Réflexion
J’ai enseigné une vingtaine d’années dans le secondaire avant d’arriver à l’université. J’ai gardé la dissertation d’un élève de 17 ans, Tanguy. Aujourd’hui encore, je la trouve d’une grande maturité.
« Une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue » (Platon, Apologie de Socrate)
Socrate considérait que la seule attitude vraiment humaine est celle de la recherche. Il voulait que ses concitoyens mènent une vie conforme à leur dignité d’homme. Il nous faut perpétuellement remettre en question notre façon d’agir et de penser, car une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue : c’est en ces mots que réside l’essentiel du message de Socrate.
L’homme doit tout d’abord donner un sens à sa vie. Ce qui tourmente Saint Exupéry, c’est que, précisément, à côté de gens qui aiment et qui travaillent, il y ait tant d’hommes endormis, tant de « Mozart assassinés ». La terre fourmille de gens dont le travail n’a point de sens, dont la vie est absurde. Le roi qui ne règne sur personne, le buveur qui boit pour oublier qu’il a honte de boire sont des personnages qui ne se posent pas de questions et qui se pétrifient dans une attitude confortable. « Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître », soupire le renard.
Sartre aussi critique la fausse tranquillité de ces « salauds » qui essaient de se donner de l’importance pour croire en eux-mêmes, en leur vie superficielle, et éluder ainsi les problèmes fondamentaux de l’existence. Ces gens « heureux » se composent d’eux-mêmes une image complaisante, se masquent le caractère angoissant de leur responsabilité, en tentant de sauvegarder leur honorabilité, leur position sociale, la conscience assurée de leurs droits. Or ce sont ces gens tranquilles et sûrs d’eux-mêmes qui, il y a quelque deux mille quatre cents ans, ont condamné Socrate, afin de se soustraire à l’enquête qu’il exerçait sur leur vie.
Dans notre monde du XXIe siècle, que de fois n’avons-nous pas entendu autour de nous : « On mène une vie de fous ! On ne sait plus comment on vit, ni pourquoi ! » Certains vivent au petit bonheur, ou s’étourdissent dans la fureur de vivre. D’autres, préoccupés de garantir profession et pain quotidien, recherchent la sécurité. Les plus réfléchis prennent conscience de l’envergure du problème, mais se laissent décourager par la diversité des solutions possibles.
Fureur de vivre, embourgeoisement, scepticisme sont autant de refus de vivre une vie vraiment humaine, une vie vraiment digne d’être vécue. Dans ces conditions, l’homme pourra-t-il continuer à se développer, à tendre vers sa fin en toute liberté, avec son intelligence, sa sensibilité et sa conscience d’homme, ou bien, vide de sa substance spirituelle, sera-t-il ramené au niveau du troupeau ? Ce qui est donc surtout menacé, c’est l’Homme dans son essence d’être spirituel, libre et par conséquent responsable.
L’Homme est embarqué. Il le sait. Il lui faut sans retard être lucide. Cette irréversible existence, il doit la penser. Il doit s’interroger sur les réalités que sont le métier, le bonheur, l’argent, l’amour, la mort, l’au-delà, Dieu…S’il ne réfléchit pas, il se noie bientôt dans la masse. Il vit tel un animal ou un tas de glaise. Il n’est plus qu’une machine à piocher ou à cogner. Il se laisse guider aveuglément et écraser par des structures anonymes.
C’est ainsi qu’une vie sans examen provoquerait pour l’individu la perte des valeurs humaines essentielles de devoir, de responsabilité, de service, et déclencherait dans l’homme les forces de destruction toutes prêtes à rejeter la personne humaine dans le règne animal et à faire une jungle de la société humaine.
La vie de tout homme doit dès lors être jalonnée de réflexion qui lui permette d’avoir le goût de croire et de se donner, et ainsi de donner un sens à sa vie.
Tanguy