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Michel Sardou, populiste et populaire ?

Publié le 21 mars 2014 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

michel-sardou-20050721-56503Je vous entends déjà d’ici : Putain, ça ne lui va pas la trentaine, elle ne parle plus que de chanteurs français presque morts ! Rhôa ça va, ce n’est pas comme si je vous parlais de Richard Anthony, de Charles Aznavour ou de Michel Delpech. Seulement, il existe quelques chanteurs qui ont été popularisés dans les années 1960 et dont le succès encore actuel ne tient pas seulement d’une certaine nostalgie de baby-boomers. Mais promis, pour Johnny, j’attendrai que ce soit une nécro pour écrire quelque chose.

Donc aujourd’hui, je vais vous parler du chanteur français préféré de mon parrain, à savoir Michel Sardou. Non content de m’avoir fait découvrir The Who, Cerrone, Franck Zappa, Bob Marley, Statu Quo, j’en passe et des meilleures, mon parrain se dandine encore à l’heure actuelle sur de la house, preuve qu’il est toujours vert. Et donc, fut un temps, il était en boucle sur le Bercy 91 de notre ami Mimi. C’est ainsi que j’ai découvert le répertoire d’un des chanteurs les plus populaires de cette fin de XXe siècle français.

Aujourd’hui, ses nouvelles chansons ne font plus recette. Ca tombe bien, il préfère désormais se consacrer au théâtre, comme tout vieux chanteur populaire et respectable (Eddy, je t’aime d’amour). Mais il a tellement marqué les années 1970 et 1980 de ses chansons teintées parfois d’esprit anti-post-soixante-huitard qui l’ont longtemps catalogué comme militant à l’extrême-droite de l’échiquier politique, chose qu’il a toujours refusé d’admettre en tant que citoyen. Pour preuve, voyant le tollé qu’ont suscité certains titres et ce qu’il s’est pris dans les gencives par les média et les intellectuels de l’époque, il préfère désormais ne plus les interpréter.

Penchons-nous maintenant sur la carrière de cet homme très complexe.

Polémique dès ses débuts

Fils et petit-fils d’acteurs et d’humoristes, Michel Sardou naît en 1947 avec la certitude qu’un jour, il sera bien obligé de monter sur scène pour faire honneur à son ascendance. Sauf que, à force de suivre ses parents dans des cabarets, il s’est dit qu’il n’avait pas la vis comica. Son acte fondateur a été de vouloir se barrer au Brésil à 17 ans : manque de pot, son père le rattrape.

Il signe son premier single à 18 ans, en 1965, avec la complicité de Patrice Laffont (vui, Mirmiton et Barjabule). Il s’appelle Le Madras et c’est un four. Il faut attendre 1967 et une censure du Général de Gaulle, qui voit d’un mauvais œil une chanson écrite en réaction à la rupture de la France avec l’OTAN, pour qu’il commence à faire parler de lui avec Les Ricains. Alors oui, c’est un peu oublier les Anglais et certains Soviétiques, hein, et même le rôle de certains réseaux, mais en tout cas, ça fait mouche et ça le catalogue tout de suite.

Par la suite, ses titres auront moins de succès jusqu’à la sortie de J’habite en France, en 1970, où l’on retrouve des tubes comme Les bals populaires, Mourir de plaisir et Le rire du sergent. Même si le terme beauf n’existe pas, c’est de cette manière qu’il se rallie le public de la France profonde, celle qui n’a pas encore connu les bouleversements de la fin des années 1960.

Il passera donc la première partie des années 1970 à chanter soit des chansons d’amour fou (La maladie d’amour), soit à lancer des textes où il dénonce certains faits (Un curé contre le célibat des prêtres, Le surveillant général contre les abus d’autorité de certains professeurs), soit à se faire tancer par les féministes pour ses chansons Les vieux mariés (Tu m’as donné de beaux enfants, tu as le droit de te reposer maintenant) et Les villes de solitude (J’ai envie de violer des femmes, de les forcer à m’admirer). En tout cas, il ne fait rien pour passer inaperçu, quitte à passer pour un sale machiste qui gueule tout le temps. Un Français de base, quoi.

Mais ce n’est rien par rapport à la bronca qui l’attend pour la suite de sa carrière.

