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"Le veuf heureux"

Publié le 20 mars 2014 par Dubruel

LES BIJOUX (d'après Maupassant)

Commis à la mairie de Paris,

M. Jacques Dury,

Reprochait à son épouse Isabelle, ses goûts

Pour le théâtre et les faux bijoux.

Quand le soir elle sortait,

Isabelle portait

De modestes toilettes.

Mais pour paraître plus coquette

Elle les agrémentait

En toute simplicité

D’un collier de faux rubis

Ou d’une parure en verroterie.

Choqué par son amour du clinquant,

Jacques lui répétait souvent :

-« Pour moi, mon chou,

Tu es le plus rare des bijoux.

Et puisque je n’ai pas assez d’argent

Pour t’offrir de vrais diamants,

Tu devrais ne présenter

Que ta réelle beauté

Sans afficher tout ce fourbi-là »

-« Que veux-tu, j’aime ça.

J’adore le clinquant, moi ! »

Et elle faisait rouler dans ses doigts

Tous ses ornements

Avec émerveillement.

Une nuit d’hiver, étant rentrée

Fort tard, Isabelle se mit à tousser.

Huit jours plus tard, elle décédait.

Peu après, Jacques s’est demandé :

‘’Comment Isabelle

Réussissait-elle à acheter des mets fins

Et d’excellents vins

Avec mon maigre salaire mensuel,

Moi, qui maintenant,

Dès le vingt du mois,

N’ait plus d’argent ?

Je vais vendre ses faux bijoux,

J’en tirerais bien quelques sous.

Son collier de perles noires,

Par exemple, doit bien valoir

Six ou huit francs

Car c’est un travail soigné, vraiment.’’

Jacques se rendit dans une bijouterie

Un peu honteux d’étaler ainsi

Sa pacotille et vouloir se défaire

D’un trompe-l’œil si peu cher.

-« Je voudrais bien savoir

À combien vous estimez ce sautoir ? »

-« Cela vaut quinze mille francs. »

À l’annonce d’un tel prix,

Dury montra son étonnement.

Le marchand se méprit

Sur la grimace du vendeur :

-« Cherchez ailleurs.

Mais si vous n’obtenez pas mieux,

N’hésitez pas. Revenez quand vous voulez. »

Dury pensa : ‘’Quel idiot, bon Dieu !

Il ne sait distinguer le faux du vrai ! ’’

Jacques se rendit alors rue de la Paix

Chez un célèbre bijoutier

Qui examina le collier :

-« Je le connais.

Il vient de notre maison ! » -« Combien vaut-   [il ? »

-« J’en donnerai dix-huit mille. »

-« J’avais cru qu’il était faux… »

-« Comme je dois respecter les textes légaux,

Demanda le bijoutier avec politesse,

Veuillez me donner votre nom et votre adresse. »

-« Jacques Dury,

16 rue de la Corderie.

…Je ne suis qu’un modeste employé. »

Le marchand saisit son registre, l’ouvrit :

-« Ce collier et son écrin ont été livrés

16 rue de la Corderie à Mme Dury,

Le 20 juillet 1866... »

Dury quitta le marchand

Et s’efforça de comprendre comment

Sa femme pouvait posséder un tel joyau.

C’était sûrement un cadeau !

Mais de qui et pourquoi, ce cadeau ?

Les autres bijoux seraient donc aussi des cadeaux.

Puis il se ressaisit : ‘’Comme on est content

Quand on a de l’argent !

Avec de l’argent, on s’en paie ! ’’

Il retourna rue de la Paix.

Le bijoutier lui remit

Dix-huit grands billets

Et Dury lui dit :

-« J’ai d’autres bijoux…de cette succession

…Seriez-vous dans les mêmes dispositions ? »

-« Si vous le souhaitez,

Vous pouvez me les apporter. »

En fin d’après-midi,

Dury revenait à la bijouterie

Avec son précieux coffret.

Presque tout provenait de cette maison.

Voici les estimations :

Six brillants d’oreilles : vingt mille francs.

Sept bracelets : trente-cinq mille

Les broches et les médaillons : seize mille.

Le diadème : onze mille.

Huit bagues : vingt-deux mille

Une parure de saphirs : quatorze-mille.

Le tout atteignait plus de cent

Dix mille francs.

Plus de cent trente mille francs !

Dury alla diner dans un grand restaurant.

Il s’en mit jusqu’aux oreilles.

Il but du vin à soixante francs la bouteille.

Puis il fit un tour aux Tuileries.

Regardant les passants

Avec mépris,

Il avait envie de leur hurler :

‘’ J’ai deux cents mille francs ! ’’

Le lendemain, Dury allait

À la mairie donner sa démission.

Se moquant du qu’en-dira-t-on,

Il dit à ses collègues :

-« J’ai reçu un legs

De trois cents mille francs ! »

Puis il déjeuna au restaurant

Au maître d’hôtel, il avoua, tout excité :

-« Je viens d’hériter

De quatre cents mille francs ! »

Et Dury riait, riait !

Il n’attendit pas un an

Pour se remarier.


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