A propos de Wrong Cops de Quentin Dupieux , de Her de Spike Jones et de The Canyons de Paul Schrader
Marc Burnham
Dépourvu de grands enjeux, Wrong Cops, qui était au départ un court-métrage, est une parodie de la Police de Los Angeles façon Police Academy mais en plus trash voire gore. Tout aussi vulgaires que dans les épisodes de la célèbre série produite par Warner Bros et The Ladd Company, les flics mélomanes campés par Eric Judor et consorts ont un sérieux penchant pour la bêtise, la corruption, la consommation de stupéfiants voire certaines troubles, obsessions sexuelles ou addictions en tout genre…
Eric Wareheim
Filmé dans un style (est-ce un style justement ?) et une esthétique qui rendent hommage aux séries américaines des années 1970 (de Deux flics à Miami en passant par Les rues de Los Angeles ou Starsky et Hutch), Wrong Cops, écrit et réalisé par Quentin Dupieux alias DJ Mr Oizo, ne brille pas par sa finesse mais est traversé par certains éclairs d’absurde et un humour assez loufoque et déjanté pour parvenir à arracher quelques (sou)rires même si derrière le caractère outrancier de ces personnages dessinés à gros traits, on ne parvient pas trop à savoir où s’arrête l’hommage formel et où commence l’intérêt du film…
Reste à saluer le style décomplexé du cinéaste français qui poursuit là son exil américain après Wrong…
Autre son de cloche, autre vision de L.A. avec Her, quatrième long-métrage de Spike Jones (Dans la peau de John Malkovich, 1999) qui lui valu l’Oscar du meilleur scénario 2014 (ça tombait bien, il en est aussi l’auteur). Dans un futur proche, Theodore Twombly (Joaquin Phoenix, de tous les plans) travaille comme nègre littéraire dans une entreprise spécialisée dans la rédaction de lettres d’amour rédigées pour des anonymes…
Joaquin Phoenix
Aimant flâner le soir, après le travail, et déambuler dans les rues de Los Angeles, Theodore souffre encore de sa séparation récente avec Catherine (Rooney Mara) dont il ne peut se remettre. En témoignent ces flashbacks où il rêve ou ressasse ses souvenirs amoureux avec sa bien-aimée. Se sentant coupable d’avoir fait capoter leur couple, incapable à la fois d’aller de l’avant ou de revenir en arrière (coincé, donc), Theodore décide, pour combler sa solitude, d’acheter un logiciel doté d’une voix féminine chaleureuse (Ah, la voix éraillée de Scarlett Johansson) qui s’adapte en un instant à vos goûts et à votre personnalité. Au point que Theodore tombe amoureux de cette voix et de cette créature totalement virtuelle…
Amy Adams, Joaquin Phoenix
Malgré ses longueurs (surtout dans la deuxième partie), Her possède au moins deux qualités (pardon, trois bien sûr avec son acteur principal) dont la plus évidente est d’assumer en poussant très loin son concept et un postulat de départ qui énoncerait que, si l’on peut tomber amoureux de la voix d’une personne qui n’existe pas en soi mais qui émane seulement d’un logiciel créé de toutes pièces par l’homme, il n’y a non seulement pas de honte à cela mais pas à porter de jugement moral là-dessus. Cette idée, la plus troublante et la plus passionnante du film, n’est pas sans ambiguïté quant à la part de démagogie qu’elle pourrait contenir. Un autre des mérites de Her (à ne pas confondre avec »Herr », qui veut dire « Monsieur » en allemand) tient dans sa capacité, dans les séquences de flashbacks, à immerger le spectateur dans des univers oniriques à travers les réminiscences amoureuses de Theodore, ce qui n’en rend que plus sympathique et attachant ce personnage solitaire et paumé, devenu un peu asocial alors que renaît paradoxalement en lui l’envie de vivre…
Rien à voir entre le L.A. un brin stéréotypé de Dupieux (soleil au zénith, flics obèses, cocotiers et filles en bikinis) et celui décrit par Jones, où la mégalopole californienne ressemble à une ville suspendue, baignant (planant même) dans une ambiance étonnamment calme et sereine, avec ses couleurs et ses lumières chaudes, avec ses gens qui semblent tous bienveillants dans la rue. Est-ce que ce climat si paisible est vraiment rassurant ? N’y-a-t-il pas dans cette tranquillité apparente quelque chose de suspect et d’étrange au contraire, quelque chose qui contredirait en tout point la souffrance et la détresse au début du film, le côté torturé et ce sentiment de culpabilité qui minent Theodore comme ils minaient le personnage de Leonard dans Two Lovers ? Il y a là matière à s’interroger sans doute sur cette quiétude environnante, en contradiction avec les tourments et l’agitation intérieure de Theodore au début du film. Ce climat de zénitude se justifie davantage ensuite quand Theodore tombe amoureux de la voix, cette voix entêtante, enivrante qui devient pour lui la seule réalité qui existe… Alors que planent le risque d’une déception immense, le danger d’un retour brutal à la réalité, en un mot le spectre d’une perte totale de repères, le film défend avec culot cette théorie et cette idée que c’est cette voix au contraire qui a redonné au contraire à Theodore goût à la vie. Tout simplement…
Lindsay Lohan
On termine avec The Canyons, qui est sans doute le film le plus réussi, le plus abouti des trois et l’œuvre d’un cinéaste et scénariste (Affliction, 1998) talentueux mais trop discret hélas ces dernières années.
