La nausée

Publié le 22 mars 2014 par Jean-Emmanuel Ducoin
Le palais de l’Élysée n’était-il donc que le QG d’une mafia politique dirigée par un cabinet noir?
L’illusion médiatico-politique n’aura donc pas duré. Durant quinze jours, à la manière du célèbre proverbe de Confucius («quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt»), la justice de la République montrait le et les coupables, et pendant ce temps-là, maîtres en illusions, les affidés voulaient nous forcer à regarder, tous, dans la mauvaise direction. Ils souhaitaient que «l’affaire» Sarkozy devienne «l’affaire» Taubira. La patience a parfois des avantages que la justice d’un État de droit réclame. Oui, «l’affaire» Sarkozy est redevenue une affaire d’État. Et pas n’importe laquelle. Après la publication par Mediapart d’extraits des fameuses écoutes judiciaires de l’ex-président, les Français découvrent, ahuris, l’accablante opération de corruption mise en place par la Sarkozye. S’ils sont avérés dans les jours qui viennent – comment imaginer le contraire –, ces enregistrements confirmeraient que l’ancien hôte de l’Élysée et son avocat, Thierry Herzog, étaient bel et bien renseignés par le haut magistrat Gilbert Azibert. Nicolas Sarkozy risque d’être accusé de prévarication. Ci-devant, l’un des scandales les plus énormes de la Ve République.
Tout de même, souvenons-nous des jours derniers. Par une stratégie de contournement qui vient d’exploser en plein vol, tout avait été fait pour que le tumulte des éditocrates nous pousse à oublier les scandales à répétition du pouvoir sarkozyste et, surtout, le scandale des scandales pourtant exposés là, sous nos yeux. Les maladresses et les demi-mensonges du gouvernement avaient bien aidé au détournement d’intérêt. Maintenant c’est fini, retour aux choses sérieuses. Les mots divulgués à la France entière donnent le vertige et montrent à quel point Nicolas Sarkozy, dans l’exercice de la fonction suprême, se moquait éperdument de la justice, des juges et du droit. Ces informations mettent à nu un véritable système élaboré par l’ex-président en personne qui ne visait qu’à avilir la justice de son pays, lui, le garant des institutions. Nous savons désormais que le juge Azibert est directement intervenu auprès de trois magistrats de la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt. Téléphones anonymes, noms d’emprunts, rendez-vous dans une principauté de pacotille pour affairistes sans scrupule, menaces et insultes – «ces bâtards de Bordeaux», s’étouffe Me Herzog en parlant des juges –, le chef de l’État a orchestré un véritable complot contre l’institution judiciaire. De quoi avoir la nausée. Le palais de l’Élysée n’était-il donc que le QG d’une mafia politique dirigée par un cabinet noir?
La victimisation a fait long feu ; chaque jour un peu plus nous découvrons l’ampleur du mal. En essuyant ses talons sur «la» politique, le petit bonapartiste des copains et des coquins a abîmé la République. Jusqu’ici, la question de son retour en 2017 ne se posait que par défaut. Si la vie des Français avait vraiment changé depuis l’élection de François Hollande, la peur, légitime, de son retour, aurait été balayée depuis longtemps. Assistons-nous, en direct, à l’arrêt du come-back programmé? Souhaitons-le du moins… Alors que nous votons dimanche pour l’avenir de nos villes, là où 
la noblesse de la politique croise souvent les vraies aspirations du peuple, ces affaires nauséeuses à répétition nous disent aussi quelque chose de l’état de nos 
institutions. La justice a besoin d’indépendance et 
de liberté, c’est même sa raison d’être en République. 
Le sarkozysme triomphant était à la fois une perversion de nos institutions et l’illustration emblématique des dérives monarchiques et oligarchiques de la Ve. Tôt ou tard, il faudra la remplacer par une VIe, plus démocratique et plus citoyenne. Et ôter définitivement toute référence à quelque pouvoir absolu que ce soit.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 mars 2014.]