Il avait bel et bien programmé un spectacle d'Omar Porras mais il devait s'agir initialement de quelque chose autour du Grand Guignol.
Sauf que le metteur en scène n'avait pas achevé ce travail. Par contre il avait entrepris la mise en scène d'une oeuvre méconnue d'Henrik Ibsen que Marc a été invité à venir voir à Genève, au théâtre de Carouge, au cas où, et qu'il a décidé immédiatement de prendre.
Les abonnés ont eu le choix de suivre cette proposition ou de se reporter sur un autre spectacle. Après avoir assisté au spectacle je peux dire aux frileux qu'ils ont eu carrément tort. J'avais beaucoup apprécié sa version de l'Eveil du printemps de Wedekind. Cette fois je suis carrément fan. Parce que c'est un moment de grâce qu'il nous offre.
Pour résumer Ellida a autrement aimé un homme qui a dû fuir. Elle ne l'a jamais oublié mais elle a refait sa vie, comme on dit, avec un médecin et élève deux belles-filles qui lui sont plutôt hostiles. Son époux l'adore. Elle est restée amoureuse du marin qui,un jour resurgit. Que choisira Ellida ?
Au début du spectacle, le plateau est nu, ceint d'un cyclo sur lequel s'imprime un ciel d'un bleu profond qui pourrait aussi être l'océan où Ellida va se baigner chaque jour. Un piano à queue grand ouvert attend un musicien. C'est tout.
La musique a une importance capitale. Les mélomanes reconnaitront un air de Peer Gynt qui sera joué en boucle. Comme le dit le metteur en scène la musique traversera le spectacle comme une charrue dans la mer. Omar, qui ne manque pas d'humour, aurait voulu disposer d'un orchestre mais la limite de ses moyens lui imposa de choisir un seul instrument. Ce fut le piano et Didier Puntos, qui est d'abord un musicien, s'est révélé comme acteur. Omar a bien conscience qu'il lui demande beaucoup. Le spectateur n'y prend sans doute pas garde mais qu'il accepte de pousser le piano en coulisses lorsqu'il n'a pas de raison de rester sur scène est un vrai défi. Il le fait seul, à mains nues en prenant le risque de se blesser les doigts.
Ibsen est réputé pour être un des premiers auteurs féministes. Dans son théâtre les femmes ont le choix de leur destin. Une autre des caractéristiques de son écriture est qu'elle est traversée par les personnages fantastiques qui sont familiers en Scandinavie. Le surnaturel est pour lui quelque chose de familier. La frontière entre les vivants et les morts n'est jamais étanche.
La scénographie conçue par Amélie Kiritzé-Topor conjugue tous ces aspects. Les apparitions et disparitions de la maison, fragile coquille de noix ouverte aux éléments, rythment les scènes réalistes avec les autres, où Ellida est envahie par la folie.
Omar Porras explore les origines du sentiment amoureux qu'il mesure à la raison. Il fait du théâtre pour trouver la petite lumière de l'âme qui va être utile aux autres. Ellida est dans le dilemme du choix amoureux, éprouvant avec douleur sa capacité de regarder l'amour dans toutes ses couleurs.
La mise en scène fait vivre ce quelque chose d'invisible qu'on ne maitrise pas, que certains appellent esprit, quand d'autres invoqueront la magie, ou encore la foi. Des images surgissent sur le fond de scène, hallucinations, levers de soleil ou éblouissements, toujours différents d'un soir à l'autre.
Et quand on s'extasie de la précision de l'emploi des fumées qui, pour une fois au théâtre, n'est pas anecdotique mais essentiel, le metteur en scène souligne combien ces moments sont fragiles.
A la fin Ellida comprendra qu'elle est entièrement maitresse de sa destinée. A méditer.
Les deux heures du spectacle sont un enchantement. Et pourtant il y a des scènes comiques, évoquant le cinéma et les magazines des années cinquante, des belle-filles maniérées comme des pestes, mais rien n'est gratuit.
Omar Porras parle facilement de son travail. On le voit ici discuter avec Marc Jeancourt ... peut-être de l'emploi de la carte blanche qui lui est offert samedi 23 mars. Il parait qu'il promet de faire danser tout le monde en Salle des Machines sur les mêmes airs qu'on pourrait entendre si on allait à Bogota, rumba, mango, boléro et chachacha.
La dame de la mer, une pièce d'Henrik Ibsen mise en scène par Omar Porras
Assistant à la mise en scène Jacint Margarit
Adaptation Omar Porras et Marco Sabbatini
avec Sophie Botte, Philippe Cantor, Olivia Dalric, Paul Jeanson, Serge Martin, Jeanne Pasquier, François Praud
Musicien Didier Puntos
Scénographie Amélie Kiritzé-Topor
Maquillage et coiffure Véronique Nguyen
Lumières Mathias Roche
Création son Emmanuel Nappey
Costumes Coralie Sanvoisin
Accessoires Laurent Boulanger
au Théâtre de la Piscine du 18 au 22 mars 2014 (relâche 21 mars)
Ensuite en tournée en Suisse à Morges / Théâtre de Beausobre le 2 avril 2014 puis à Monthey / Théâtre du Crochetan le 11 avril 2014
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Marc Vanappelghem.