La Méditerranée est un cimetière. Cette image ne m’a pas quittée tout au long de cette lecture. L’Eldorado, pour certains, est juste en face, sur l’autre rive, là où nous vivons, nous. Pour eux, un coin à rejoindre absolument pour échapper à la misère, la violence, la faim, la mort. Ils savent tous que le chemin est long et parsemé de pièges mortels, pourtant ils économisent, des familles et même des villages entiers pour permettre à l’un d’entre eux de passer la Méditerranée pour atteindre l’Europe, terre de paix et de délices.
Depuis 20 ans, le commandant Salvatore Piracci à bord de sa frégate d’interception les surveillent, les retrouvent, les appréhendent, les interrogent, les repêchent et les déposent au centre de détention pour qu’ils soient ramenés là d’où ils viennent, qu’ils retrouvent ce qu’ils ont fui. Salvatore Piracci est la sentinelle, il garde les portes de l’Europe, il repousse poliment les envahisseurs. Jusqu’au jour où cette femme le suit et lui raconte sa traversée, qui lui a coûté 3000euros, 1500 pour elle et 1500 pour son bébé, un bébé mort de soif sur le Vittoria, qui devait les déposer de l’autre côté. Mort comme tant d’autres abandonnés en mer, sans eau, sans nourriture, sans carte, ils ont dérivé, entassés, au gré du vent, sous un soleil de plomb. C’est Salvatore qui les a trouvés au bout de 3 jours et a ramené à terre les quelques survivants. Elle ne l’a jamais oublié et vient lui demander un service, une arme pour se venger, tuer le responsable, Hussein Marouk, un homme d’affaires véreux, celui qui a "trouvé le bateau, l’a acheté et l’a mis à la disposition des passeurs, moyennant un pourcentage sur les bénéfices. C’est lui qui a fixé le nombre de passagers qu’il fallait et ui a donné l’ordre d’abandonné le bateau."
De l’autre côté, il y a aussi Soleiman, qui doit quitter son pays et la misère, il doit partir, trouver du travail pour nourrir son frère aîné Jamal, gravement malade et sa mère restés au village. Il va faire la route au côté de Boubakar, parti de chez lui depuis sept ans, ils seront compagnons de route. Il va réussir, il le faut pour sauver Jamal et pour tous ceux qui croient en lui.
Salvatore aussi franchira cette frontière mais dans l’autre sens, parce que la détermination, la force qu’il a vu dans les yeux de ces déracinés, clandestins, lui font rendre conscience de la vacuité de sa vie, de l’horreur de son travail. A son tour, il fuit son pays, sa vie et son unique ami. A son tour, la peur, la faim, la misère, la violence vont accompagner sa quête d’un ailleurs différent.
Ce roman est terrible, aussi terrible que le regard des hommes si souvent repêchés au large de Lampedusa. Je ne sais qu’ajouter. Ah si ! J’avais adoré "Le soleil des Scorta", prix Goncourt 2004, et "Ouragan" du même Laurent Gaudé.
Alors une seule chose à dire : Lisez-les !
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