Un saint pour les vœux à exécuter rapidement : Saint Expédit

Publié le 20 mars 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Voici un culte comme on n’en fait plus. Niché dans le cœur de l’île de la Réunion, se manifeste le culte de Saint Expédit, un saint dont l’origine se mélange entre une erreur manifeste d’étiquette et la survivance du culte d’un autre saint plus ancien, mystérieux, à l’existence passée remise en cause ; un curieux syncrétisme en est né, quelque chose de propre à l’île et dont les populations, dans leur grande diversité, se sont appropriées la figure. William Dalrymple nous explique comment dans l’île on peut voir fleurir de petits sanctuaires peints en rouge sang sur le bord des routes, lieux de culte voués à ce personnage étrange à qui il est coutume de faire des offrandes pour qu’il exauce “rapidement et sans délai” des vœux particuliers. Autant dire que l’église chrétienne regarde ce culte d’un œil torve et suspicieux, même si c’est elle qui se l’est approprié.

Sanctuaire de Saint Expedit à la Réunion - Photo © Christophe André

Au cours de l’année 1931, une boîte contenant des reliques, expédiée par le Vatican, arriva dans l’Île.
Quelque part, en cours de route, il semble que l’étiquette portant le nom du saint ait disparu, et la seule indication qu’on avait sur son contenu, c’était un tampon portant le mot italien : « Spedito » (expédié). Ainsi débuta le culte de Saint Expédit, dont la popularité grandit d’année en année, si bien qu’à partir d’une simple erreur d’écriture, il devint le patron non officiel de la Réunion, saint dont la biographie uniquement orale en vint à cristalliser les espoirs et les craintes de nombreuses ethnies de l’île. Il y a maintenant près de trois cent cinquante sanctuaires dédiés à saint Expédit. Ils se dressent à chaque croisement de routes, couronnent chaque sommet, reposent au fond des ravins les plus désertiques. Ce sont, à la fois, des oratoires pour les fidèles et des sentinelles sacrées qui protègent des terreurs nocturnes. […] Le confondant probablement avec saint Elpide (martyre arménien du IVè siècle, mort à Eski Malatyal, Mélytène à l’époque, Turquie), l’Église catholique locale a fait de lui un martyr des premiers temps de l’Église, et il est représenté comme un jeune légionnaire romain, portant un plastron en argent et une tunique rouge. D’une main, il tient une lance, de l’autre la palme du martyr ; sous son pied gauche, il écrase un corbeau, symbole de sa victoire sur les démons tentateurs. Mais un certain nombre d’attributs plus exotiques ont été ajoutés à cette image conventionnelle de la piété catholique. Les hindous ont intégré à leur panthéon ce saint qui porte maintenant la couleur sacrée de l’hindouisme, et ils voient en saint Expédit une incarnation non officielle de Vishnou ; ceux qui désirent des enfants attachent à la grille de l’un de ces sanctuaires un morceau de tissu jaune safran. De même, les musulmans indo-réunionnais y suspendant des fils de coton, comme ils le feraient sur des lieux sacrés soufis du sous-continent.
Ce culte de saint Expédit s’est aussi révélé populaire auprès des descendants des esclaves qui perpétuent la croyance aux esprits de leurs ancêtres malgaches. A Madagascar, la palme est associée à la mort, alors que la lance et le corbeau de saint Expédit symbolisent le sacrifice, faisant de lui un chaman blanc. Trait plus exotique encore, certains des sorciers de l’île ont donné à ce culte un caractère plus sombre en décapitant l’image du saint, soit pour neutraliser son pouvoir, soit afin d’utiliser cette tête pour leurs propres incantations. […] — Il s’en servait pour jeter des sorts, dit Loulou. Il pensait qu’en décapitant le saint, il le dépouillerait de son pouvoir et s’en emparait pour son propre usage.
— Vous pensiez que cet homme avait un certain pouvoir ?
— Il nous terrorisait ; tout le monde croyait qu’il était très puissant. Mais, à la fin, les gens l’ont flanqué dehors.

William Dalrymple, L’âge de Kali
A la rencontre du sous-continent indien
Libretto, 1998

Photo d’en-tête © Duval Gilbert