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Comme dans chaque domaine, le comics possède ses figures emblématiques. Des personnages charismatiques qui ont participé à l’industrie et à l’évolution des comics book. A l’instar de Stan Lee, Will Eisner et autres Jack Kirby, Alan Moore fait parti des incontournables du genre. Bien que méconnu du grand public, il a profondément marqué son époque et même plusieurs générations avec quelques œuvres qui sont aujourd’hui rentrées dans la culture commune pour, sans doute, ne plus jamais en sortir.
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Si je vous dis V pour Vendetta, La ligue des gentlemen extraordinaires ou encore From Hell, il se peut que votre esprit soit stimulé d’agréables souvenirs hollywoodiens. Mais leur nature première est d’être des œuvres de Moore pour le compte des éditeurs de comics américains. Et quand on connaît le fossé abyssale qui sépare une œuvre littéraire de son adaptation cinématographique, nul doute n’est permis quand à la qualité de ces ouvrages. Alan Moore, outre le fait qu’il soit un britannique à l’aube de sa sixième décennie, est un génie. Au sens propre du terme. Il est dit dans les textes, qu’un génie est « une personne qui se démarque de façon exceptionnelle » et c’est ce qui caractérise (pour de nombreuses raisons) le mieux cet écrivain.
Scénariste de comics le plus primé de tous les temps, Alan Moore laissera derrière lui une œuvre limitée quantitativement, mais d’une richesse incroyable. Absolument tout ce qu’il a écrit (ou presque) dans les années 80′s à 90′s fait partie des « références » de l’univers comics. Beaucoup d’amoureux du comics avancent même qu’il a révolutionné cet art en lui donnant un côté mature et adulte qui n’existait pas ou peu auparavant, et qui a permit par la suite de libérer les scénaristes et d’en attirer de nombreux. Que ce soit dans sa manière de raconter les histoires, de les mettre en scène, ou bien même dans sa manière d’être, le géant à la longue barbe (à laquelle on prête quelques propriétés magiques) se distingue de tous les autres. Qu’on le pense extravagant, effrayant, hautain, arrogant, génie, imposteur ou bien rebelle, Alan Moore parle et fait parler. Et bien qu’il soit encore en activité aujourd’hui, il n’hésite pas à tirer sur tout ce qui bouge dans la presse, y compris (et surtout) ses anciens patrons.
Pourtant, tout n’avait pas bien commencé pour lui. Avec une scolarité chaotique (viré de plusieurs établissements pour toutes sortes de frasques), le jeune Alan a la fibre artistique et abandonne très vite son premier amour, le dessin, pour se consacrer exclusivement à l’écriture, dans laquelle il excelle. Sa carrière commence véritablement en 1983 lorsque Len Wein, le créateur de la série Swamp Thing (DC comics) le remarque et lui demande de venir travailler sur la suite de la franchise, qui est alors la moins vendue du catalogue DC. Moore se prend au jeu et expérimente. Redéfinissant le personnage de manière inattendue, il impose un véritable style de narration et fait remonter en flèche les ventes. Sortant des sentiers battus, il délaisse dans ses récits la vision manichéenne pour se consacrer parfois à des discours de fond sur l’environnement ou la société. Il se fait donc une réputation et peut, en 1987, grâce au crédit qu’il possède auprès de son éditeur et du grand public, entreprendre l’œuvre d’une vie : Watchmen. [Je vous arrête tout de suite ! Oui, Watchmen a été adapté au cinéma par Zack Snyder, et oui c'est une sombre bouse. Mais il ne faut pas être étonné, puisque c'est également le réalisateur de 300 et de Man of Steel, qui sont des boucheries totales.]
Ainsi, Alan Moore et Dave Gibbons vont donner naissance à une des œuvres fondatrice du comics moderne. Partant d’une idée simple qui consiste à imaginer ce que serait le monde actuel si les super-héros avaient vraiment existé, Moore dépeint sur 12 épisodes une société sombre et sanglante, menacée par une guerre nucléaire prête à éclater à tout instant, et dont le seul cadenas est une sorte de divinité radioactive. Ensemble, ils vont créer un univers complexe et torturé, où l’ultra-violence domine et dans lequel les justiciers ne sont que des civils idéalistes ou psychotiques. Encensé par la critique, Watchmen est devenu en une décennie un classique qui fit monter la côte d’Alan Moore à des sommets jamais atteints jusque là. Après des différents économiques avec DC, sa carrière sera assez chaotique, ce qui ne l’empêchera pas de pondre des chefs-d’œuvre comme V pour Vendetta déjà cité plus haut, et dont le film est l’un des rares à ne pas avoir massacré le comics. (A noter par ailleurs que c’est de cette œuvre dont provient les principes et l’emblème des Anonymous)
Outre son statut de pionnier du comic-book, Alan Moore est aussi l’enfant rebelle de cet univers. Ainsi, il se désolidarisera de toutes les adaptations cinématographiques de ses œuvres, les jugeant « merdiques » et arguant le fait que « la différence entre moi et ces films, c’est que lorsque je fais une BD de merde, ça ne coûte pas des millions. ». Dans ses interviews, il tire à boulet rouge sur l’industrie du comics, en avançant que cet art stagne depuis qu’il s’est plus ou moins retiré (ce qui bien évidemment, a vexé un certain nombre de scénaristes).
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Qu’on le déteste ou qu’on l’adule, Alan Moore ne laisse pas indifférent. Si on lui reproche parfois un style plutôt lourd et bavard dans ses ouvrages, il n’en demeure pas moins que la plupart de ce qu’il a écrit est indispensable à lire. Ne serait-ce que pour se faire son propre avis. Plus proche de la retraite qu’autre chose, chacun espère secrètement qu’il entreprendra dans les années à venir une dernière œuvre majeure, pour tirer sa révérence en beauté et mettre tout le monde d’accord. Quoiqu’il en soit, Alan Moore a laissé son empreinte, celle d’un enfant trop vieux pour rêver, mais pas assez pour s’éteindre.
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