Blindness - 8,5/10

Par Aelezig

Un film de Fernando Mereilles (2008 - Brésil, Japon, Canada) avec Julianne Moore, Mark Ruffalo, Danny Glover, Joel Garcia Bernal, Alice Braga, Yukuse Iseya, Yoshino Kimura

Fascinant.

L'histoire : Dans une grande métropole, un homme soudain devient aveugle... Sa femme l'emmène chez l'ophtalmo qui, intrigué, ne voit absolument rien d'anormal. Avant même qu'il n'ait pu en parler à des confrères, d'autres cas se multiplient. Une épidémie de cécité. Forcément infectieux ou viral. Tandis que les scientifiques du monde entier planchent sur la question, on enferme les contaminés dans un vaste sanatorium désaffecté et on installe une barrière de sécurité autour d'eux. On leur fait parvenir de la nourriture... et de nouveaux compagnons aveugles. L'ophtalmo, atteint à son tour, accompagné par son épouse qui elle - miraculeusement - voit, mais ne le dit pas pour ne pas quitter son mari, rejoignent ce huis-clos cauchemardesque. Aidés par le fait qu'elle n'est pas aveugle, ils tentent d'organiser un semblant de vie en société. Mais qui sont-ils pour se prévaloir d'une telle autorité. Un jeune délinquant, armé, déclare que ce sera lui le chef et ses directives sont effroyables. Le chaos s'installe...

Mon avis : Un film captivant du début jusqu'à la fin, jusqu'à la toute dernière réplique. On a beau se dire que le dénouement est un peu attendu, le réalisateur arrive encore à nous surprendre en concluant par cette ultime pirouette philosophique. J'ai adoré.

Ca commence avec une banale histoire de contamination, puis on sombre dans l'épouvante et le glauque, avant de conclure dans une sorte de poésie. Rarement vu un truc pareil.

Cette histoire apocalyptique est tout sauf du grand spectacle, pas de scènes gore, pas d'effets spéciaux, pas de sauveurs d'humanité ; c'est un drame intimiste, qui nous touche au plus profond de nous, tant il est juste, tant il résonne de tout ce que l'on peut craindre mais aussi espérer de l'homme, de certains êtres plus précisément, des âmes fortes et pures. Rares. Les plans lumineux sur les couloirs envahis de détritus contrastent avec l'obscurité omniprésente, angoissante, qui nous met (un peu) dans la peau de ces personnages en plein cauchemar. Les cadrages, les mouvements, le rythme, les acteurs, les idées qui sans cesse alimentent le scénario nous plongent pendant deux heures dans un autre monde, bien différent de ce qu'on nous montre habituellement dans les blockbusters, un monde infiniment brutal mais emprunt de sensualité. Oui, de sensualité. Les cinq sens moins un. Ces gens qui peu à peu se reconnaissent à la voix, aux bruits, touchent sans cesse les objets, les visages, sentent mille odeurs (qui doivent être épouvantables, entre l'hygiène réduite à néant, les déchets, et les cadavres), et éprouvent un immense bonheur à manger un peu de nourriture... les cinq sens, je disais, sont exacerbés, pendant tout le film, montrant toute l'aide et la beauté dont ils sont porteurs.

Bien sûr, la nature humaine n'est pas à la fête. L'ignominie est partout. Et elle est terrifiante, voire dérangeante, car on sent que c'est exactement comme ça que tout se passerait... On se demande comment les premiers hommes ont réussi à constituer des petites communautés sans s'entretuer. Qui a eu le premier l'idée qu'il faut un guide, un chef ? Démonstration magistrale sur le pouvoir, que l'on hait, mais dont on a besoin ; sur les fortes personnalités, que l'on hait, mais dont on a besoin. L'anarchie ne peut exister. L'homme n'est pas fait pour ça. Il ne survivrait pas. Et le plus armé de tous ne sera plus rien lorsqu'il n'aura plus de balles... La seule vraie force est dans le coeur des braves.

Je suis lyrique ? Ah oui, complètement ! Franchement, ce film m'a fait atteindre des bonheurs en forme d'interrogations philosophiques !

Dans cette ville dévastée, comme ils sont attendrissant ces gens par petits groupes qui se tiennent par l'épaule ou par la main pour avancer, pour chercher un abri, un foyer, reconstruire une famille. L'homme a l'instinct grégaire. On comprend pourquoi. Nous avons besoin les uns des autres. La "civilisation" est infiniment fragile. Waouh. Quand je vous dis que c'est hyper intelligent, ce film !

Une ode à l'humanité, malgré la noirceur du propos, une ode à la mère qui surveille ses petits et verse quelques larmes quand ils n'ont plus besoin d'elle.

On ne saura pas d'où vient cette épidémie, ni pourquoi une seule femme n'est pas atteinte. Et ça n'a aucune importance, car il faut voir ça comme une fable (d'ailleurs la ville n'est pas identifiée* et les personnages n'ont pas de prénoms). Terrible. Une leçon de vie en quelque sorte. Qui malheureusement ne touchera que ceux en mesure de la recevoir ; c'est là que le bats blesse : le pauvre gars, né dans la misère, enclin à la violence naturellement, pour survivre, n'en a rien à cirer de ce genre de film ! C'est pourquoi il appartient aux "éclairés" d'étendre leur lumière aux autres. C'est quasi religieux, ce film ! On pense à la compassion prônée dans toutes les grandes confessions de ce monde ; un message tellement beau, tellement vrai, qu'il ne faut jamais cesser de diffuser, comme Gandhi en son temps, comme le Dalaï Lama et quelques autres aujourd'hui...

Je crois que vous devez vous dire : elle est devenue complètement cinglée ! Ah le pouvoir du cinéma ! 

Non, franchement, faut le voir ! Naturellement on pense à Perfect sense mais Blindness va beaucoup plus profondément au coeur de son thème.

Incroyable de bout en bout.

Les critiques sont partagées. Certains ont tout bonnement adoré comme moi, d'autres trouvent le message un peu naïf, un peu maladroit, trop moraliste, et donc un peu lourd. Ben moi je trouve que seuls les intellos peuvent dire ça... car, comme dit plus haut, le message qu'il véhicule est loin d'être partagé par tous. Montré dans les écoles, le film pourrait faire l'objet de magnifiques débats avec les élèves, sur l'homme, sur l'humanité, sur sa dualité, sur sa fragilité, sur l'importance de l'amour au sens large. La vie, quoi.

Pour finir, je rappelle que Fernando Mereilles est le réalisateur du magnifique The constant gardener. C'est pas n'importe qui. 

* Pour la petite histoire, le tournage s'est fait à Sao Paulo, multi-ethnique, et sans élément architectural très identifiable.