L’homme à abattre

On ne sait pas ce qui s’est passé dans sa vie, dans sa tête entre 1975 et 1976 – est-ce peut-être une crise des valeurs suite à la mort de son père en janvier 1975 –, toujours est-il que c’est à cette époque qu’il gagne la réputation de gros fasciste qui le poursuit encore à l’heure actuelle. En cause, certaines chansons. Le temps des colonies, par exemple, est un titre où il semble faire l’apologie du colonialisme, je vous assure qu’elle met mal à l’aise à l’écoute. Je suis pour, selon Sardou lui-même, parle de la loi du Talion qui tente tout père à l’assassinat de son enfant, et qui sort en pleine affaire Patrick Henry. Légitimement, on pourrait penser que Sardou clame viscéralement sa position en faveur de la peine de mort, mais il assure lui-même que sa chanson est mal comprise et qu’il ne voulait pas du tout se positionner sur le sujet. Mouais, disons.

Parmi ses chansons polémiques, il y a encore Le France, saluée par les communistes syndicalistes et par une frange d’extrême-droite pour son patriotisme, J’accuse, une chanson « bisounours » où il gueule sur tous les maux du monde (ce qui lui vaut aussi d’être accusé d’homophobie), et plus bizarrement, La Java à Broadway, à cause de Quand on fait la java le samedi à Broadway, ça swingue comme à Meudon (coucou, Louis-Ferdinand Céline !), et Je vais t’aimer, où on l’accuse de rabaisser le rôle de la femme devant le triomphe de l’homme conquérant en amour. A cette époque, Michel Sardou divise tellement les intellectuels engagés en politique qu’il devient l’objet de véritables débats de société. Certains patrons de radio se mettent à l’insulter, il y a même des comités anti-Sardou qui se créent en 1977 pour interdire ses concerts, quitte à poser des bombes dans les salles, comme à Bruxelles. En 1978, sort même un pamphlet, Faut-il brûler Sardou ? Finalement, on se dit qu’avec son Sale pute, OrelSan ne s’en sort finalement pas trop mal.

Par la suite, même s’il ne renonce pas à parler de faits de société dans ses chansons (Monsieur Ménard, où il parle d’un prof tabassé par un de ses élèves, Le prix d’un homme, dans le contexte des enlèvements d’Aldo Moro et du baron Empain), cela ne l’empêche pas de parler de sujets plus personnels, au même titre qu’auparavant, il a parlé des relations mère-fils avec Une fille aux yeux clairs (1974), ni même de faire des chansons populaires. En témoignent 10 ans plus tôt, qui devint le slow de l’été 1977, En chantant, composée par Toto Cotugno, où il évoque ses souvenirs, Je ne suis pas mort, je dors, en hommage à son ami Claude François qui venait de disparaître, et surtout le surprenant Je vole, dont le public a pensé que c’était la lettre d’un adolescent qui fuguait, alors que, pour Sardou, il s’agissait davantage d’une lettre de suicide.

L’apaisement et le vrai succès

Si vous me demandiez quelle serait la meilleure période créative de Michel Sardou, je vous répondrais indéniablement les années 1980. Parce qu’il semble enfin libéré des casseroles qu’il se traînait dans toutes les années 1970 et qu’on le sent plus pondéré par rapport aux thèmes qu’il aborde (même si Une femme ma fille, en 1984, le ferait taxer de paternalisme dérangeant d’une part, et d’antiféminisme d’autre part).

D’ailleurs, les femmes sont l’un de ses sujets de prédilection en cette décennie. Il commence en 1981 avec le mythique Femmes des années 80, remixé et complété en 2010 sous les beats de Laurent Wolf. Il y a deux grilles de lecture de cette chanson : soit Sardou regrette la place grandissante des femmes dans la vie publique et leur évidente perte de féminité, soit au contraire, il salue le fait qu’elles savent s’adapter aux défis qui les attendent. On retrouve ce même questionnement dans Marie-Jeanne en 1990. Mais sa chanson la plus marquante sur le sujet reste Musulmanes, qui remporte la Victoire de la Chanson en 1987. Il y dénonce les conditions infligées à certaines femmes dans le monde, notamment pour des raisons religieuses.

Une autre thématique est abordée de manière sporadique par Sardou dans ces années 1980, ce sont les voyages et le monde. Il ne cesse d’exprimer son amour pour l’Amérique et ses arts (que ce soit avec Chanteur de jazz ou Happy Birthday), mais aussi l’Afrique avec Afrique, Adieu (MA chanson préférée de Michel Sardou, qui me rappelle un cri cathartique alors qu’il voulait en faire une chanson désabusée sur l’état du continent) et l’Irlande avec Les Lacs du Connémara, qui n’a été supplanté comme chant de supporter que depuis Seven Nation Army et qui tourne encore dans bien des mariages.

