Cela faisait un moment que l’on n’avait pas vu, en étant pris séparément, le trio qui accompagne la sortie de The Canyons. Paul Schrader n’avait rien fait de bien « visible » depuis l’échec de sa prequel de L’Exorciste (l’immense Renny Harlin l’avait remplacé au pied levé sur ce projet), Bret Easton Ellis était bien trop enclin à tweeter et Lindsay Lohan était plus occupée à régler ses frais d’avocat qu’à faire l’artiste. A quoi pouvez, alors, ressembler cette réunion que l’on pourrait presque qualifier de bras cassés ?
Les premières images tentent de nous rassurer et réussissent même le pari d’interroger. Comme un grand, le métrage s’annonce magnifiquement dès son générique introductif. Avec cette succession de plans très graphiques sur des salles de cinéma tombées en totale désuétude, Paul Schrader se rappelle aux bons souvenirs du spectateur. Jamais gratuit, ce parti-pris résume l’intérêt que peut prendre habituellement le cinéma du réalisateur. En effet, il fait partie de cette vague qui n’hésite jamais à réfléchir sur les fins de civilisation. Si ses mises en scène sont rares, ses scénarios, nombreux, le placent clairement dans cette identité. Taxi Driver, American Gigolo, pour ne citer que deux films très célèbres, en sont de parfaits exemples. Comme une évidence, The Canyons voudrait donc, naturellement, s’intégrer dans cette logique mais en voulant s’attacher à une donnée très particulière. Ce sera donc le cinéma. Finalement, la chose est clairvoyante et c’est tant mieux. Paul Schrader n’a jamais été en odeur de sainteté dans le milieu cinématographique vu de quelle manière il s’est fait virer de L’Exorciste et a été très vite jeté aux oubliettes. Il est ainsi presque naturel de retrouver, dans cette nouvelle livraison, un parallèle entre la condition de l’un de ses personnages, Ryan, et sa propre situation. Oui, pour intégrer le milieu cinématographique, il va falloir établir des relations qui ne plaisent pas. Pire, il va falloir s’allonger pour réussir à garder un poste. Et se taire pour continuer. C’est, en substance, ce que veut nous faire comprendre un Paul Schrader qui en a gros sur la patate. S’il n’y a pas de surprise dans ces évocations, elles ont, au moins, le mérite de rappeler le cynisme de cette industrie. Néanmoins, cette posture révèle une donnée salvatrice supplémentaire qui donne un petit charme sympathique. Ryan, un jeune acteur qui tente donc d’être engagé sur un tournage, ne joue jamais l’ingénue. Conscient de sa situation et de l’identité du monde dans lequel il évolue, il ne cherchera jamais à lutter contre ces éléments. Il fait avec, les accepte, jouerait presque même le jeu tant il apparaît parfois très direct. Grâce à cette absence de bonne moralité ou de naïveté, The Canyons ne cherche pas d’échappatoire, de solution, de fuite. Il se veut, ainsi, être un constat terrible.
Néanmoins, si la thématique principale reste intéressante, il faut que le réalisateur essaie de la saisir au mieux avec ses images pour qu’elle puisse être réellement percutante. Chose embêtante, Paul Schrader pourrait apparaitre sans doute plus à l’aise avec sa plume qu’avec une caméra. Là n’est pas le débat mais cette idée – reçue ? – reste toujours dans un coin de la tête. Hélas, la pensée va être rejointe par la réalité. Alors oui, certaines séquences apparaissent bien consciencieuses – on pense notamment à un champ / contre-champ ingénieux construit entre une tête et une entrejambe ou à un découpage global construit sur une salle qui fait à chaque fois figure d’introduction de chapitre, comme une étape supplémentaire de la dégringolade du cinéma – et s’intègrent parfaitement dans le projet global. Il y a comme une envie de bien faire, la chose est entendue. Cependant, la trop grande majorité du métrage n’est pas loin de faire tâche. Attention, ce n’est pas que le cinéaste ne fasse pas preuve de réflexion dans la construction de sa représentation, loin de là. Une telle amorce ne serait, de plus, pas digne de Paul Schrader. La faute en revient surtout à une texture visuelle, à un corps de l’image des plus télévisuelles. Certes, il faut rappeler que The Canyons a été tourné avec un minimum de moyens. Pourtant, ce manque d’argent permet parfois à des réalisateurs de se sublimer et de sortir des idées plus folles les unes que les autres. Ce n’est, ici, pas le cas. Les conceptions de mise en scène présentes sont directement mises à mal par ce grain soit trop cheap, soit bien dégueulasse, il faut l’avouer. La sensation finale provoquée est bizarre. On se dit que Paul Schrader ne mérite pas une telle baisse de niveau dans son traitement formel et qu’il est évident qu’il n’a pas pu shooter son film avec un matériel adéquat. On se dit également que cela pourrait bien être l’une des forces majestueuses du métrage : se faire tout petit pour mieux dynamiter de l’intérieur. S’il y a un malaise dans le film, il se situe à ce strict niveau formel.
