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Le Salon du livre de Paris moins pertinent chaque année

Par Eguillot

L'édition 2014 du Salon du livre de Paris Porte de Versailles ouvre ses portes aujourd'hui. Si le salon continue à attirer le grand public, il devient chaque année moins pertinent pour deux catégories de personnes qui jouent un rôle pivot dans l'édition: les lecteurs voraces et les auteurs.

Sélectif, le Salon du livre de la Porte de Versailles l'a été dès sa création. Il n'aurait pu en être autrement, étant donné les milliers de mètres carrés que représente ce salon en plein Paris. Le coût se répercute sur les exposants, et on peut penser en outre que l'organisateur, Reed Expositions, génère chaque année des profits substantiels sur la seule location des stands - sans même parler des entrées payantes.

De tout temps, donc, une très grande majorité d'auteurs ou d'éditeurs qui n'ont pas les moyens de se payer un stand n'ont pas été représentés. Même lorsque c'est le cas, même lorsque de petits éditeurs se groupent pour offrir un créneau (souvent restreint) à leurs auteurs, même lorsque des régions subventionnent certains petits éditeurs, vous pouvez être certain que les auteurs présents au salon auront toutes les peines à écouler leurs livres. Pourquoi? Non seulement à cause de la crise, mais parce que les lecteurs qui viennent se faire dédicacer des ouvrages le font pour des têtes d'affiche.

Les petits auteurs n'intéressent que médiocrement le grand public, qui vient pour les grands noms. Et il y en a beaucoup au salon du livre. Ce sont eux qui se partagent les ventes, et encore leur éditeur n'est-il même pas sûr de rentabiliser son stand. En fait, il y a de fortes chances pour que les gros éditeurs eux-mêmes ne rentabilisent pas leurs stands, puisqu'ils sont présents pour l'image de marque, parce qu'il "faut" y être.

Le Salon du livre de Paris porte de Versailles est une parfaite illustration de ce que peut être une industrie de sommet de pyramide.

Si ce salon convient si bien aux gros éditeurs, c'est qu'ils ne visent pas forcément le même public qu'un auteur autoédité. Le gros éditeur va chercher à faire ses ventes avec le public de lecteurs voraces, bien sûr, mais surtout et avant tout avec les lecteurs occasionnels. D'où la publicité permanente que s'offrent les éditeurs (et croyez-moi, cela coûte de l'argent) en rendant visible chaque jour leurs ouvrages en librairie.

Pour créer du best-seller il "suffit" ensuite de générer un buzz suffisant pour que ce livre sur lequel vous avez misé gros soit celui que le public doit acheter. Certains buzz peuvent d'ailleurs être accidentels, comme la diatribe de Jean-François Coppé sur le livre pour enfants Tous à poil, devenu un certain temps n°1 des ventes. On a en tout cas là un livre typiquement acheté par le lecteur occasionnel, le réel "public-cible" des gros éditeurs.

Une bonne part de lecteurs voraces viendra sans doute au Salon du livre, mais la grande majorité d'entre eux sait bien que la vérité est ailleurs. A l'époque où Internet n'existait pas et que les lecteurs d'ebooks performants n'étaient pas entrés en scène, le Salon du livre de Paris pouvait encore se targuer d'avoir une réelle pertinence, puisque l'espace d'exposition est si grand qu'il représente de nombreuses librairies. 

Plus maintenant. Et en tout cas, de moins en moins chaque année. Car non seulement les lecteurs voraces savent que la diversité de livres que l'on peut trouver sur Internet est mille fois plus variée que sur ce salon du livre, mais de plus en plus d'auteurs le savent aussi.

Nous, auteurs de romans de fiction, ne pouvons plus ignorer que le nombre de librairies décroît chaque année en France, que de nombreux libraires se mettent à vendre d'autres produits en parallèle des livres, réduisant encore la surface d'exposition des livres. Ce n'est pas seulement le Salon du livre de Paris qui devient moins pertinent chaque année, mais aussi les librairies, les éditeurs traditionnels, et pratiquement toute la chaîne du livre.

Doit-on pour autant s'en frotter les mains? Bien sûr, on ne peut que se réjouir de voir des éditeurs exploitant outrageusement des écrivains à l'aide de contrats léonins vaciller sur leurs bases. Le problème, c'est que la politique entre aussi en jeu.

Contrairement à ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, ces gros éditeurs, qui tiennent aussi les médias, sont soutenus par les hommes politiques. Alors même que l'on a enfin un moyen merveilleux de démocratiser la lecture avec l'ebook, alors même que l'on a moyen d'augmenter le nombre de lecteurs voraces (les gens lisent plus lorsqu'ils ont acheté une liseuse électronique, c'est reconnu) et de créer une véritable économie numérique du livre, infiniment plus juste pour les auteurs, on laisse les gros éditeurs s'entendre sur des prix trop élevés pour les ebooks.

On ne favorise pas la concurrence, et devinez ce qui se passe? Les gens se tournent vers autre chose. Internet en tant qu'agrégateur de contenus est à la fois une formidable opportunité et un terrible concurrent pour la lecture de romans. Vidéos, jeux vidéos, clips musicaux, news en tout genre... si l'on veut faire autre chose que lire, ou lire autre chose que des romans, l'offre n'a jamais été aussi extraordinairement variée et attractive.

Je comprends le désir de préserver des secteurs de l'économie, fut-elle une économie de sommet de pyramide, mais ce désir est en train de devenir complètement contre-productif. Cela tue la lecture, et d'autant plus en temps de crise où les moyens des gens se réduisent comme peau de chagrin. Alors certes, un lecteur d'ebook peut représenter un certain investissement au départ, mais il sera rapidement rentabilisé, à condition que le prix des ebooks baisse. Il serait temps que nos femmes et hommes politiques le comprennent.

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