Rencontre avec Philippe Berthet et Régis Hautière pour Perico T1

Par 7bd @7BD
Il fait incroyablement beau et clair aujourd'hui, alors que je me rends aux bureaux de Dargaud pour une nouvelle rencontre.
Curieux contraste, sous ce chaleureux soleil de février, je vais aborder une histoire bien noire. En effet, accompagné d'autres collègues rédacteurs, journalistes ou chroniqueurs, je franchis la porte de la petite salle de réunion pour rencontrer Règis Hautière et Philippe Berthet.
Les deux hommes ont travaillé ensemble sur Perico, un one-shot en deux tomes – si, si, c'est possible - opus d'ouverture de la collection Ligne Noire chez Dargaud.
 La couverture du tome 1 de Périco : angoisse, argent, arme à feu. Tout est dit !Mais qu'est-ce donc que cette étrange et nouvelle collection «Ligne Noire » ? Philippe Berthet nous répond qu'il ne voulait pas se retrouver cantonné aux « Pin-Ups » jusqu'à la fin de ses jours. En effet, il estime que le pire pour un artiste est de s'endormir, de tomber dans une routine qui nuit à sa créativité.
Se rappelant de « Sur la route deSelma » qui l'avait fait passé d'un public enfant à un public plutôt ado-adultes, Berthet décide alors de partir sur l'illustration d'un one-shot polar avec un scénariste.
Mais il craignait que ce projet ne tombe simplement dans le catalogue des one-shot Dargaud. C'était peut-être l'occasion de créer une collection...
Ainsi est né « Ligne Noire ». Ce projet a une ligne éditoriale simple. Chaque histoire, dessinée par Berthet, est écrite par un scénariste différent.

Philippe Berthet, qui s'est rasé depuis le bouc et la moustache. Notons le professionnalisme du photographe, qui, pour ne pas perturber la pose du dessinateur, a préféré ne pas l'avertir que le mur derrière lui s'affaissait.
Le récit s'axe sur le roman noir au sens large, pas de contraintes de temps et d'époque, surtout pas, car cela permet à Berthet de voyager et de rester en alerte, de se confronter à de nouvelles écritures, tout en travaillant sur un genre qu'il apprécie beaucoup.
Le premier volet de cette collection fut donc lancé avec Régis Hautière.
C'est en découvrant « Abélard », la BD de Régis Hautière, que Berthet fut intéressé par la manière dont l'auteur avait construit la relation entre les deux personnages.
Régis Hautière, fort souriant pour trancher avec l'ambiance un brin polar de cette image noir et blanc
Les deux hommes ont donc commencé à travailler ensemble. La première histoire que Régis Hautière a proposé se déroulait entre New-York et Las Végas, mais Berthet avait déjà écumé New-York en pinceaux et voulait changer d'air.
Régis Hautière a creusé alors une autre idée : un road-movie se déroulant dans le Sud des Etats-Unis. Idée qu'il nourrit grâce à la lecture de « Vendetta » de RJ Ellory,roman retraçant l'histoire de la maffia Italo-américaine. Hautière a trouvé alors les bases de Périco et finalement, les deux premiers tiers de l'album se passent sur l'île de Cuba, dans les années cinquante.
Régis Hautière a donc rédigé l'intrigue de son récit en jonglant avec toute une série de faits réels. Pour éviter le biopic historique, il fallait d'abord un fondement fictionnel que Régis a nourri avec des détails historiques puisés dans la documentation qui l'entourait. Hautière ne travaille pas qu'avec des sources historiques, il se plonge aussi dans la littérature de l'époque, celle qui donne des détails sur le courant de vie, les pensées, et qui a donné les hits à l'époque. Il cite à titre d'exemple " Sur la route" de Jack Kerouac.
Dans Périco, le lecteur découvrira, aux côtés de Joaquin et Livia, les protagonistes fictifs de l'histoire, des personnages réels, comme le trafiquant Trafficante - ça ne s'invente pas -, le général Battista, prédécesseur de Castro ou des lieux ayant réellement existé, comme le Casino du Sans-souci.
Procéder ainsi permet à Perico de raconter une histoire simple qui nous entraîne dans le sillage de ses héros, suspendus aux événements, nous demandant sans cesse, "mais comment tout cela va-t-il finir ?" et de créer également une ironie dramatique : nous savons que Battista sera renversé par Castro, et que ces changements Historiques risquent fortement d'influencer l'avenir de nos deux héros, mais comment ?
