L’impératif de la « bonne gestion », décisif pour les élections municipales, peut-il favoriser la Droite ?

Publié le 21 mars 2014 par Cahier

Des candidats interrogés sur leur intention d’augmenter ou non les impôts locaux s’ils sont élus, des maires sortants jugés principalement sur leur bilan financier, des programmes qui associent à chaque promesse des modalités de financement, des électeurs qui s’interrogent sur le bon équilibre entre les recettes et les dépenses de leur commune…  La question des finances municipales occupe une place prépondérante dans la campagne qui se déroule en ce moment pour l’élection des équipes municipales des 36 000 communes françaises. Si cette thématique n’était pas absente lors des scrutins précédents à cet échelon, elle a pris en cette année 2014 une ampleur manifeste, qui l’amène à reléguer, voire à occulter les autres sujets qui étaient jugés prioritaires il y a six ans, comme par exemple l’environnement et la qualité de vie. Alors que la Droite espère conquérir de nombreuses communes, cette focalisation sur l’équilibre des dépenses municipales et le montant des impôts locaux est-elle de nature à favoriser ses listes ?

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Europe, pays, commune : un glissement progressif de la thématique financière

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Comment les finances locales sont-elles devenues le principal critère affiché du vote des Français ce dimanche ? La survenue de la crise de la dette en Europe – Grèce en tête – a mis en lumière les importants déficits publics des pays de la zone euro. La mauvaise situation financière des Etats, aggravée par le vieillissement de la population, a entraîné les pays européens dans une spirale de crise économique, sociale et budgétaire. Les agences de notation ont dès lors sanctionné des pays vivant selon elles « au-dessus de leurs moyens ». Si, pour la première fois depuis 2007 et pour l’ensemble des comptes publics de la zone euro, la dette a baissé lors de l’année 2013 et si les agences de notation ont récemment maintenu le triple A de l’Union Européenne et relevé de « négative » à « stable » la perspective la concernant, la problématique de l’équilibre des dépenses publiques a depuis infusé tous les échelons de la vie politique.

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Lors de l’élection présidentielle de 2012, les Français désignaient, dans un sondage Harris Interactive/Viadeo pour M6, « la lutte contre les déficits, la dette » comme le 2ème thème de campagne ayant le plus compté dans leur vote, juste derrière l’emploi et devant même le pouvoir d’achat. L’assainissement des comptes publics était sans doute perçu par les électeurs comme une condition indispensable pour retrouver des marges de manœuvre politique, et ce toutes familles politiques confondues, quand bien même les électeurs de Nicolas Sarkozy étaient les seuls à en faire la priorité absolue. Tous les candidats avaient largement fait campagne sur ce thème, qui n’avait donc pas permis à l’époque à Nicolas Sarkozy de l’emporter. En comparaison, en 2007, selon le cahier BVA sur la séquence électorale de l’époque , seuls 4% des Français positionnaient la dette publique de la France comme le thème ayant le plus pesé sur leur vote lors de l’élection présidentielle de 2007 qui avait amené Nicolas Sarkozy au poste de Président de la République.

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Cet impératif de bonne gestion est désormais descendu encore d’un cran, à l’échelle municipale. La révélation des emprunts toxiques souscrits par certaines communes a illustré les difficultés économiques rencontrées par des municipalités et symbolisé les risques pesant sur leur avenir. Dans une enquête Harris Interactive pour LCP réalisée au début du mois, les Français ont dès lors nettement mis en avant les finances publiques locales comme priorité absolue de la future équipe municipale : 92% des personnes inscrites sur les listes électorales dans une commune de plus de 1000 habitants estiment que les dépenses de la municipalité devront constituer un dossier prioritaire pour la nouvelle équipe municipale, 55% en faisant même un dossier tout à fait prioritaire. Même degré d’importance accordé aux impôts locaux : neuf personnes sur dix jugent cette question prioritaire, et même plus d’une sur deux tout à fait prioritaire. La sécurité, la promotion du développement économique et de l’emploi ou encore le maintien et la qualité des services publics arrivent dès lors derrière ces questions d’ordre financier. Et de nouveau, on constate que tous les électorats – du Front de Gauche au Front National – accordent une très grande importance à ces aspects. Relevons qu’il n’est pas seulement question de recettes, et donc d’impôts, mais aussi de dépenses, les Français apparaissant attachés à une capacité du politique à agir au niveau municipales.

