Cher Angle[s] de vue,
Je viens de découvrir les films de Quentin Dupieux et je suis scandalisé que des gens produisent des “oeuvres” comme ça. Ce type est bon pour l’asile psychiatrique! Entre les caïds liftés à l’extrême (Steak), le pneu tueur en série (Rubber) et le détective qui cherche les chiens perdus en rentrant en communication médiumnique avec leurs excréments (Wrong), c’et quand même bien gratiné. Non mais allo, quoi?!?
Et quand il ne commet pas des films bizarres, il commet des attentats au bon goût avec sa musique techno.
Je vous le demande : que fait la police ?
Cordialement,
Un lecteur
Cher lecteur,
Nous avons bien une réponse à votre question, mais on doute qu’elle vous satisfasse…
Parce que pour savoir ce que fait la police, il vous faudra justement regarder le quatrième long-métrage de Quentin Dupieux, Wrong cops. Et si vous n’avez pas adhéré à l’humour délicieusement décalé de ses précédentes réalisations, ce n’est pas avec ce film que cela va commencer…
Et puis, autant vous le dire, ces flics ne bougeront pas le petit doigt pour s’occuper de votre problème. Ils ont des affaires autrement plus graves à gérer.
Duke (Mark Burnham) doit dealer tout son stock de marijuana avant de finir sa tournée, mais il doit faire face à une pénurie de… rats morts. D’ordinaire, c’est dans des cadavres de rongeurs qu’il dissimule sa marchandise pour la refiler à ses clients. C’est plus discret… Là, il est obligé d’utiliser des poissons, ce qui est tout de suite plus odorant et plus gluant. Duke n’aime pas ça…
Pour se calmer les nerfs, il martyrise les ados qui glandent dans les rues.
Renato (Mark Wareheim), obsédé sexuel, multiplie les contrôles d’identité sur les jolies joggeuses, dans le but d’obtenir leur numéro de portable ou, mieux, de les forcer à lui montrer leurs seins.
Son binôme, Shirley (Arden Myrin), aimerait se faire refaire le nez et cherche un moyen d’arrondir ses fins de mois. Le chantage lui semble être une bonne solution pour arriver à ses fins.
Justement, Sunshine (Steve Little), leur supérieur, cherche à mettre la main sur une revue des plus compromettantes pour sa situation. Et il doit rendre un gros service à Duke en échange de la drogue qu’il lui fournit régulièrement…
Rough (Eric Judor), flic borgne et difforme, délaisse complètement ses enquêtes pour composer des morceaux de musique électro. “De la merde en boîte”, d’après Duke, le mélomane, mais qu’il compte quand même proposer à un producteur.
Quant au capitaine de la brigade (Ray Wise), il est à l’image de ses lieutenants, à côté de sa plaque. Et il manque singulièrement de tact et de diplomatie.
Alors, non, ces flics-là n’ont ni le temps ni l’envie de vous aider. Surtout si on considère qu’en plus de leurs occupations habituelles, plus ou moins licites, ils doivent composer avec les jérémiades d’un adolescent un peu trop bousculé par Duke (Marilyn Manson, dans un contre-emploi savoureux), un magot planqué dans un jardin de banlieue et une victime de bavure qui met un temps fou à passer l’arme à gauche…
Excusez-moi de vous le dire, mais vos petits problèmes cinématographiques, pour eux, c’est de la gnognotte.
Et puis d’abord, si vous n’aimez pas Monsieur Dupieux, n’en dégoûtez pas les autres.
Certes, l’humour du cinéaste est assez atypique, oscillant entre le mauvais goût et l’absurde, la blague potache et la comédie de moeurs cynique. On peut très bien ne pas accrocher du tout. Mais on peut aussi trouver très drôle le côté outrancier des personnages et des situations et s’amuser de ce jeu de massacre où Dupieux dresse un portrait peu flatteur de la police américaine.
Mais pour véritablement apprécier ce film, il faut aller au-delà de cet enrobage de comédie trash.
Derrière l’humour, il y a quelque chose d’inquiétant, d’anxiogène. Si on débarrasse le film de tous ses apparats comique, il ne reste que le côté malsain des personnages, qui abusent de leur pouvoir et laissent libre cours à tous leurs instincts violents et pervers. Le symbole de la loi et l’ordre se retrouve corrompu, souillé. Et l’illusion d’un univers tranquille et propret vole en éclats.
Cette façon de montrer les dérèglements à l’oeuvre dans ce qui ressemble à l’image-type de l’American Way of Life, ces pavillons de banlieue interchangeables, avec pelouses soigneusement entretenues et occupants trop beaux pour être honnêtes, évoque un peu la démarche de David Lynch dans Blue Velvet ou Twin Peaks. Dans ces oeuvres, les façades blanches baignées de soleil dissimulaient les sentiments les plus sombres, les vices les plus terribles. C’est aussi le cas dans Wrong cops, d’une certaine façon.
