Pris un expresso devant mon lieu de naissance, aujourd’hui une banque, mais à l’époque le « Grand Café Glacier » de Castres que tenait mon grand-père. Celui d’aujourd’hui, où j’ai pris place sur sa terrasse, n’a rien à voir même s’il s’est approprié son nom. Il ne reste presque rien de l’original. Mon père possède encore quelques verres, marqués aux armes de la ville. Mon frère possède encore deux chaises en osier que les serveurs installaient sur la place Jean Jaurès lorsqu’il faisait beau. Le soir même, j’en prenais une photo.
Puis, sans m’en rendre compte, je renouvelais mes souvenirs familiaux en prenant une autre photo hommage à un autre ancêtre, mon arrière-grand-père maternel. Le coucher de soleil était magnifique, la lumière irréelle, et le chêne qu’avait planté mon arrière-grand-père il y a maintenant plus de 2 siècles montrait l’étendue de sa ramure dans sa nudité hivernale.
La photo ne rend pas compte de sa taille. Avec mon frère, nous sommes allés mesurer la circonférence de son tronc. Nous fûmes surpris de son ampleur, 3 mètres 70. Nous n’avions pas l’outillage pour estimer sa hauteur – même si une croix de bucheron est facile à réaliser -et nous n’avons pas pensé à mesurer la circonférence de sa ramure. Une autre fois peut-être. Je me suis dit qu’il pouvait peut-être prétendre à être inventorié comme « arbre remarquable ». Malgré son âge, il est toujours vigoureux. Pléthore de feuilles et monceaux de glands en hiver au grand dam de ma belle-sœur.
Le lendemain, nous sommes descendus vers la Méditerranée. Arrêt à Narbonne pour y déjeuner aux Halles, situées près de l’habitation où naquit ma mère, le long du cours Mirabeau qui vient d’être rénové avec talent, redonnant une belle visibilité aux berges du canal de la Robine, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Les Halles, construites par André Gabelle et ouvertes au public au début de l’année 1901 me font penser à celles qui, autrefois siégeaient à Agen avant d’être détruites au profit d’un hideux parking. Un lieu de vie rasé au nom d’une modernité qui n’a que faire de la convivialité d’un lieu de rencontre et de l’authenticité traditionnelle des marchés du terroir. Ici, au contraire, on a su conserver, entretenir et développer l’un des rares lieux où « se mêlent naturellement toutes les classes sociales et religieuses sans exception et sans discrimination ». A Narbonne demeure l’une des plus belles halles du sud-ouest. De Style Baltard, elles possèdent de superbes éléments architecturaux ; structure métallique, piliers, portes de pierre, toiture majestueuse, rosace, céramiques, goussets, persiennes, transparences des vitres donnent grâce et vie avec ces jeux de lumières aux nombreux commerces qu’elles abritent.
Pour le plaisir des yeux, nous en faisons le tour. Puis pour le plaisir du palais, nous nous attablons au comptoir de Bébelle. Ici, on ne sert que des plats dont les ingrédients proviennent des commerçants voisins. Il faut entendre Bébelle, le boss, commander au portevoix qui, un magret, un onglet de bœuf ou une saucisse, aussitôt préparé par le volailler, le boucher ou le tripier puis empaqueté et envoyé par-dessus les têtes des clients à Johanna qui officie aux fourneaux. Quelques instants plus tard, le plat est prêt et servi par Marie-Pierre au client. C’est une affaire de famille et dans la fratrie, il y a aussi David qui fait office de sommelier et Fabienne dont le fessier attire tous les regards à tel point que le café bu, on ne sait toujours pas quelle activité elle occupe…
Nous ressortons sur l’esplanade des barques et du cours Mirabeau. Là aussi, un beau travail a été réalisé par la municipalité. L’uniformisation de la couleur des terrasses des commerces qui bordent l’endroit donne aux deux rives de la Robine une splendide image d’unité et de cohérence. Les teintes “taupe” et “ardoise” sont douces et plaisantes aux regards ! Même les parasols des terrasses des bars et restaurants reprennent ces teintes. La suppression des enseignes monumentales qui enlaidissent tant les villes a été ici impitoyable. Elles sont maintenant discrètes, sans pour autant laisser le chaland dans l’expectative. Au fond, clôturant la portée du regard, le pont des marchands, singulièrement raccourci depuis l’époque romaine – une seule arche reste visible - s’est rajeuni dans les mêmes tons pastel.
Il est en fait bien plus long et développait alors sept arches nécessitées par la largeur de l'Aude appelée alors l’Atax et l’important trafic de la voie Domitia qui l’empruntait. Rivière rebelle, l’Aude développait de féroces colères provoquant des inondations catastrophiques. Aux grands maux, de grands remèdes, son cours fut dévié au 14e siècle et son lit asséché transformé en canal. Aujourd'hui une seule arche suffit pour le franchir. Les autres furent enfouies dans les constructions et transformées en caves des maisons qui s’élèvent sur le pont.
Je profite de la belle lumière printanière pour saisir une vue du monument aux morts pour mon site « cénotaphes ». Une statue relativement récente d’Yvonne Gisclard-Cau. Elle est datée de 1960 et cela explique peut-être la sobriété du style et l’apaisement qui émane du « poilu ». Rien à voir avec l’autre monument aux morts narbonnais, celui commémorant les victimes de la guerre de 1870-71 « L'Artilleur de Narbonne » (1900) dû à Théophile Barrau et planté dans le Jardin du Palais du Travail.