La sculpture émeut le candide, le quasi bé
Mille et mille bonheurs invités : Minéraux, végétaux, animaux, humains, bouquins, musiques, films, couleurs, formes, chants, sculptures, etc. Simple capacité d'être ému sans jamais avoir étudié ni posé mes fonds de culottes dans des amphis ou sur les bancs des beaux-arts, autres facultés ou conservatoires.
Il n'y a pas d'élu, il n'y a pas d'exclu en matière artistique. Toute la beauté du monde est à portée de tous. Offerte à tous sans exclusive. Seuls, regards et coeurs libres comptent.
Le fameux Chant du Monde de Lurçat qui disait aussi qu'une oeuvre d'art est un monceau de cicatrices. Phidias, Praxitèle, Michel-Ange, Bernini, Camille Claudel, Brancusi, Zadkine, Duchamp, Calder, d'autres, les représentations des traditions ancestrales des mondes perdus : indien, africain, océanien, précolombien, m'émeuvent jusqu'à la moelle, me pénètrent jusqu'en elle, bien au-delà encore. J'ai simplement la chance, par la suite, de tout garder en moi.
Je vois il y a quelques jours à Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) des statues enfouies dans la neige. Émotion. Mystérieux, mon ami Pierre qui me sait me dit, "Tu vas voir, on va tenter notre chance". Il m'amène très près de chez lui, il toque à la porte d'une bien étrange et vaste demeure de béton et de verre. Battus par la poudrerie qui redouble nous sommes prêts à renoncer et rebrousser chemin quand au bout d'un long temps silencieux elle s'ouvre sur un homme, quelques mots suffisent à forcer son seuil, "Entrez..." nous dit-il et c'est tout. Sans autre forme d'accueil cet homme nous pose devant des statues, et s'installe devant son piano, il joue à présent, c'est vif, enjoué, presque trilles de bienvenue. Puis il s'arrête de jouer et nous parle car il a vu nos regards.
Je ne sais où donner des yeux et du coeur. Un Ganesh Trimurti Ekadanta (avec une seule défense) polychrome me regarde et me pènètre. Une statue chinoise au visage que n'eût pas désavoué Piero della Francesca me sourit. Un trio de lettrés (probablement) de la dynastie Song m'invite à son écoute, un autre de guerriers semble garder le lieu... Je suis "submergé" de ravissement ce qui est un comble pour un visiteur-passager d'une Arche de beauté !
On parle art, on parle partage, on parle beauté, on parle définition de la beauté, on parle étendue de la beauté, on parle nécessité de partage de beauté et c'est là que nos yeux s'attristent, se mouillent presque. Robert est triste car en ce monde qui est le nôtre, ce monde vitesse, ce monde mercantile, ce monde futile, ce monde quasi perdu pour l'art, qu'en est-il d'oeuvre de beauté, qu'en sera-t-il ? La montée en art ressemble étrangement et douloureusement à celle au Carmel de Saint-Jean-de-la-Croix... Ô nuit obscure, ô Ténèbre lumineuse !
Je reviendrai voir Robert un jour prochain. La beauté ne peut se perdre. La racine-liane qui voudrait étouffer le regard vivant de beauté est vaine, à Angkor Vat, à Saint-Jean-sur-Richelieu comme ailleurs.
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