Ainsi mes lunettes de soleil perdues dans le lac Ouimet au Mont Tremblant en mille neuf cent soixante-seize. Je canotais avec Camille et mes lunettes sont tombées dans l'eau qui était assez claire. Je les ai vu s'enfoncer lentement, très lentement en tournoyant. J'ai plongé mais n'ai pu, moi qui était pourtant un excellent nageur, les rattraper, c'était désespérant, ma main était à quelques centimètres d'elles et elle tournoyaient, puis on été englouties par l'obscurité glauque, il m'a fallu remonter à la surface. Camille avait stoppé le canot au-dessus et regardait la scène. J'ai toujours gardé cette image en moi. Mélange d'attirance folle, de déception immense, d'impossibilité...
Dernièrement j'ai retrouvé chez lui à Montréal Camille que je n'avais pas revu depuis cette époque. Il a eu une vie bien remplie sur un plan professionnel : big boss, ingénieur responsable d'énormes chantiers dans le monde entier, Brésil, Sud Afrique, Calédonie, USA, etc. et personnel & familial. Il a donc eu des tas de choses à penser dans sa vie. L'émotion était grande. Il y avait tous les potes de l'époque, les copains des perrons comme disait Léveillée, l'atmosphère était chaude et vivante, c'était bien. Camille n'a pas changé d'un poil physiquement, il est toujours aussi gentil, attentionné aux autres, en vraie relation.
Il m'a pris en aparté pendant l'apéro et m'a dit d'un ton très sérieux, presque grave : "Et tes lunettes de soleil tombées dans le lac Ouimet, tu te souviens ? Je les vois encore s'enfonçant dans l'eau..."