J'adore les seiches et tout le monde s'en carre. Pourtant, quand on était petits, il était tout à fait commun de poser la question "quel est ton animal préféré ?". Et l'on démontrait par a + b pourquoi tel être de lumière méritait d’être l’élu de notre cœur (le chat est noble, il atterrit toujours sur ses pattes et il voit dans la nuit, le sanglier est certes un peu bourru, mais contrairement à son apparence il peut nager de longues distances, etc. etc.). Depuis, ça s’est un peu tassé. Mes interlocuteurs "adultes" s’intéressent en général plus à mon parcours qu’à mes maigres connaissances zoologiques. Grand bien leur fasse, même si à y regarder de plus près, certains talents d'animaux feraient super classes sur un CV. Être une seiche, notamment, pourrait s'avérer être un plus dans le cadre d'une candidature. Voilà pourquoi :
#1 La seiche est forte d'une longue expérience Pour commencer, la seiche a une histoire beaucoup plus longue que nous, pauvres humains. Tout comme ses cousins les pieuvres et les calamars, elle fait en effet partie de la famille des céphalopodes (littéralement "une tête avec des pieds"). Ces mollusques sont super vieux à l'échelle de la vie sur Terre. Ainsi, les seiches seraient apparues au dévonien, c'est-à-dire à une époque où les insectes commençaient à peine à coloniser la terre ferme et où les reptiles n'étaient encore qu'un fantasme lointain. Autant dire que ses arrières-arrières-arrières-(...)-arrières-grands parents ont dû en voir des belles.
#2 Elle est rapide, parfaitement intégrée à son environnement En un bon million de générations, la seiche a eu tout loisir de perfectionner son équipement pour évoluer sans encombres dans son environnement sous-marin. Bonne nageuse, elle se propulse telle une torpille en vomissant de l'eau à la manière d'un moteur à réaction de fusée. L'espèce de membrane-jupette qui entoure sa tête lui sert de gouvernail tandis que son unique os, logé dans sa tête, assure sa stabilité.
#3 LE CAMOUFLAGE D'ailleurs si l'on excepte ledit os, la seiche n'est grosso merdo rien d'autre qu'un amas de protéines flottant au fond de l'océan. A ce sujet, le fin connaisseur de la bête Roger T. Hanlon a souvent été taquiné par des collègues qui lui demandent pourquoi il consacre ses recherches à "la culture de la betterave". Blague de biologiste à part, il est vrai que c'est assez triste pour un animal jugé intelligent et capable d'apprendre des gestes simples, d'être destiné à finir dans l'estomac d'un tas d'autres prédateurs lourdauds.
C'est là que se trouve le véritable trait de génie des bestioles. Lassées d'être croquées à qui mieux mieux et de retrouver leurs restes picorés par des perruches nulles sous prétexte que ça fait une bonne source de calcium et d'iode pour les oiseaux, les seiches et leurs cousines ont développé un talent incroyable pour le camouflage. Et Hanlon est à l'origine d'images assez époustouflantes à ce sujet:
Mieux que la cape d'invisibilité, la peau de l'animal reproduit à la perfection les motifs environnants, et est en plus capable de changer de texture (sisi). Répartis en plusieurs couches dans son épiderme, des petits disques de pigments sont ouverts ou fermés dans un temps record sous l'impulsion de muscles et permettent à la seiche d'imiter le décor qui l'entoure. Même des motifs qui n'ont à priori rien de naturel comme par exemple le damier noir et blanc ne résistent pas aux talents d'imitateur du mollusque. Il n'est pas né le Liu Bolin qui poussera le mimétisme aussi à fond.
#4 La seiche dispose d'yeux de lynx et a un sens analytique aiguisé Tout cela ne semble être possible que grâce aux yeux tout bizarres dont est dotée la seiche. Les chercheurs supposent que grâce à la forme en "W" de leur pupille, les céphalopodes sont capables de scanner leur environnement avec un angle de vue vachement étendu, pratique pour jouer au caméléon mais assez paradoxal quand on sait que ces mirettes là ne voient pas les couleurs... Ce qui ne les empêche pas d'être acérées puisqu'il semblerait que les bébés seiches mêmes pas encore nés s'en servent pour scruter les futures proies alentours. Cette éducation visuelle précoce aurait en plus un effet sur les goûts futurs des seiches, qui développent littéralement "dans l'oeuf" une préférence pour les mets qui leur ont le plus été donnés à voir avant l'éclosion.
#5 Une chasseuse rapide et badass
Une fois plongée dans le grand océan de la vie, la seiche qui ne paie pas de mine sous ses airs timides se profile en fait comme une chasseuse assez efficace. En tout cas suffisamment badass pour attraper une redoutable crevette mantis. Quand on sait que cette dernière est capable de jouer de ses petits poings comme Mohamed Ali ça impose le respect:
Et quand la rapidité ne suffit pas, la seiche a encore une fois recourt à sa peau extraordinaire pour hypnotiser sa victime, en toute sobriété :
#6 Rusée et ouverte d'esprit, la seiche sait s'adapter à toutes les situations
Un autre super trick rendu possible par la pelisse de la seiche, c'est la ruse. C'est vrai au fond, à quoi bon jouir des pouvoirs métamorphiques si on ne peut même pas s'en servir pour se jouer de ses congénères ? Les seiches géantes d'Australie l'ont bien intégré et s'en servent pour tromper le nigaud à la saison des amours. En se faisant passer pour des femelles, les mâles les plus petits se faufilent ainsi au travers des affrontements viriles qui opposent les gros morceaux et profitent de la diversion pour convoler en douce avec les meufs alentours. Futés les mecs.
#7 Flexible, curieuse et apprenant vite, la seiche est un peu la reine de l'océan
Vous n'aurez sûrement pas eu besoin de cet article pour savoir que la faune sous-marine est un des trucs les plus fascinants qui soit. D'ailleurs, il y a encore un tas d'espèces à découvrir (comme par exemple le calamar géant, de la taille d'une maison de deux étages, qui n'a été filmé que récemment). Et au milieu de tous les poissons de la mer, la seiche - proie facile des gros balourds - tire comme elle peut son épingle du jeu, en mode survivor :