« Persona », d’Ingmar Bergman n'est pas un film narratif, il ne raconte pas à proprement parlé une histoire, il articule des émotions, il tisse un ensemble de réflexions, de ressentis. Le début du film relève du cinéma abstrait, son langage à ce moment là est celui de la poésie visuelle, dont relève aussi un long plan où tout est flou, et où on distingue la silhouette de Liv Ullman traversant la pièce jusqu'à la fenêtre…Ingmar Bergman l'homme des visages, de la lumière est aussi l’homme de l’image sur laquelle s’appuie l’émotion, et bien que ces scènes de violence sont épurées, on y ressent la violence pure, celle du désir d'anéantir l’autre. R.Depardon dans « Une femme en Afrique », lui aussi ne raconte pas d'histoire, il entrelace ses émotions au travers la lumière, l'ombre, l'entrebâillement d'une fenêtre. Il s'ouvre aux mondes intérieurs. Et pourtant nous comprenons, et pourtant nous nous émouvons…
La narration a tellement colonisé le cinéma, que l’on peut se demander si notre cinema actuel, n’est pas un cinema sans image, un cinema d’absence, dépossédé de sa matière même. Un cinéma de flux narratif, comme on parle des émissions de flux à la télévison, celles qui ne sont que marchandises, celle qui n’existent que pour les revenus publicitaires qu’elles génèrent.
Dans le documentaire "A ciel ouvert" de Mariana Otero (un documentaire sur un institut pour enfants autistes aux méthodes ouvertes, et "anti psychiatriques ») l'absence d'une esthétisme de l’image est sidérante. Filmée avec une EX1, son rendu pétant de saturation, son manque de finesse (4:2:0), sa grande profondeur de champs, font que l'image relève plus du reportage pour le JT de fin de soirée qu'un parti pris associant l'image en tant que composante du regard posé sur une situation. La télévision impose sa vision, plate, linéaire. Les cadrages aussi, sont empreints de cet esthétisme de reportage, voir ce n'est pas regarder. Si on compare ce documentaire a celui de R. Depardon sur l’asile de San Clemente. R.Depardon pose un regard, il capte l’émotion. Il est seul. Sa camera est son regard et non un outil a enregistrer des images. Image et discours ne sont pas dissociés, mais pleinement réunis. Ne font qu’un. (A noter que le générique de « A ciel ouvert « est incroyablement long , hormis les remerciement compréhensibles, l'équipe technique est imposante même si le dossier de presse veut nous faire croire que la réalisatrice est seule.)
Le cinéma sans image est peut être la forme la plus aboutie du cinema comme marchandise, il est le moment où la narration est parvenue à l’occupation total du sens. Ce paroxysme est porteur de changement, viendra le temps des impressionnistes, des cubistes, qui feront du cinéma nouveau, car l’absence de narration, la non causalité sont au film ce que l’abstraction est à la peinture : une perception intérieure de la réalité, porteuse de sensation.