America latina : les contrastes d'une région du monde

Publié le 20 mars 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone

América Latina 1960-2013

Fondation Cartier pour l'art contemporain

261 boulevard Raspail

7501 Paris

Tarifs : 10,5 euros / 7 euros

Jusqu'au 6 avril

AMERICA LATINA 1960-2013 c’est l’exposition qui réunit des photographes de générations, de styles et de pays différents de l’Amérique latine sur ces soixante dernières années.

C’est donc plus de soixante-dix artistes sur onze pays différents qui sont représentés pour dresser le portrait de cette région du monde. La période allant de 1960, au lendemain de la révolution cubaine, jusqu’à nos jours, est marquée par une instabilité politique et d’importants bouleversements économiques, par une succession de mouvements révolutionnaires et de régimes militaires répressifs, par l’émergence de guérillas, puis par des transitions démocratiques.

Durant cette époque tumultueuse, les techniques de photographies traditionnelles n’ont pas suffit à certains artistes pour explorer leur monde, qui, pour la plupart se sont essayés à d’autres supports visuels.

D’emblée, on peut imaginer l’étendue et la diversité du programme. On ne nous a pas menti, c’est bien chargé ! Le cube en verre de la Fondation Cartier nous plonge dans quatre thèmes : TERRITOIRES, VILLES, INFORMER-DENONCER et MEMOIRE ET IDENTITES, dur de ne pas couler avant la fin.

Si nous suivons la chronologie de ces quatre thèmes, on nous invite à nous familiariser en premier lieu avec la notion de territoires, d’identité et de frontières, à travers des carnets de voyages, des cartes, des lignes, pour mieux se recentrer sur les villes, haut-lieu des manifestations populaires où les messages de protestation y sont inscrits. Ensuite, le sous-sol de la Fondation a pour ambition de nous informer sur la situation économique et politique de ces onze pays sur ces soixante dernières années où beaucoup de photographes on su tirer leur art de ce contexte. En somme un immense puzzle aux couleurs et messages contrastés.

Des territoires pour un continent, des mots pour une image, de nombreuses formes pour un fond, c’est le programme d’America Latina.

1/ DES TERRITOIRES POUR UN CONTINENT

Depuis le 15ème siècle, l’Amérique latine a sécrété beaucoup de convoitises et de dépossessions. On parle de territoires vastes et contrastés, de territoires liés à une quête identitaire. Certains photographes latino-américains sont partis à la recherche de ceux qui survivent. Là où les autres ne vont pas.

Dans les années 1980, la photographe brésilienne Claudia Andujar part à la rencontre des Indiens Yanomanis, exposés aux maladies apportés par les chercheurs d’or et de pierres, lors d’une expédition humanitaire visant à vacciner la population atteinte de ces maladies contagieuses. Dans la série « marcados », marqués en portugais, l’artiste photographie ces corps matriculés, ces individus réduits à un seul nombre.

A cette même époque, le photographe Miguel Rio Branco retranscrit en image l’atmosphère chaude et poisseuse des périphéries de la ville de Rio où les incitations sexuelles, l’oisiveté, la mendicité ainsi que les déchets sont omniprésents. En effet les grandes mégalopoles du continent se durcissent à proportion des périphéries urbaines qui s’étalent et s’étirent, se déstructurent et se ghettoïsent.

En 1998, l’artiste péruvienne Luz Maria Bedoya, par la force des ses images, essaye de donner une définition au terme de « territoire », de « frontière ». Elle créera la série Pircas, pour mener à bien sa mise en scène du « territoire ». En langue quechua, les pircas signifient un ensemble de pierres, un mur, utilisés durant l ‘époque précolombienne pour délimiter les parcelles de terres. Les frontières nous semblent alors fragiles et par conséquent les territoires aussi, comme si le continent latino-américain faisait figure d’un immense patchwork où grand nombre d’appartenances sociales et ethniques cohabitent et survivent.

En 1997, l’artiste plasticienne brésilienne Regina Silveira imagine quant à elle, un immense puzzle, figure de carte mentale du continent où la métaphore du problème identitaire propre à l’Amérique latine est représentée par des associations chaotiques telles que Che Guevara, la Téquila ou encore Frida Khalo, à l’image de la diversité du continent.

2/ DES (QUELQUES) MOTS POUR UNE IMAGE

Ici, à la Fondation Cartier la relation est étroite entre le texte et l’image, entre les mots et les visuels. En effet, une longue tradition poétique a marqué la culture visuelle latino-américaine, notamment par les poètes et écrivains des années 1950, expliquant à la fois l’importance des mots sur les diverses représentations visuelles et le besoin scénographique des textes descriptifs.

Bien que la photographie enregistre la réalité de manière quasi rapide et fidèle, le texte quant à lui permet théoriquement d‘étendre, ou de modifier le sens de l’image, en somme de lui donner le champ de la subjectivité tout en donnant au spectateur les informations nécessaires à la bonne compréhension de l’œuvre, quelle qu’elle soit.

