La Légende dorée et son cortège de 150 saints et martyrs ont de quoi donner des frissons. Si une telle lecture peut sembler indigeste, cette édition plus modeste de la Vie des douze apôtres guérira des appréhensions compréhensibles. Parmi toutes les saintes existences évoquées par Jacques de Voragine, chroniqueur italien du 13e siècle, béatifié en 1816, nous ne sélectionnerons que leurs variantes apostoliques -à peine un dixième du volume original. L'édition est d'ailleurs si modeste qu'elle nous lâche dans le texte sans indication préalable. D'où surgit le déferlement d'informations que nous fournit Jacques de Voragine ? Il faudra se renseigner de sa propre initiative pour apprendre que ses sources sont d'une densité exceptionnelle et comptent par exemple des évangiles apocryphes ou des Pères latins Grégoire de Tours, Saint Augustin, Saint Jérôme ou grecs Jean Chrysostome. Ce travail gigantesque est condensé en quelques pages aussi brèves et savamment articulées que des nouvelles. Eléments attestés, légendes, miracles et symboliques s'entrecroisent dans des ébauches de vie dont la plus ou moins grande crédibilité passe souvent au crible du jugement de Jacques de Voragine. La vie des douze apôtres semble entièrement dirigée dans l'objectif de prouver la lutte de Dieu contre les puissances hérétiques qui se déchaînent au cours des siècles suivant la venue du Messie. On découvre alors un paradigme entièrement exotique faisant se mêler foi et politique sans conscience coupable, les empereurs et princes révélant parfois d'une folie religieuse plus déchaînée encore que celle qu'on aurait préféré attribuer aux apôtres.
" [...] Vespasien avait dans le nez, depuis l'enfance, une espèce de vermine, d'où lui était venu son surnom même de Vespasien. [...] " Je crois que s'il a pu ressusciter les morts, il pourra me délivrer de mon infirmité ! " Et aussitôt les vers lui sortirent du nez, et il retrouva la santé. "
Cette Légende dorée abrégée délivre un lot de trésors narratifs apte à chambouler le plus blasé des lecteurs modernes. Dans le style médiéval le plus épuré, Jacques de Voragine aligne une succession de faits et de renseignements qui font s'alterner l'anecdotique au plus sanglant sans manifester le moindre état d'âme. Les textes religieux ne sont pas ennuyeux comme le sermon d'un prêtre en église lorsqu'ils retrouvent leur véritable source dramatique. On découvrira que l'empereur Domitien fit plonger Saint Jean dans une marmite d'huile bouillante, que Judas tua son père pour un sac de pommes, que des mères misérables découpaient et faisaient revenir la chair de leurs enfants dans de grandes marmites pour se nourrir ou que Néron fut dupé par des médecins lui faisant avaler des grenouilles afin de satisfaire sa curiosité de la gestation maternelle.
Si les douze apôtres revenaient sur Terre, quels miracles pourraient-ils encore accomplir et comment se heurteraient-ils à l'incrédulité contemporaine ? La Légende dorée, même abrégée, nous donne déjà l'aperçu d'une époque qui, sans doute non exempte de défauts, connaissait une passion et une excentricité qui nous feraient presque pâlir d'envie...