Il y a bien longtemps que nous n'étions pas revenu sur un fait historique. Avant de commencer la grande rétrospective sur différents événements de la Première Guerre Mondiale (à l'occasion sur centenaire tant médiatisé), nous allons tenter de nous mettre dans le bain par quelques articles de rétrospective.
Commençons avec un fait marquant il y a 700 ans (et un jour) : l'exécution du dernier maître des Templiers, Jacques de Molay, le 19 mars 1314. Ce bûcher a provoqué la fin du puissant ordre de moines-soldats et financiers fondé après la première croisade, une fin orchestrée d'une main de maître par le roi Philippe IV le Bel.
-Miniature du bûcher de Jacques de Molay-
Voyons comment cet ordre, après avoir connu une grande popularité, a connu une telle fin et comment cette fin est perçue par la postérité.
L'ordre des templiers : des moines soldats devenus puissants
-La croix des Templiers apparaissaient sur les vêtements-
L'Ordre du Temple fut créé le 13 janvier 1129 à l'occasion du concile de Troyes. Le contexte historique est alors celui des Croisades : depuis la première Croisade (1096-1099), les chrétiens, à la suite d'une irrésistible invasion ont réussi à libérer Jérusalem et d'autres villes avoisinantes de la présence Musulmane afin de pouvoir se rendre en pèlerinage sur le tombeau du Christ. Les Etats Latins d'Orient sont alors fondés (Royaume de Jérusalem, Comté d'Edesse, Comté de Tripoli et Principauté d'Antioche : les occidentaux y dirigent des Etats comme chez eux et y calquent le système de la féodalité. L'Ordre du Temple est alors créé à partir de la milice des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon (créée en 1120) : c'est une ordre religieux et militaire qui a pour but de protéger les acquis occidentaux en terre Sainte et d'accompagner la pèlerins chrétiens pour assurer leur sécurité. D'autres ordres furent également créés pendant cette même époque, comme celui des Hospitaliers, chevaliers et moines s'occupant des malades. Les chevaliers de l'Ordre du Temple devait prononcer trois voeux : chasteté, pauvreté et obéissance. Ils doivent également respecter la règle Cistercienne (inspirée de la règle de Saint Benoît), ce qui vient du fait que Bernard de Clairvaux (fondateur de l'ordre Cistercien) a beaucoup oeuvré pour la reconnaissance des Templiers par le Pape. Le nom de Templiers leur fut donné car ils avaient leur "quartier général" dans le palais de Jérusalem qui était considéré (à tort) comme le Temple de Salomon. La popularité de l'ordre augmente vite, notamment grâce au texte de Bernard de Clairvaux L'Eloge de la nouvelle Milice. Dix ans après la fondation, l'ordre est reconnu par le Pape Innocent II en 1139.
Son but étant de protéger les pèlerins, l'ordre a voulu rapidement recruter un grand nombre de chevaliers, qu'ils soient pauvres ou riches. Ils devaient accepter de faire don d'eux-mêmes à vie. Quelques conditions devaient être remplies, comme avoir plus de 18 ans, ne pas être fiancé, ne pas être endetté, être libre, être en bonne santé, ne pas être excommunié... L'ordre est dirigé par un maître qui réside à Jérusalem.
Bien que se devant de protéger les pèlerins avant tout, les Templiers ont également participé activement à plusieurs croisades. On peut le comprendre dans le sens où les croisés effectuaient un pèlerinage (certes militaire) en "prenant la croix". Vus comme redoutables (mais barbares parfois) par les arabes, ils ont participé à certaines grandes batailles, notamment pour entourer les différents rois des Etats occidentaux lors des croisades : Richard Coeur de Lion lors de la Troisième Croisade, Louis IX lors de la Cinquième Croisade. Ils participèrent ainsi à plusieurs grandes batailles des Croisades et même à la Reconquista dans la Péninsule Ibérique.
Grâce à son succès et sa popularité, l'ordre du Temple a cependant dévoyé un de ses trois voeux : celui de pauvreté. En effet, l'accumulation de richesse a rendu l'ordre de plus en plus riche et puissant en Occident. Pourquoi une telle richesse alors que le maniement de l'argent n'est pas à l'origine une de leurs prérogatives ? Parce que pendant les croisades, l'ordre était réputé pour la bonne garde des trésors et objets précieux. De même, pour financer ses structures, ses dépendances et son fonctionnement, l'ordre a du accumuler des richesses. Progressivement l'ordre fut un acteur privilégié des activités de finance, prêtant aussi bien aux marchands qu'au pèlerins, croisés ou rois dans le besoin (comme Louis VII). Il leur a fallu contourner l'interdit de prêt à intérêt formulé dans l'Ancien Testament (Deutéronome, 23, 19). L'ordre devint même une sorte de banque pour les pèlerins qui souhaitaient déposer leur argent en sécurité, utilisant les premières lettres de change (ancêtre du chèque). Les activités économiques et financières du Temple lui ont conféré un patrimoine considérable : au-delà du Trésor du Temple, ce sont aussi des maisons et des forteresses dans de nombreuses régions (Orient, péninsule Ibérique, Europe de l'Est) que les Templiers possèdent. C'est peut-être cette puissance qui a en partie précipité la chute de cet ordre...