Pour s’en sortir et tenter de convaincre pleinement, il est évident que The Canyons doit pouvoir compter sur ses acteurs. Heureusement, ils font tous un boulot convaincant et même plus pour certains. Et même Lindsay Lohan rappelle qu’elle peut avoir un certain talent. Si certains de ses métrages précédents pouvaient faire d’elle la star du teen movie sympathique (Freaky Friday, Mean Girls), le spectateur se rend bien compte que The Canyons est là pour montrer qu’elle en a bien bavé. Son choix ne paraît pas inopportun, rappelle la propre liaison que peut nouer Paul Schrader avec l’un des personnages et conforte la thématique. Finalement, ce ne sont ni le scénario ni même la mise en scène qui font propos. C’est la distribution qui donne à The Canyons son véritable message. Le rapport que l’actrice peut entretenir avec cette Tara va encore plus loin. Il est même assez bluffant tant le spectateur peut ressentir une vulnérabilité de tous les instants voire même une peur bien palpable. L’actrice, et la protagoniste, ne savent plus trop où elles en sont. Elles tâtonnent, elles sont fébriles, elles sont en danger. Ce parallélisme surprend et se pose bien comme le plus bel avantage du film. Cerise sur le gâteau, Lindsay Lohan n’est pas toute seule. Si l’on peut passer à côté de la très grande majorité du casting, ni bon mais ni mauvais, il faut néanmoins s’attarder sur le cas James Deen. Ce dernier, plus connu sous les étoiles de la pornographie (inutile de répertorier tous ses films), livre une très intéressante performance. A l’aise avec les mots, ce qui ne devrait pas le cas de tous les acteurs porno qui se mettent au cinéma « classique » (cliché ?), refusant une complaisance évidente basée uniquement sur son physique (cela aurait été sans doute facile pour lui de se dévêtir et aguicheur pour le spectateur de montrer à tout le monde son « outil de travail »), James Deen opte pour un jeu tout en normalité, n’en faisant jamais trop. S’il faut saluer la direction d’acteurs de Paul Schrader, il ne faut pas ôter le fait que le comédien ait voulu entrer dans une vision de travail qui refuse les archétypes. Mais plus que cela, il arrive, surtout, à distiller une présence inquiétante à souhait. Le charisme ne fait pas tout. Il faut un engagement total pour jouer sur cette ligne. Ce comportement est tout à son honneur et James Deen mérite, simplement, le détour à lui seul.
Paradoxalement, c’est par le physique que le métrage pourrait trouver une réelle raison d’exister. En effet, il faut bien avouer que le scénario n’arrive pas à donner des mots suffisamment puissants pour rendre le tout excitant. Pourtant, Bret Easton Ellis était bien le scénariste qu’il fallait, sur le papier, à ce projet. Avec sa vision particulière d’une humanité sans moralité (American Psycho, l’exemple le plus flagrant) ou sa capacité à sonder la société du spectacle (rappelons-nous de Glamorama), on se pouvait se dire que l’écrivain allait tirer à boulets rouges vifs sur différents endroits névralgiques de cet univers. Cela aurait pu, et dû, faire mal. Peine perdue, The Canyons s’avère être relativement inoffensif dans sa texture scénaristique même. Si les thématiques chères à l’auteur sont présentes et entrent naturellement en concordance avec ce que peut proposer Paul Schrader – les deux se sont bien trouvés -, c’est dans la précision de la plongée que le bât blesse. Jamais on ne va ressentir une véritable empreinte vénéneuse dans les détails du métrage. Dommage, tout était pourtant réuni pour faire du projet un objet bien crade comme il faut. Les lignes de dialogue s’avèrent être relativement faciles alors que les projets de séquences ouvraient sur une curiosité certaine et auraient pu rattraper le coup. A ce titre, les scènes de sexe ou de violence, pourtant identifiables sur des pages et des pages dans les romans d’Ellis, sont tout juste dignes d’un reboot de Color Of Night, l’immortel nanar de Richard Rush avec Bruce Willis et Jane March. Des questionnements, alors, se posent. Bret Easton Ellis s’est-il alors galvaudé dans ce projet ? S’est-il fait attraper par une forme de timidité ? A-t-il eu peur du cinéma ? On retrouve, pourtant, sa patte, notamment dans cette volonté de découpage brut ou de temporalité malmenée, tout du moins vacillante. Hélas, cela n’est pas suffisant et même un cinéaste de la trempe de Paul Verhoeven se serait cassé les dents sur un tel script. Le spectateur reste alors sur sa faim et ne peut plus suivre The Canyons qu’avec un ennui poli. Cette alliance presque naturelle entre deux pourfendeurs de l’ordre établi hollywoodien n’aurait pas dû provoquer chez le spectateur un tel ressenti, c’est certain. Dommage. Néanmoins, le métrage ne fait pas figure de gâchis tant il reste, au fond de nous, une envie de le défendre. C’est juste que c’est comme cela. C’est tout.
The Canyons voulait se présenter comme un film sulfureux. Si les thématiques sont bien là et secourues par un duo d’acteurs en forme, il en aurait fallu plus pour complètement saisir le spectateur à la gorge. Le métrage n’arrive pas à se défaire des questionnements que le spectateur n’a pas fini de se poser pendant et après la vision.