, c'était afficher son sang espagnol... Ce n'est pas à la gloire de Frida, c'est clair, d'autant que sa mère avait des origines amérindiennes ! Elle n'aimait pas les snobs, mais elle l'était un peu ! Chacun ses petites contradictions, non ?
MON hommage à Frida (avec mon tableau préféré)