On définit souvent la sagesse par ses conséquences ou par la manière de l’acquérir : ce cheminement difficile qui dure en général le temps de notre vie terrestre. Ainsi dans « A l’ombre des jeunes filles en fleurs », Marcel Proust – décidément et à juste raison très présent dans les réflexions actuelles – note ceci : «On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. »
Ce point de vue sur les choses se mérite en quelque sorte, il est le résultat de l’expérience, des épreuves, de la cohabitation avec nos frères humains. On m’a un jour défini la crise de l’adolescence de cette façon : c’est une période où nous agissons avant de réfléchir ; alors que l’âge mûr est l’inverse. L’âge mûr serait celui de la sagesse.
Tout le monde n’y accède pas, volontairement ou non. Certains peuvent décider de ne pas analyser la situation, que cela n’en vaut pas la peine, que c’est un héroïsme absurde ou une foi qu’ils ne possèdent pas. Ils s’amusent de la vie ; tout est superficiel, tout n’est qu’apparence.
Notre nature serait simplement – bêtement ? – la proposition d’être un maillon de l’évolution dans une chaîne, où la récompense finale, la fin de notre métamorphose, n’appartiendrait qu’à nos très lointains descendants.
Encore faudra-t-il que la Terre n’ait pas cessé sa course avant cela dans une catastrophe provoquée par l’univers ou par nous ! On sait aujourd’hui que c’est vraisemblable ! « La sagesse serait de dormir jusqu’à cette gare terminus (la mort). Mais, hélas, le trajet nous enchante, et nous prenons un intérêt si démesuré, à ce qui ne devrait nous servir que de passe-temps qu’il est dur, le dernier jour, de boucler nos valises.» C’est Jean Cocteau qui s’exprime ainsi dans « Le grand écart ».
Pour demeurer dans ce monde illuminé des grands poètes, Paul Verlaine a intitulé un de ses recueils : « Sagesse ». Dans la préface, voici ce qu’il avoue : « L’auteur de ce livre (Sagesse) n’a pas toujours pensé comme aujourd’hui. Il a longtemps erré dans la corruption contemporaine, y prenant sa part de faute et d’ignorance. Des chagrins très mérités l’ont depuis averti, et Dieu lui a fait la grâce de comprendre l’avertissement. »
Au-delà de l’affirmation de sa conversion (et la parution du livre chez un éditeur catholique), comment ne pas y trouver des « états d’âme » qui sont l’expression de la sagesse et qu’on définit comme la modération, le calme supérieur joint aux connaissances, la prudence dans la conduite. Je prends le texte le plus connu : « Le ciel est, par-dessus le toit, / Si bleu, si calme ! / Un arbre, par-dessus le toit / Berce sa palme. » C’est le début du poème, en voici le dernier quatrain : « Qu’as-tu fait, ô toi que voilà / Pleurant sans cesse, / Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, / De ta jeunesse ? »
Pourtant je pense que les erreurs doivent être acceptées bien plus que condamnées. Elles sont passées, elles sont mêlées à la fougue, à l’ignorance, à la passion, qui heureusement forment aussi notre existence. Condorcet, philosophe, mathématicien et politologue, décrétait déjà au XVIIIe siècle qu’il fallait conserver la sagesse que nous avons acquise par l’enthousiasme.
Bref, ces quelques lignes se veulent un encouragement à ceux qui sont encore dans le gué, à ceux qui sont sur la berge à hésiter et un signe amical à ceux qui, enfin sur l’autre rive, regardent, essaient d’aider (c’est le plus difficile !) ou sourient aux moins expérimentés, ce qui est déjà énorme.
Et si je vous entretiens de la sagesse c’est qu’en relisant « Antigone » de Sophocle, j’ai été frappé par les derniers mots prononcés dans la pièce par le coryphée : « La sagesse est de beaucoup la première des conditions du bonheur. Il ne faut jamais commettre d’impiété envers les dieux. Les orgueilleux voient leurs grands mots payés par les grands coups du sort, et ce n’est qu’avec les années qu’ils apprennent à être sages. » Le bonheur et la sagesse, n’oublions jamais que ces concepts sont liés ! Cela devrait nous inciter à l’optimisme, malgré tout !