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Une préoccupation qui traverse tous les électorats et tout le territoire national

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Si l’on regarde dans le détail, c’est également une préoccupation qui traverse tout le territoire national et concerne toutes les communes, quelle que soit leur taille (de 87% à 97% de caractère prioritaire pour les dépenses de la municipalité, et de 86% à 98% pour les impôts locaux selon la taille de la commune). L’institut CSA a d’ailleurs réalisé au cours des derniers mois pour BFMTV, le Figaro et Orange des sondages au niveau national et dans de nombreuses communes. Et dans toutes les villes sondées, le montant des impôts locaux fait partie du top 3 des priorités des habitants :

  • Au niveau national : 48% (1ère position)
  • Hénin-Beaumont : 55% (1ère position)
  • Reims : 39% (1ère position)
  • Béziers : 39% (2ème position)
  • Pau : 33% (2ème position)
  • Paris: 36% (3ème position)
  • Strasbourg : 30% (2ème position)
  • Marseille : 30% (3ème position)
  • Lille : 27% (3ème position)
  • Bordeaux : 26% (3ème position)

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A titre de comparaison, notons que selon un sondage Ipsos réalisé les 7 et 8 mars 2008 pour  France 2, France Inter, 20 Minutes et le Point, « seuls » 26% des Français plaçaient lors des dernières élections municipales l’évolution du niveau des impôts locaux  parmi les thèmes ayant le plus joué dans leur vote, derrière l’environnement, le cadre de vie et la propreté de la ville, les écoles et les crèches, le développement économique, la sécurité des biens et des personnes ou encore le maintien des services publics et des commerces.  Autant de thèmes qui se retrouvent aujourd’hui souvent secondarisés par rapport à la question des finances locales.

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Des solutions privilégiées par les Français qui traduisent en creux une interpellation sur le rôle et la responsabilité des élus municipaux

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Plus précisément, qu’attendent les Français de leur municipalité à ce sujet ? Selon le baromètre Harris Interactive pour LCP dédié aux élections municipales, une absence d’augmentation, et même majoritairement une réduction, des impôts locaux et des dépenses de la municipalité. 57% pensent qu’il faut réduire les premiers, et 55% les secondes. Les électorats UMP et FN défendent particulièrement ces deux évolutions. Les électeurs potentiels du Front de Gauche et du PS espèrent quant à eux une réduction des impôts locaux (62% et 53%) mais sans que cela entraîne une baisse des dépenses municipales (39% et 43%).

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Parmi les différentes pistes proposées pour réduire les dépenses municipales, les personnes interrogées se déclarent avant tout favorables à une réduction des frais liés aux évènements publics de la municipalité (84%) ainsi qu’à une réduction des indemnités des élus (84%). Ces deux premières mesures qui font consensus démontrent sans doute en creux la confiance également en repli envers les élus municipaux, soupçonnés des mêmes excès que les élus nationaux. Le maire, qui jusqu’à présent était perçu comme une figure de proximité honnête et fiable, est de plus en plus comparé aux élus nationaux, et subit une érosion de sa courbe de confiance (57%, -4 points, dans le dernier baromètre de la concertation locale et de la décision publique mené par Res Publica). Plus de six répondants sur dix (63%) se déclarent également favorables au fait de réduire le nombre d’employés municipaux. Ce chiffre est quant à lui sans doute davantage le reflet d’une interrogation sur les compétences municipales et leur chevauchement avec d’autres institutions. Une autre solution plébiscitée par une majorité de répondants consiste à revendre des bâtiments ou terrains municipaux (71%, dont 21% tout à fait favorables). D’autres solutions suscitent des réactions plus partagées comme le fait de réduire les subventions accordées à des associations (51%, dont 19% tout à fait) ou d’augmenter le nombre d’heures travaillées par les employés municipaux sans augmenter leur salaire (50%, dont 19% tout à fait). Ces pistes plaisent aux électeurs de Droite (respectivement 57% et 65%) mais ne reçoivent l’assentiment que d’une personne sur trois ayant l’intention de voter pour une liste PS.