Même s’il s’est fait souvent taper dessus pour ses chansons « engagées », Michou persiste et signe avec une chanson comme Vladimir Illitch, où, tout en rendant hommage à l’idéal de Lénine, il fustige ce qu’est devenu le communisme dans les pays de l’Est. Il s’interroge également sur l’éducation en France, que ce soit avec Les deux écoles (suite aux mobilisations qui ont accompagné la loi Savary en 1984, laquelle projetait de limiter, voire d’interdire les écoles libres. Sardou n’a pas souhaité prendre position, préférant prôner une liberté dans le choix éducatif en disant qu’il avait fait les deux écoles et que ça n’avait rien changé) ou Le bac G, en 1992, où il est carrément passé pour un con de base. En effet, Sardou pensait que le G représentait le bac général, et fustigeait donc ces filières selon lui vides de sens. Il n’a appris que plus tard que cela correspondait à la filière technologique Sciences et Techniques de Gestion. Cela lui a valu des remontrances, notamment de Lionel Jospin.

Bilan : Michel Sardou mérite-t-il sa réputation ?

Si on prend isolément certains titres sans l’explication de Michel Sardou lui-même, il est facile en effet de l’accuser de tous les maux. Mais les chansons qu’il a écrites et interprétées dans les années 1980 et 1990 (prenons par exemple Le privilège, en 1990, qui parle d’un garçon qui hésite à faire son coming-out, et qui est une réponse aux accusations d’homophobie qu’il a reçues avec J’accuse et Le rire du sergent) réfutent en partie ces accusations, sauf celles de sexisme, faut pas déconner. Seulement, le contexte des années 1970 valorisait les artistes porteurs d’engagement sociaux forts. En gros, pour être populaire, il était préférable de chanter des chansons très neutres (coucou Stone et Charden) ou de chanter des chansons qui étaient fortement engagées politiquement (Coucou Jean Ferrat et Léo Ferré).

A mon avis, le problème profond de Michel Sardou est surtout d’avoir voulu « dépolitiser » certains sujets polémiques comme l’écologie, la nostalgie colonialiste de certaines personnes, le droit des femmes et ce qu’en pensaient les hommes moyens, l’éducation… Or, étant donné que, lorsqu’on aborde des sujets polémiques, c’est qu’on est censé donner son point de vue, tout le monde a pensé que c’était vraiment ce que pensait Michel Sardou, alors qu’il ne cesse depuis de se défendre d’avoir ces opinions personnelles. Comme il le dit lui-même : « Je ne me rendais pas bien compte non plus de la portée des chansons. Pour moi, ce n’étaient que des chansons. Pas des professions de foi. »

En cela, l’œuvre de Michel Sardou pose une question essentielle sur la création artistique : est-il possible d’émettre un point de vue dans une œuvre d’art sans pour autant que ce soit celui de l’artiste ? C’est un point de vue qui est alors difficile de concevoir sans avoir la lecture de l’artiste lui-même. D’ailleurs, pour sa chanson la plus dérangeante, Le temps des colonies, Michel Sardou a trouvé THE bonne parade : « Le ciel m’est tombé sur la tête. Je croyais camper un de ces personnages de bistrot qui racontent toute leur vie la bataille d’Indochine. J’ai en partie échoué. Certains journalistes ont compris l’opposé : je sublimais les années coloniales ! J’incitais à la haine raciale ! J’aime chanter à la première personne. J’entre ainsi dans un rôle comme le ferait un comédien. L’engagement est joué. La scène n’est pas un lieu où je me confesse. Le malentendu vient toujours de ceux qui n’écoutent pas. »

La logique artistique de Michel Sardou est donc de se faire passer pour les personnages de ses chansons pour faire passer des idées qui ne sont pas forcément les siennes. Cela fait de lui un artiste extrêmement pudique, ce qui est rare, mais surtout un comédien de génie qui incarnerait donc des personnages très marqués à travers ses chansons. En cela, Michel Sardou serait un artiste tout à fait remarquable qui mériterait qu’on le juge à sa juste valeur.

Loin de ce papier de chanter mon amour absolu à Michel Sardou – certains titres me dérangent plus qu’autre chose, plus par leur ringardise que par leur aspect polémique –, mais j’avais envie de faire comprendre les raccourcis que l’on peut faire face à différentes œuvres d’art, notamment en ce qui concerne la musique, même quand l’artiste mis en cause se défend de donner une portée revendicatrice à son œuvre. Bref, Leave Michel alone.



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