Dans les faits, la Fondation part du principe que celui qui se déplacera Boulevard Raspail parle espagnol ou portugais. C’est dommage, je n’ai jamais pratiqué aucune de ces langues. Pourtant, dans la deuxième section intitulée LES VILLES, où quatre-vingt pourcent de la population totale latino-américaine vit, on nous explique que l’écrit y est omniprésent, à la fois sur les enseignes, les affiches ou sur les murs qui ont longtemps, parfois toujours, tenus de lieu d’expression, laissant des traces des convulsions politiques et des perturbations sociales. « Des murs qui parlent » certes, encore faut-il pouvoir les écouter. En effet, la plupart des messages inscrits sur les photographies sont traduits. Mais pas tous. Pourquoi ? Je ne sais pas. Cependant il en va de la bonne compréhension de tous de décrypter ces nombreux mots, surtout quand on vous confirme leur importance.

Déjà en 1952, le mexicain Pablo Ortiz Monasterio photographie «ces murs qui parlent », témoignages d’un grand nombres de graffitis, slogans, dessins et affiches publicitaires inscrits au sein même des villes. C’est alors dans l’urgence de dire et de vivre dans ses villes et quartiers oubliés, que nombreux ont été les artistes à se mobiliser. Dix ans plus tard, c’est le photo-journaliste chilien Marcelo Monteccino qui tirera une grande photographie qui s’inscrit dans cette urgence de nous montrer que le regard n’est pas toujours là où on l’attend. L’image de cette jeune fille dos à a ce graffiti qui appelle à la mobilisation populaire « organiser les masses pour créer les conditions de base de la guerre et faire la guerre pour favoriser le développement politique et organisationnel des masses », est représentative de l’histoire qui s’inscrit et de l’histoire qui s’écrit dans ces pays.

Au début des années 2000, l’Argentine connaît une nouvelle crise économique qui inspira le photographe Facundo de Zuviria pour sa série en noir et blanc « Siesta Argentina », qui n’est autre qu’une métaphore ironique de cette crise qui a figé dans le temps ces villes sans habitant et à l’activité suspendue. Ainsi, ces « photos-récits » ont pur but de donner des mots à ceux qui n’ont d’habitude pas la parole. Auparavant le photographe avait photographié en couleur les vitrines colorées d’une ville qui bouge avec les reflets des passants. Les temps changent. Il faut agir.

3/ DES (NOMBREUSES) FORMES POUR UN FOND

Quelque soit la forme, le fond esttrès majoritairement politique, c’est pourquoi nous avons l’impression ici, que les artistes se sont pour la plupart servi de leur talent comme une arme, que ce soit pour y dénoncer les clivages ethniques, le néolibéralisme et le consumérisme de masse, la pauvreté et les inégalités, la violence ou encore les disparitions d’individus sous la responsabilité de l’Etat.

En 1979, l’artiste visuelle chilienne Lotty Rosenfeld se met à genoux au milieu des routes et trace des prolongements de bandes blanches. Il y était représenté, par ce marquage au sol de zones urbaines, des croix, en commémoration des morts durant ces décennies, ainsi que des « plus », à l’image d’une pluralité au Chili, un pays aux ouvertures inexistantes. Ces marquages originaux, tel un cimetière à perte de vue, restent bien en deçà du nombre de personnes disparues pendant la dictature chilienne du début des années soixante-dix à l’année quatre-vingt-dix.

En 1980, dans un contexte de dictature militaire au Chili, le photographe Elias Adasme s’essaie à un exercice de « guérilla créatrice » en assumant son propre corps comme support près de la carte de son pays, significatif du corps social.

En 1993, pour lutter contre la famine, l’artiste visuel Graciela Sacco affiche sur les murs des cantines scolaires, des photographies de bouches grandes ouvertes pour dépeindre les bouches affamées des enfants qui se contentaient d’un seul repas à l’école pour la journée.

America Latina, comme il a déjà été dit, n’est pas qu’une exposition de photographies, elle regroupe aussi beaucoup d’autres visuels comme les œuvres de l’artiste péruvien Herbet Rodriguez, qui fait l’association originale de collages de photocopies, de papier journal et de sérigraphies, dont notamment « Violenca Estructural » qui a été conçu en 1989 pour la campagne Art/Life contre la violence à la fin des années quatre-vingt, époque d’intensification des confrontations entre les groupes gouvernementaux et l’armée. Ainsi cette œuvre, qui avait pour fonction d’être un carton gris informatif, a cherché l’impact visuel et a voulu communiquer des idées par des expressions simples et directes accompagnées d’images effectives. La violence structurelle dont il est ici question relate d’une violence latente, cachée et silencieuse, à l’image des situations de grande pauvreté qu’a connu, en fait majoritaire, la population latino-américaine. Cette société civile s’est alors trouvée paralysée par la crainte et l’artiste s’est armé de son art pour agir. En bas, à droite du tableau, on peut lire : « Faire de l’art sa vie équivaut à provoquer des réponses et questionner la rationalité qui niche dans tout ordre. » Quelle chance, mon fiancé est espagnol, je serais passée à coté de cette magnifique phrase.

Bien heureusement, les systèmes démocratiques ont fleurit en Amérique Latine et, comme ailleurs, on veut croire que cela marchera.

Malheureusement, à la fin de l’exposition j’avais vu trop de textes, trop de photos, trop d’artistes, trop de murs, un trop plein de trop malgré la qualité et la légitimité certaines de ce qui nous a été dévoilé. A l’image de ce magnifique continent, mon opinion est contrastée. América Latina est néanmoins une production visuelle particulièrement éclairante sur les bouleversements qu’a connu cette région du monde depuis les années 1960. Je vous avise donc fortement d’y aller (c’est le moment, il ne reste plus beaucoup de temps !), prévoyez d’y passer une demi-journée avec un snack entre les deux étages