Le roi Philippe IV le Bel ou la raison d'Etat incarnée
L'autre acteur essentiel de la chute des Templiers fut le roi Philippe IV le Bel. Roi de France en 1285 et 1314, il a permis un renforcement de l'autorité monarchique et de l'Etat dans le Royaume de France, bien assisté par Guillaume de Nogaret ou Enguerrand de Marigny. Il a notamment retiré aux Templiers la garde du Trésor Royal qui leur avait été confié par Louis VII. Son objectif est d'augmenter la puissance et l'influence du Royaume de France. Il fait lever des impôts ou encore convoque les premiers Etats Généraux. Roi de caractère, il s'affirme particulièrement à l'égard de ses féodaux comme le Roi d'Angleterre ou le Comte de Flandres pendant des guerres qui visent à maintenir son autorité supérieure de suzerain. Cette volonté de puissance lui a même donné l'audace d'affronter le Pape Boniface VIII. Il faut dire que les Papes avaient la sale manie de vouloir tout contrôler dans la Chrétienté y compris en marchant sur les plates bandes des souverains, ce qui n'était pas du goût de notre bon Philippe Le Bel qui souhaitaient lui aussi contrôler son royaume et son Eglise nationale, un peu comme un gallican avant l'heure. Le conflit avait notamment pour objet la bulle pontificale Unam Sanctam qui entendait affirmer la supériorité du pouvoir spirituelle du Pape sur le pouvoir temporel des souverains. Le Roi de France demanda même la destitution du Pape qui réagit par l'excommunication de souverain français.
La chute de l'ordre des Templiers
Si la chute des Templiers fut orchestrée par Philippe Le Bel, il faut toutefois bien éclaircir les raisons de ce complot qui sont en fait complexes.
Il semble que l'ordre a dès la fin du XIIIème siècle connu un déclin moral : il fut sans doute perverti par le gain de puissance. Mais plus concrètement, la perte définitive de la Terre Sainte en 1291 a posé la question de l'utilité de l'ordre. En effet, les Templiers ne pouvaient plus assumer leur fonction originelle qui était la protection des pèlerins et des Etats Latins d'Orient puisque les Musulmans avaient reconquis le Levant. En France plus précisément, la puissance des Templiers gêne le Roi de France. En effet, l'ordre des moines soldats était tout dévoué au Pape qui comme nous l'avons vu un peu plus haut n'était pas en odeur de sainteté. La présence de l'ordre n'était donc pas bien considérée par Philippe Le Bel. Le déclin de l'ordre fut peut-être aussi en partie dû à Jacques de Molay qui d'abord n'a pas donné suite à un projet du Pape Clément V visant à fusionner l'ordre avec les Hospitaliers dans l'optique d'une nouvelle croisade ; et ensuite a bien rendu au roi de France son hostilité, lui refusant d'être chevalier de l'ordre à titre honorifique. La trop grande prudence et la maladresse du dernier maître furent donc fatale à l'ordre.
Pour arrêter les Templiers, Philippe le Bel a également fait preuve d'opportunistes, saisissant au vol des rumeurs au sujet des templiers (reniement du Christ, crachat sur la croix, pratiques obscènes et sodomie). Une arrestation de grande ampleur eu lieu dans tout le pays le vendredi 13 octobre 1307. Les biens du Temple furent confiés au trésor Royal (on est jamais mieux servi que par soi-même). Un procès fut alors organisé pour obtenir des aveux des templiers. Le Roi de France le confia a la Sainte Inquisition puisqu'il fallait que les templiers soient jugés par des instances religieuses. Un certain nombre d'entre-eux moururent de tortures et d'autres ont avoués leurs obscénités avant de se rétracter ce qui fit d'eux des relaps. 54 templiers furent donc emmenés au bûcher le 12 mai 1310. Progressivement, après avoir voulu les défendre, le Pape Clément dû toutefois condamner les templiers au concile de Vienne notamment. De nouveaux aveux eurent lieu en 1313 mais Jacques de Molay ainsi que trois autres templiers se rétractèrent aussi : en tant que relaps, ils furent condamnés au bûcher et brûlés vifs le 19 mars 1314. Les dernières paroles du dernier maître furent alors pour le Pape Clément, le Roi Philippe et son conseiller Guillaume de Nogaret, afin des leur promettre la mort dans l'année à venir et de les maudire jusqu'à la 13ème génération de leur race.
La malédiction de Jacques de Molay
Et cette malédiction fut on peut le dire à l'origine d'un grand intérêt pour cet ordre encore aujourd'hui. Les amateurs d'ésotérismes s'intéressent beaucoup à l'ordre et ses mystères. Il faut dire que pour une malédiction, c'est une malédiction. En effet, les trois visés moururent dans l'année suivante et la succession au trône de France fut chaotique. En effet, aucun des trois fils de Philippe le Bel n'eu de descendance viable pour passer le pouvoir. La lignée des Capétiens directe s'est alors éteinte et à cause du mariage de la fille de Philippe le Bel avec le Roi d'Angleterre, les premières revendications de l'Angleterre sur la succession au trône de France débouchèrent sur la guerre de Cent ans qui causa bien des difficultés à la France. Ces événements sont remarquablement romancés dans les romans Les Rois Maudits écrits par Maurice Druon, que je vous conseille vivement. Ces romans furent à deux occasions adaptés sous forme de série télévisée : en 1972 et en 2005. D'autres légendes persistent au sujet des Templiers : leur quête du Saint-Graal, l'existence d'un trésor, leurs liens supposés avec les Francs-maçons ou encore certains sectes. Le Suaire de Turin ne reproduirait pas la morphologie du Christ mais celle de Jacques de Molay ! Au-delà des rumeurs ou recherches de passionnés, les templiers furent aussi un sujet d'étude donnant lieu à une importante bibliographie. Leur arrestation et ses causes fut débattue entre les historiens. Ce sujet fait donc l'objet d'une certaine vivacité historiographique.
Pour en savoir plus :
Sur Jacques de MolaySur l'Ordre des TempliersSur Philippe IV le Bel
Les 1001 jours qui ont changé le monde, Flammarion.
Vin DEX