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"Qui ne sait se taire nuit à son pays" de Rachel Maeder

Publié le 25 mars 2014 par Francisrichard @francisrichard

Les périodes de guerre sont propices aux entorses à la morale ordinaire. Car, dans ces moments-là, ne pas se taire peut nuire non seulement à son pays, mais à ceux qui vivent dans ces circonstances extraordinaires.

On connaît l'adage, qui se vérifie alors bien plus encore que d'habitude:

"Le silence est d'or, la parole est d'argent."

D'aucuns profitent de cette clandestinité obligée pour se livrer en toute impunité qui à de petits trafics plus ou moins douteux, qui à des exactions qui passent inaperçues dans la tribulation générale. Des années après, une multitude de secrets plus ou moins avouables demeurent ainsi enfouis.

Ces secrets ne sont pas près d'être déterrés, à moins que, découverts par hasard, ils ne soient considérés comme insupportables par quelqu'un qui en a subi des conséquences, mêmes lointaines, et qui les considèrent injustement impunis.

Le polar de Rachel Maeder se passe de nos jours et pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Vallorbe, petite ville suisse de quelques milliers d'âmes, située à la frontière avec la France, où tout le monde se connaît, peu ou prou. Tous les ingrédients sont donc réunis pour nourrir une intrigue policière, dont les prémices se situent plusieurs décennies auparavant.

Dans un EMS, établissement médico-social, de cette localité, le Foyer des Bonnes Espérances, l'un des locataires, Henri Simond, 90 ans, meurt en tombant dans les escaliers.

Alice Kappeler, une autre locataire, contemporaine du défunt, qui se déplace à l'aide d'un déambulateur à roulettes, pense tout de suite que cette mort n'est pas naturelle et en fait part à son petit-fils, Michael, lequel, au début, qualifie cette thèse de farfelue.

Alice en fait part également à Alfred Bise, son contemporain qui, des décennies plus tôt, avec un peu de persévérance aurait pu conquérir son coeur, et en la compagnie duquel elle se plaît aujourd'hui, après de récentes et tardives retrouvailles.

Quand, dix jours plus tard, survient une deuxième mort de locataire, celle de Maurice Chappuis, 91 ans, cette fois d'une crise cardiaque, Alice n'a plus de doute:

"Quelqu'un élimine discrètement les vieux de l'immeuble."

Intime conviction renforcée par le fait que, peu de temps avant son issue fatale, Maurice s'était montré agressif, tout comme Henri se l'était montré. Mais cela ne convainc toujours pas son petit-fils chéri, Michael, gêné que sa grand-maman se démène pour recueillir des informations, ici ou là, sur les deux défunts et joue à Miss Marple, l'héroïne d'Agatha Christie.

Alice parvient à reconstituer en partie une lettre anonyme à partir de fragments que Michael, sans conviction, est allé quérir à sa demande dans la poche poisseuse d'un veston de Maurice et qui se trouvaient mêlés à des mégots de cigarettes... Mais quelqu'un lui dérobe son puzzle péniblement reconstitué en pénétrant chez elle... avant qu'elle ne puisse le montrer à Michael. 

Une troisième mort, celle de Richard Jordan, 88 ans, retrouvé dans le lac du barrage du Pontet, lève les derniers doutes d'Alice. Michael consent alors à l'aider et met à contribution un ami, Josef André, qui travaille aux archives du Canton de Vaud.

C'est ainsi que sera établi que, du temps de la Deuxième Guerre mondiale, les trois morts se connaissaient. Mais, s'ils ont été intelligemment tués - leurs morts paraissent somme toute naturelles -, pourquoi l'ont-ils été? C'est ce que l'auteur révèle peu à peu au lecteur.

En effet Rachel Maeder alterne les chapitres qui se passent de nos jours et pendant la Deuxième Guerre mondiale. Se dessine alors l'esquisse d'un drame qui s'est joué des décennies plus tôt et qui vient trouver maintenant un épilogue déjà trois fois mortel. Y aura-t-il une nouvelle victime de ce qui apparaît comme une vengeance?

Rachel Maeder ménage le suspense jusqu'au bout et l'épilogue n'est pas celui auquel le lecteur, habilement induit en erreur, pouvait s'attendre...

Au-delà de l'intrigue proprement dite ce polar recueille les suffrages par la fidèle reconstitution d'une époque trouble, mise en contrepoint avec la nôtre, et par la sympathie que le lecteur ne peut manquer d'éprouver pour une vieille dame obstinée, intrépide en dépit de son handicap et qui, forte de caractère, ne se laisse pas détourner de son but par l'incrédulité des autres.

Au moment du dénouement, Alice fera preuve d'une sagesse qui n'est peut-être pas en conformité avec la norme, mais qui est conforme au juste oubli qui sied dans certaines circonstances.

Francis Richard

Qui ne sait se taire nuit à son pays, Rachel Maeder, 308 pages, Plaisir de lire


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