Le scénario, renforcé par cette rencontre entre histoire et Histoire, s'enrichit encore plus de certains détails réels, comme le film que Livia et Joaquin découvrent ensemble au cinéma, ou encore la chanson que Livia interprète lors de son premier concert au Sans-souci, tiré pour l'occasion d'un poème de José Marti
Car comment parler de Cuba sans parler de musique ? Et comment réussir à parler de musique en BD ? L'auteur nous propose une réponse : Avec un poème.
Régis Hautière revendique la simplicité de son intrigue, qui lui offre le temps et l'espace pour développer la psychologie et l'évolution de ses personnages. Ce qui lui tient à coeur, c'est aussi de faire évoluer le regard et la perception du lecteur sur ces protagonistes.
Afin de mettre en place cette histoire graphiquement, Hautière et Berthet ont demandé un double volume, soit deux fois soixante pages, ce qui permet de travailler sur des planches allégées en nombre de cases et de donner à la narration graphique du temps et de l'espace.
Berthet s'est aussi réjoui de cet intrigue aux ressorts classiques. Le dessinateur a eu la liberté de pouvoir faire des dessins sur des demi-pages, d'avoir des planches pouvant s'ouvrir ou se fermer sur de grandes cases.
Le second plaisir de Berthet, après l'espace de création offert par Hautière, a été le travail sur les lumières. La possibilité de créer des contrastes, dessiner une BD lumineuse implique aussi forcément des zones d'ombres. Une direction entamée avec "LePrivé d'hollywood" ou "Sur la route de Selma", mais qu'il a poussé encore plus. L'histoire s'y prêtait, alternant ces moments de calme avec des pics soudains de violence extrême.
Berthet et Hautière ont su ne pas basculer dans la sanguinolence gratuite. Ce qui rend cette violence encore plus forte, c'est sa briéveté : Quelques cases pour une fin tragique, quelques détails pour une torture...
Le duo a été rejoint par Dominique David, la compagne de Berthet, qui a assuré la mise en couleur. Elle avait envie de laisser l'ordinateur de côté pour revenir à un travail à l'ancienne, tout en aplats. Berthet était d'accord, à condition de garder une certaine subjectivité pour marquer l'ambiance.
Le ciel rouge, la subjectivité à l'état pur
Cette même subjectivité, Berthet l'utilise pour le découpage des scènes, afin d'apporter quelque chose de plus aux dessins et d'éviter un classicisme ennuyeux à réaliser, et aussi à lire.
Page silencieuse, le ressac de cette vague jaune, un découpage se resserrant autour du pauvre Joaquin, héros bien involontaire de cette histoire.Une fois le dessin achevé, la maquette fut confiée à Franck Sarfati et son agence de communication. Berthet a suivi le travail qui a abouti à ce volume de grand format, mélangeant habilement le noir et le jaune. Il faut reconnaître que l'album, de qualité, est un réel plaisir à lire.
Depuis a commencé la tournée de promotion, avec ses belles surprises, comme cette rencontre sur RFI avec Eduardo Manet qui a retrouvé dans Périco l'ambiance du Cuba des années cinquante. Un beauc ompliment pour nos auteurs qui n'ont jamais fait le voyage !
La suite de cette aventure ? Berthet va travailler avec Zidrou sur la prochaine histoire de « Ligne Noire » devant se dérouler en Australie. Le reste sera une surprise pour le dessinateur.
Avec Yves Schlirf, directeur de Dargaud Benelux, ils ont envisagé de faire l'adaptation de romans noirs. L'axe se trace et la porte reste ouverte. En attendant ce fameux nouveau volet avec Zidrou, le tome 2 de Perico, conclusion du dyptique, sortira en septembre 2014 dans toutes les librairies ! Puis le rythme idéal serait de réaliser un album par an.
Cette rencontre fut un vrai régal pour moi : quel honneur de rencontrer Philippe Berthet, après toutes ces années où j'ai voyagé au travers de ses BD, quel plaisir de découvrir Régis Hautière - me voilà bien parti pour plonger dans Abélard - et quel bonheur d'entrapercevoir les méthodes de travail de ces deux auteurs.
Je quitte les locaux de Dargaud, il fait toujours aussi beau. Et je souris car contrairement aux idées reçues, c'est peut-être bien le temps idéal pour un polar !
Zéda tente de s'incruster dans le prochain tome de Périco !
David