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Réparer les vivants - Maylis de Kerangal *****

Publié le 21 mars 2014 par Philisine Cave
À quoi reconnait-on un excellent roman ?  à son histoire bien ficelée, à l'attachement qui s'opère chez le lecteur vis-à-vis des personnages, à la plume élaborée de son auteur(e), à l'émotion ressentie lorsqu'on le ferme et à sa capacité d'instruire. Il est donc relativement rare de tomber sur une perle littéraire et quand cela arrive, un vrai bonheur nous attend. Réparer les vivants fait partie de ces objets précieux. Réparer les vivants - Maylis de Kerangal ***** Christophe Alba, Simon Limbres et Johan Rocher ont décidé que cette soirée serait leur nuit : celle de la vague à maîtriser, celle passée à surfer. Quels que soient les risques encourus, rien ne vaut une bonne virée entre copains. Le retour à la maison dans le van parental va forcément laisser des traces, et pas qu'indélébiles.
Réparer les vivants est une vraie ode à la vie. Sous un fond tragique (le décès brutal d'un humain), ce roman questionne intelligemment sur le sens du don d'organes. Présentant la question éthique en premier lieu, il aborde les différentes réactions face à la mort d'un être cher comme, par exemples 1) le cas des croyants en la réincarnation refusant le don d'organes sous prétexte que le corps amputé risque d'affaiblir la vie suivante ou bien 2) l'acceptation du prélèvement d'organes vitaux d'un mort cérébral compatible revenant à reconnaître le décès physique de ce dernier (sans possibilité de retour en arrière, sans espoir d'un réveil après un long coma) mais aussi cette forme de culpabilité que tout receveur peut ressentir ( « je vais vivre parce que quelqu'un d'autre est mort. »)
Présenté sous une forme très scientifique (Maylis de Kerangal, n'a pas voulu commettre d'impair dans la description du parcours contre le temps de ce fameux passage de témoins : quatre heures maximum pour qu'un cœur puisse être réimplanté chez un autre humain), Réparer les vivants informe aussi sur l'existence d'un registre national des refus de don (à renseigner si vous êtes totalement opposé(e) à ce qu'un de vos organes soit prélevé à votre mort : votre non-inscription à ce registre est considéré comme un oui implicite). Nous ne sommes que des êtres ambulants : comme les voitures, certains d'entre nous décèderont brutalement, d'autres connaîtront cette phase de coma cérébral permettant le maintien artificiel de leur cœur, leurs reins, leurs poumons ou leur foie afin de servir à nouveau à d'autres (comme les voitures usagées dans les casses offrent des pièces détachées propres et utiles pour réparer d'autres automobiles en circulation).   
Mais, Réparer les vivants ne se résume pas à un plaidoyer au don d'organes : il offre une galerie de portraits attachants (des scientifiques investis dans la survie humaine, des hommes et femmes meurtris par la vie, bousculés dans leur deuil et offrant une existence plus sereine à d'autres, etc) . C'est un texte profondément optimiste et humain qui rappelle l'importance de ce geste gratuit. Maylis de Kerangal rythme parfaitement son écrit en présentant aussi des anecdotes comiques comme l’atterrissage forcé de pizzas sur le mur d'un salon ou sur une fenêtre le soir d'une rencontre de football opposant la France à l'Italie, par exemple. Cette écrivaine formidable, déjà reconnue avec Naissance d'un pont et Tangente vers l'est  donne le meilleur d'elle-même dans le registre du travail (BTP dans Naissance d'un pont, médical dans Réparer les vivants), travaille sur le lexique du corps (ici l'élément finalement principal de son intrigue), manie le vocabulaire avec dextérité (le champ mathématique a le droit à un hommage appuyé à la page 217) et ne laisse absolument rien au hasard (Simon porte un patronyme déterminant qui, sans son R, résume parfaitement sa situation durant tout le livre). Impressionnant.
page 172 « Il est temps, maintenant, de se tourner vers ceux qui attendent, dispersés sur le territoire et parfois au-delà des frontières du pays, des gens inscrits sur des listes selon l'organe à transplanter, et qui chaque matin au réveil se demandent si leur rang a bougé, s'ils sont remontés sur la feuille, des gens qui ne peuvent concevoir aucun futur et ont restreint leur vie, suspendus à l'état de leur organe.»
page 217 (je ne pouvais décemment quitter cette chronique sans mes mathématiques chéries, très sensuelles pour le coup - mais cela, je le savais d'avance) « (elle) n'a pas un regard pour lui quand elle croise et décroise du bas vers le haut ses longs bras d'une beauté antique afin d'ôter son débardeur, désormais inutile, dénudant un buste splendide que composent différents cercles - seins, aréoles ( ...) -, que modèlent différents triangles pointés vers le sol - l'isocèle du sternum, le convexe du pubis et le concave des reins - que creusent différentes lignes - la médiane dorsale qui souligne la division du corps en deux moitiés identiques, sillon qui rappelle en la femme la nervure de la feuille et l'axe de symétrie du papillon -, le tout ponctué d'un petit losange à l'endroit de la crête sternale - le bréchet sombre -, soit une recollection de formes parfaites dont il admire l'équilibre des proportions ...»
Éditions Verticales (271 pages consacrées au texte)
Rentrée littéraire Janvier 2014 Un énorme merci à Annie qui m'a permis de lire ce roman fantastique. avis :   Annie, Cathulu , Clara, Malika, Valérie, Kathel...
et un de plus pour les challenges de Galéa, d'Asphodèle (Grand Prix RTL-Lire 2014 ou Le Roman des Étudiants 2014 France Culture-Télérama) et de Valérie
A tous prix PépitesRentrée d'hiver 2014


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