La mise en perspective du peintre hollandais et du poète marseillais était inévitable, surtout après la visite (au pas de charge, dira Marthe Robert) qu’Artaud fit au Musée de l’Orangerie en janvier 1947, où était organisée une expositions d’œuvres de Van Gogh. De cette confrontation de deux créateurs d’exception, allait naître un essai, Van Gogh, le suicidé de la société, qui définissait sans doute autant le peintre que son auteur.
En 12 tableaux - au sens pictural aussi bien que scénique, finalement - Florence de Mèredieu, une spécialiste reconnue des deux artistes, donne consistance à cette confrontation, comme autant de plans cinématographiques, de séquences parallèles séparées et réunies par des fondus au noir. Les passerelles entre la folie et la création se tendent, les parallèles entre les graphismes apparaissent, les similitudes entre l’inadéquation des deux hommes et de la (bonne) société dans laquelle ils vivaient se font jour, avec l'ostracisme comme décor, jusqu'à la chute. Et se pose, naturellement, la question de l'esthétique, que l’auteure soulève, notamment, dans un paragraphe où l’on retrouve un clin d’œil aussi salutaire qu’inattendu à Audiard et ses célèbres Tontons :
« Ainsi se trouve posée la redoutable question du rapport que la peinture et le dessin entretiennent avec la figuration, la nature ou la "réalité". Van Gogh et Artaud hantent, travaillent, et déconstruisent en férocité - façon équarisseur -, cette figure humaine, animale (végétale ou minérale), irrémédiablement entachée du pathos, de la violence de ce que le peintre d’Arles nommait les "passions humaines". »