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Lorsque Sarkozy s'est attaqué aux juges d'instruction, personne n'a parlé assez fort des raisons qui le poussaient alors à s'aménager une justice bien docile.
Mais depuis, on se doutait bien que s'il déroulait le tapis sur sa route avec tant de soin et d'opiniâtreté, c'est qu'il savait déjà que tôt ou tard, sa route croiserait celle de l’instruction judiciaire.
C'est arrivé. Alors quand on l'entend maintenant accuser, à titre de contre-feu, le pouvoir d'être informé des enquêtes dont il est l'objet, on a l'impression d'assister à une bien triste comédie...
Ce sont eux qui parlent aujourd'hui de dictature ? Un comble quand on sait à quel point l'indépendance de la justice à laquelle ils se sont naguère attaqués est la garantie d'une vraie démocratie.
L'UMP et lui appliquent là à la lettre les enseignements de Charles Pasqua, mentor politique de Sarkozy dans les Hauts-de-Seine, qui disait :
«Lorsqu’on est emmerdé par les affaires, il faut susciter une affaire-dans-l’affaire, et si nécessaire, une autre-affaire-dans-l’affaire-de-l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien»
Tous les grands coupables ont contesté la justice devant laquelle on les a traîné : les colonels dans le magnifique « Z » de Costa Gavras, qui n'était pas vraiment un film de fiction, tous les assassins en uniforme présentés au Tribunal de La Haye, le dernier et le plus comedia de l'arte étant Berlusconi qui, comme Sarkozy, bénéficiait d'une presse sinon aux ordres, du moins avide de scandales et nourrie d'agitation populiste.
Comme ceux de Berlusconi, qui étaient « d'infâmes bolcheviks, des gauchistes invétérés », les juges qui enquêtent sur Sarkozy sont des « bâtards, » des laquais du pouvoir... Mais si les juges d'instruction sont des laquais du pouvoir, pourquoi a-t-il voulu les supprimer ??? Lorsqu'il était au pouvoir, lui, que ne s'est-il fait servir par « ces laquais » ?
La vérité apparaît aujourd'hui comme une évidence : s'il a voulu les briser, c'est qu'il n'est pas parvenu à les asservir. On se souvient d'ailleurs que toute la magistrature a défilé dans la rue, une première dans ce pays, pour protéger son indépendance des griffes prédatrices d'un dictateur en devenir.
Traiter aujourd’hui de « STASI » ceux qui, déjà, ne se sont pas laissé mettre au pas lorsqu'il a prétendu les soumettre, cela relève d'une solide mauvaise foi. De plus, c'est une injure aux nombreuses victimes de cette triste institution. Si la STASI existait dans ce pays, Sarkozy serait au nombre des premiers disparus. Or on constate que le canard est toujours vivant...
Dans l'application littérale du principe de Pasqua de créer des «affaires dans les affaires », la publication des écoutes dans la presse est un subtil instrument supplémentaire. Elle est pour lui l'occasion de salir une presse d'investigation qui n'est pas tendre avec les voyous politiques, autant dire tous les vrais journaux à l'exception du Figaro, sainte écriture qui recueille avec respect le nouvel évangile de saint Sarkozy...
Alors posons-nous la question : A qui profite le crime ?
Cette divulgation de l'instruction dans la presse n'est-elle pas, pour lui, la meilleure façon de discréditer le travail des juges de l'instruction avant qu'il n'aboutisse à son inéluctable condamnation ?
Alors, imaginer que c'est de la Sarkozie dure et militante qu'émanent ces fuites, non seulement ce n'est pas délirant, mais c'est parfaitement logique.
Et cela a un nom : l'entrave à la justice. Subtile, indirecte, mais néanmoins.
Dans ses raisonnements figaresques, Sarkozy se prend un peu les pieds dans le tapis : il illustre son propos par « l’acharnement » dont les juges auraient fait preuve à son égard dans « l'affaire Bettencourt »...
Là, il se tire une balle dans le pied : autant que je sache, la justice l'a relaxé dans cette affaire...
Alors, qu'il ait un souvenir traumatique des cauchemars qu'il a pu faire en craignant qu'elle ne découvre le pot-aux-roses, c'est son affaire, mais pour illustrer les dérives de la justice, c'est loupé...
Tout ce qu'on retiendra, c'est que les innocents n'ont pas d'insomnies... Mais cela, ce n'est que l'impression qu'il a donné par son agitation ; la justice, elle, l'a bel et bien relaxé.
Venir nous parler aujourd'hui de « principes républicains foulés au pied » après avoir dit à Latran que l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur », après avoir dit à Dakar « que l'homme africain n'était pas assez entré dans l'histoire », cela relève d'un cynisme rarement égalé dans l'histoire, même par la STASI...
Il déclarait dans Paris Match du 24 octobre dernier « qu'on ne pourrait jamais le détacher du destin de la France ». L'avenir nous apprendra dans quelle rubrique il risque d'y rester. Peut-être pas celle qu'il espère.