À défaut de rayonner autrement, il y a au moins un domaine où la France s’illustre encore, c’est celui des mœurs, ou plutôt, si l’on veut être en harmonie avec le pâle ersatz contemporain de ce qui fut la langue de Voltaire, de l’ « évolution sociétale ».
Notre pays d’origine a en effet le don inégalé de créer de toutes pièces des débats aussi inappropriés que pernicieux, quand ils ne sont pas tout bonnement grotesques. Ainsi en fut-il du « mariage pour tous », sinistre pantomime qui tourna à l’empoignement général alors qu’une vraie volonté d’égalité des droits eût commandé l’instauration d’une union civile accessible à tous et disjointe de l’institution millénaire du mariage.
Mais cette approche équilibrée ne pouvait ressortir d’idéologues apprentis-sorciers pour qui l’égalité est désormais synonyme de nivellement égalitariste. Pour nos zélotes d’une novlangue très orientée, il faut « déconstruire » ; en clair casser tout ce qui peut s’apparenter à un ordre traditionnel vu comme un carcan insupportable. Foin d’une égalité juridique jugée archaïque puisqu’il s’agit de plier la nature aux nouvelles normes érigées en dogme. Pour légitimer la procréation entre individus du même sexe, peu importait que l’on imposât aux homosexuels dupés une affligeante parodie d’un mariage dès lors dénaturé.
L’actuel embrouillamini autour de la « théorie du genre » procède de la même logique. Venue tout droit des États-Unis et fondée sur l’idée que les attributs du sexe biologique ne sont que des stéréotypes contraignants qu’il convient de gommer, le but est là d’enseigner dès la petite enfance que l’on peut choisir librement son « genre ». Échaudés par les fortes résistances suscitées, gouvernement et opposition parlementaire se crêpent encore le chignon pour savoir lequel des deux a commencé à propager la « rumeur » et les intéressés ont tout à craindre d’un « transgenre » mué derechef en objet conflictuel.
Pour qui connaît la Thaïlande et ses nombreux katoey ces circonvolutions très françaises ont de quoi surprendre. Dès le XVIIIe siècle, le Code des Trois Sceaux – l’ancienne constitution siamoise – leur reconnaissait leur place pleine et entière dans un royaume où rien n’empêche aujourd’hui un katoeyd’être indifféremment coiffeuse ou professeur d’université.
En Thaïlande les « genres » ne répondent assurément en rien à une « théorie » ambitionnant un quelconque changement de civilisation. Loin de la perception occidentale qui les assimile volontiers au spectacle et à l’offre sexuelle, les katoeyn’y sont pas considérés comme une « communauté » distincte. Ils s’intègrent au contraire d’autant plus aisément à une société thaïlandaise jugée par ailleurs traditionnelle et conservatrice qu’ils se conforment comme tout un chacun à ses règles. Soucieux du bien commun, leur comportement variera selon les contextes et ils seront d’autant plus respectueux de la famille et des hiérarchies naturelles qu’ils n’essaieront en rien d’y imposer quelque norme transgressive ; même opérés, les katoeyne se verront jamais comme des femmes authentiques car ils ne peuvent enfanter. Le dévouement, le savoir-vivre et la compétence sont pour les Thaïlandais la clé de la vie en société et, Katoeyou pas, celui qui s’affranchit de ces critères a minima de bonne conduite perd irrémédiablement la face.
Souvent enviés en Thaïlande pour leur propension à jouer des deux sexes dont ils réunissent les talents – féminité et virilité –, les katoey y sont aussi honorés tant pour leur beauté singulière régulièrement célébrée que pour des exploits sportifs moins attendus. Le succès populaire du film Satri-lek(« les femmes de fer »), génialement inspiré de l’histoire vraie d’une équipe de katoey qui gagna le championnat national de volley-ball dans la catégorie homme, est à ce titre exemplaire.
En France, en dépit d’ « avancées sociétales » aux buts inavoués, on attend toujours qu’une production audiovisuelle présentât autrement que sous un aspect ridicule, pathétique ou rageusement ghettoïsé ceux de nos concitoyens « qui se travestissent hors période de carnaval », selon la formule immortalisée par notre Préfecture de Police. Quand aux « opérés », ils relèvent chez nous de l’hôpital ou de la « médecine pour tous », selon les convictions.
À rebours de nos préjugés idéologiques, les katoey en Thaïlande sont indissociables de l’identité nationale. Ils ont bien de la chance de n’être pas nés en France car ils participent tout simplement d’une valeur fondamentale et universelle qui s’appelle la liberté.