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La réduction du nombre des employés municipaux ou la diminution des émoluments des élus ne doivent cependant pas s’accompagner d’une détérioration des services municipaux. En effet, seuls 34% des personnes qui veulent voir diminuer les dépenses municipales sont favorables à la réduction des frais liés au réseau de télécommunications, 31% à un moindre entretien de l’espace public et seuls 23% à une réduction des services proposés par la commune. Aucune famille politique ne soutient majoritairement ces mesures. Ces réponses dévoilent toute l’ambiguïté des Français qui appellent de leurs vœux une réduction des dépenses à l’échelle municipale sans que cela n’entame la qualité de vie dans leur commune.

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Un bénéfice potentiel pour la Droite ?

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Cette importance accordée à une bonne gestion publique à l’échelle communale est-elle susceptible de profiter aux listes de Droite lors du scrutin à venir ? Au regard des données observées dans les enquêtes précédemment citées, on peut en douter. En matière de dépenses de la municipalité, 19% des Français résidant dans une commune de plus de 1000 habitants estiment préférable pour améliorer la situation dans leur commune d’avoir un maire de Droite, contre 14% un maire de Gauche, 6% un maire du Centre, 9% un maire sans étiquette quand 52% estiment que la couleur politique du maire importe peu sur cette question. Concernant les impôts locaux, 22% plébiscitent un maire de Droite, contre 15% un maire de Gauche, 4% un maire centriste, 10% un maire sans étiquette, quand 49% considèrent que cela fait peu de différence. Bien entendu, chaque électorat a tendance à favoriser un peu plus sa famille politique.

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S’il y a une légère prime à la Droite sur ces questions, elle apparaît trop ténue pour avoir un impact important sur l’issue du scrutin et la Droite n’est, semble-t-il, pas parvenue à capitaliser sur ce point. Notons d’ailleurs qu’interrogés sur leur satisfaction à l’égard de l’équipe sortante concernant les dépenses de la commune, 61% des Français se déclarent satisfaits, cette proportion étant un peu plus forte lorsque le Maire appartient à la Droite qu’à la Gauche (60% contre 54%) mais apparaissant avant tout dépendre de la taille de la commune. Ainsi, ce sont dans les petites communes, qui le plus souvent ont un maire « sans étiquette », que le taux de satisfaction est nettement plus élevé (66% dans les communes de 1000 à 2000 habitants, 72% pour les maires sans affiliation politique).

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Ayant pris conscience de l’importance de cette focale dans le choix des électeurs, nombre de candidats de Droite agitent le chiffon rouge pour dénoncer la politique « dispendieuse » des maires de Gauche.  Toutefois, et en dépit de l’importance croissante accordée à ce thème par les électeurs, il n’est pas certain que la question des dépenses municipales puisse, à elle seule, faire basculer des scrutins locaux en faveur des listes de Droite. En effet, la Droite bénéficie sur cette question d’un moindre bénéfice d’image que sur les questions d’économie ou de sécurité qui demeurent centrales (30% des électeurs jugent préférable pour la sécurité un maire de Droite contre 10% un maire de Gauche), quand la Gauche peut se prévaloir selon les Français de mieux faire en matière de logement, d’actions sociales et d’activités culturelles et sportives. Déjà en 2010 ou en 2012, alors que la Droite avait tenté de faire pour partie campagne sur ce thème, l’impact sur les Français n’avait guère été manifeste en termes de comportement électoral. Bien que centrale, la question des dépenses municipales ne pourra donc être la seule explication à un succès de la Droite dimanche prochain.