"Vous voyez ce corps étendu sur le plancher, marinant dans
une flaque de son propre sang ? C'est moi".
A écouter
cette phrase par laquelle débute Date Limite, on croirait presque
entendre la voix off d'un film. Mieux, on croirait presque voir un
grand écran en entendant cette voix. Mais qu'on ne s'y méprenne
pas, c'est bien de mots qu'est faite cette histoire singulière.
Mickey Wade s'est vu congédier de son travail de journaliste. Aussi,
comme il se retrouve presque du jour au lendemain sans ressources, sa
mère lui propose d'emménager chez son grand-père lequel est à
l'hôpital, en proie à un coma depuis près de deux mois. Mickey
retourne donc vivre à Frankford, un quartier mal famé où violence
et trafics règnent en maître, un lieu où a également sévi un
tueur en série à la fin des années 80, Le Tailladeur de Frankford.
Épuisé et quelque part abruti par ce retour en arrière, Mickey
veut sombrer dans le sommeil. Il trouve des somnifères dans
l'armoire à pharmacie de son grand-père, sombre... et se réveille
en 1972, dans le même studio. Les personnes qu'il croise alors ne le
voient pas, ne l'entendent même pas, à l'exception apparemment d'un
jeune garçon. Revenir en arrière. L'opportunité est trop belle
d'investir le passé et qui sait, d'éclairer les zones d'ombre de
l'histoire familiale, de l'assassinat de son père...
Il n'est jamais facile de décliner ensemble les couleurs du polar et
de la science-fiction. Certains s'y sont même cassé les dents.
Duane Swierczynski quant à lui, s'en sort haut la main. L'aisance
avec laquelle il déroule son histoire est étonnante. Sans doute parce qu'il invite dès les premières lignes à
avancer de concert avec son héros, loser fragile et sympathique qui
subit les événements plus qu'il ne les provoque. Ou, quand il les
provoque, ne mesure pas toujours les incidences ni les répercussions
de ses actes.
Mais s'il est une autre grande qualité à ce livre, outre le soin
apporté à la construction des personnages qui gravitent avec
bienveillance ou non autour de lui, s'il est une autre grande
qualité, c'est la solidité de l'intrigue, diablement ficelée.
Régulièrement je me suis surpris à échafauder des hypothèses sur
la réelle nature des événements passés, sur les motivations des
uns et des autres, sur leurs degrés d'implication. Et toutes ces
hypothèses, toutes, se révèlent possibles avant que le doute ne
s'instille à nouveau, laisse la place à une autre tout aussi
probable. Il ne reste plus ensuite qu'à continuer de s'inscrire dans
les pas de Mickey, jusqu'à ce que la vérité prenne définitivement
le pas sur le reste, sans qu'on l'ait pour autant vue venir dans sa
renversante globalité.
Aucun doute en tout cas que les amateurs de polars trouveront leur
compte dans ce Date limite, qu'ils ne seront pas rebutés par
l'aspect « science-fiction », et que ceux aimant les
histoires de voyage dans le temps se laisseront facilement prendre
dans les filets du roman noir... et qu'ils iront même lire les autres livres de l'auteur : The Blonde et A toute allure.
Date limite, de Duane Swierczynski, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides, Rivages (Rivages noir) 2014, 272 p.