Il est clair que Lynch et Dupieux, cinéastes atypiques cherchant à évoluer en totale liberté, loin des studios hollywoodiens, ont beaucoup de choses en commun. Dans leurs films, ils réfléchissent tous deux à ce qui se cache derrière le vernis des apparences, et à cette lutte incessante entre le vice et la normalité, le fantasme et le réel. On avait pris conscience de cette ressemblance dans Wrong, le précédent opus de Quentin Dupieux, dans lequel évoluaient des personnages plus étranges les uns que les autres. Dans Wrong Cops, l’impression de filiation entre les deux cinéastes est confortée par la présence au générique de Grace Zabriskie et Ray Wise, deux des acteurs-fétiches de Lynch.
Cependant, la démarche de Quentin Dupieux est ici presque opposée à celle de son homologue américain.
Chez le cinéaste américain, on passe toujours d’un univers idyllique à un univers plus sombre et inquiétant. L’étrange, le fantastique, l’onirisme, sont les clés qui nous ouvrent les portes de ces petites maisons bourgeoises, nous faisant entrer de plain-pied dans des mondes sordides, où l’on se retrouve confronté aux aspects les plus vils de l’âme humaine.
Chez Quentin Dupieux, l’étrange est omniprésent, dès le départ. Il constitue presque la norme. Immédiatement, on découvre les personnages sous leur plus mauvais jour. Ils sont psychopathes, voleurs, menteurs, violents, irrespectueux des autres et des lois. Mais peu à peu, ils laissent entrevoir une petite lueur d’humanité derrière leur couche épaisse de bêtise et de méchanceté.
C’est surtout la musique qui permet de les montrer sous un jour un peu plus clément.
Duke, par exemple, a beau être un salopard de la pire espèce, qui vend de la drogue aux enfants et a la gâchette facile, il est aussi un fin mélomane, capable de distinguer le bon son de la musique dégénérée qu’écoutent les jeunes crétins. Qu’il aime écouter ses disques en slip et qu’il défende de manière plutôt rude les classiques de l’électro n’est qu’un détail… Ce qui compte, c’est sa sensibilité artistique.
C’est ce qui le relie à l’adolescent qu’il martyrise, à son collègue flic, ou à la pauvre victime qui agonise dans le coffre de sa voiture, mais qui aimerait bien, si possible, mourir en écoutant de la bonne musique.
Mais ce sont aussi, paradoxalement, leurs vices qui rendent attachants les personnages du film, car ils sont tous liés à des faiblesses qui les humanisent.
Renato, le flic pervers étouffe de solitude, Shirley, la fliquette blonde est une bimbo obsédée par son apparence et son âge, Rough est complexé par son physique et veut devenir célèbre pour sa musique, afin que les autres oublient sa difformité. Sunshine est un homosexuel refoulé qui veut sauver les apparences pour sa famille, Duke manque d’adrénaline et s’ennuie à mourir…
Tous illustrent des problématiques concrètes du monde contemporain, et font bifurquer Wrong Cops vers autre chose qu’une farce à l’humour puéril et un peu gras. C’est cela, la méthode Quentin Dupieux : utiliser le nonsense, l’excès et la caricature pour livrer des chroniques de moeurs très fines et subtiles, radiographies du monde qui nous entoure et des angoisses qu’il génère.
Après, Wrong Cops n’est pas exempt de défauts. Il souffre principalement des changements imposés à sa structure en cours de route. Conçu à l’origine comme une sorte de mini-série, un ensemble de six courts-métrages, il s’est transformé en un long-métrage choral parfois décousu.
On peut également préférer le ton de Steak ou Wrong, plus poétique, à la provocation trash et au mauvais goût de Wrong Cops.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau long-métrage bénéficie de jolies performances d’acteurs, notamment celles de Mark Burnham et Eric Judor, dans des registres différents. Et les fans de Mr Oizo (le pseudonyme de Quentin Dupieux, musicien) apprécieront la bande-son, qu’il a intégralement composée.
Bref, cher lecteur, si vous avez détesté les films précédents de Quentin Dupieux et que sa musique vous file des boutons, nous vous déconseillons formellement Wrong Cops. Mais ceux qui apprécient son univers décalé et son humour grinçant et nonsensique devraient beaucoup aimer ce drôle de film.
Absurdement vôtre,
Boustoune
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Wrong Cops
Wrong Cops
Réalisateur : Quentin Dupieux
Avec : Mark Burnham, Steve Little, Eric Judor, Marilyn Manson, Arden Myrin, Mark Wareheim, Ray Wise
Origine : France, Etats-Unis
Genre : comédie déjantée et anxiogène
Durée : 1h25
Date de sortie France : 19/03/2014
Note pour ce film :●●●●●○
Contrepoint critique : TF1 News
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