A quoi sert le secret médical? D'habitude on est tellement d'accord que c'est une valeur importante qu'on oublie de se poser cette question. Le secret médical est déjà inclus dans le serment d'Hippocrates, présent donc aux racines de la médecine qui était pourtant pratiquée alors dans un monde passablement différent du notre. A quoi, donc, sert le secret médical? Il sert à protéger la sphère privée, notre contrôle sur ce qui transparait sur nous. Ce n'est pas tout. Il sert à permettre la confiance entre une personne malade, qui doit se confier à un médecin, et son thérapeute. Sans lui, trop d'informations seraient inaccessibles. On ne dit certaines choses aux médecins que parce que le secret est promis, et de manière crédible. Le secret médical sert du coup aussi à permettre dans certains cas que la consultation ait lieu. Pour certains problèmes, sans secret médical, on ne consulterait simplement pas. Il sert donc à protéger la collectivité, et non pas seulement l'individu. Il la protège même deux fois. En permettant l'exercice de la médecine (rien que ça!) et en permettant le contrôle des maladies contagieuses et le traitement plus généralement des maladies stigmatisées.
L'importance du secret professionnel (l'article 321 du code pénal, dans lequel il est inscrit, concerne les médecins mais pas seulement) est reconnue. Elle a cela dit aussi des limites. Comme son importance est reconnue, ses limites sont clairement encadrées. On a par exemple le droit, devant un danger grave et imminent pour une personne identifiée, d'alerter les personnes susceptibles d'écarter ce danger. Si vous êtes psychiatre et qu'un de vos patients claque la porte de votre cabinet en menaçant de tuer sa femme, et que vous le croyez, vous avez bien sûr le droit d'appeler la police et l'épouse en question.
Alors maintenant, la dangerosité: on l'aura compris, la question n'est pas de savoir si l'on pourrait 'supprimer' le secret médical pour 'protéger la société' en permettant l'évaluation de la dangerosité. Le secret professionnel sert entre autres à protéger la collectivité, qui encourerait des risques si on le supprimait. Il a déjà des exceptions, dans des cas strictement encadrés. La question est donc de savoir si l'évaluation de la dangerosité nécessite un élargissement des exceptions existantes, et si elle le justifierait. La question centrale est donc en fait: qui doit avoir accès à quelles informations pour permettre une évaluation aussi fondée que possible de la dangerosité d'un détenu.
Mais que voilà une question difficile. Elle est d'autant plus difficile qu'une évaluation exacte et sans possibilité d'erreur n'est pas possible. Dans la suite d'une histoire comme celle du meurtre d'Adeline, on aimerait en plus tellement pouvoir garantir la sécurité. Mais au fond que voudrait dire 'garantir'? Quelque part, il va falloir admettre qu'un certain risque, bas, d'accord, même très bas, toujours d'accord, mais non nul, est acceptable. Si on ne l'admet pas, si on souhaite enfermer toutes les personnes comportant le moindre danger pour autrui, alors on transformera la planète en prison.
Que faire alors dans les cas de détenus atteints de pathologies psychiatriques? Confier l'évaluation de la dangerosité au psychiatre? Au juge? Sur quelles bases? Dans quels cas? La réponse est loin d'être simple.
C'est peut-être aussi l'occasion de se rappeler qu'un bonne réponse n'a pas besoin d'être simple. En médecine carcérale, lorsqu'un détenu est contagieux les soignants avertissent les gardiens des précautions à prendre sans leur révéler le diagnostic. Les gardiens, quant à eux, avertissent les soignants des mesures de sécurité nécessaires avec les détenus dangereux sans leur révéler leurs antécédents criminels. Si les rôles des uns et des autres sont clairs, protéger sans tout dire en fait c'est possible...