Dans The Canyons, écrit par Bret Easton Ellis, L.A. sert cette fois de décor et de mise en abîme idéale pour un polar sulfureux et malsain à souhait sur fond de jalousie amoureuse et de vengeance. Dans le « gratin » d’Hollywood, Christian, un fils à papa producteur (James Deen, ex-star du porno reconverti en acteur est très convaincant ici) est autant rongé par l’ennui que par la folie. Pour tromper ce sentiment de vacuité, il trompe sa femme régulièrement tout en organisant avec elle des soirées échangistes dans leur immense et somptueuse demeure, juchée sur une colline d’Hollywood. Mais Christian est paradoxalement dévoré par la jalousie. Quand il découvre que sa femme Tara, une actrice (Lindsay Lohan de Scarry Movie 5) plus ou moins ratée et hystérique le trompe avec Ryan, un jeune acteur (Nolan Gerard Funk) ambitieux mais tout aussi dépourvu de talent, Christian pète les plombs et décide de faire payer très cher leur idylle au couple illégitime.
Et c’est d’abord à Ryan que Christian (personnage névrosé au sourire et à la tête à claques) va s’en prendre en essayant de détruire la carrière déjà poussive du jeune acteur. Seul hic, c’est que la vengeance de Christian, aveuglé par ses démons, par la haine et la jalousie qui le submergent, est incontrôlable et sans limites, le poussant à commettre des actes irréparables…
Superbement servi par les compositions de Brendan Canning, qui insufflent tout leur rythme à une mise en scène à la fois sobre et élégante (les décors vides comme au début du film et la teinte froide et grise de la pellicule reflètent le vide intérieur des personnages), The Canyons est un étonnant polar autour d’un trio amoureux constitué de seconds couteaux d’Hollywood. Hollywood, décrite ici comme une sorte d’arrière-cour peu glorieuse du cinéma avec ces grands déçus, ces losers que le système engendre et rejette aussi naturellement que cruellement. Fatalement. Pourtant, et c’est là toute la force de ce film que l’on imagine teinté d’autobiographie pour un vieux briscard comme Schrader, il ne faut en aucun cas voir de l’amertume dans The Canyons car c’est un miroir autrement plus intelligent et distant, grinçant et ironique d’Hollywood qu’on a là. Les personnages de The Canyons n’ont rien de victimes et Schrader porte d’ailleurs sur eux un regard sans concessions, sans complaisance. Au contraire, le réalsiateur autrefois célèbre d’American Gigolo (1980) serait même plutôt intransigeant et sévère – pour ne pas dire sans pitié – avec ces trois-là tant ils ressemblent à des perdants certes dépités mais qui ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes…
A la différence d’un Monte Hillman, beaucoup plus amer dans Road to Nowhere, Schrader a su poursuivre un cheminement artistique exigent tout en restant dans les marges. Un peu comme De Palma (The Canyons a été en partie financé grâce au crowdfunding) dont il semble avoir épousé la trajectoire, il a su prendre des sentiers de traverse sous la contrainte mais sans que son cinéma ne perde de sa singularité ni de son inspiration. Davantage que De Palma peut-être…