Il y a quelques semaines, alors que je me baladais à bicyclette le long de la Vilaine par une journée ensoleillée (ce qui est peu courant ici), je me suis retrouvée aux pieds de cette tour dont tout le monde ne cesse de parler. Marseillaise d’origine et ayant pu à de nombreuses reprises visiter La cité radieuse du Corbusier, j’ai eu subitement l’envie d’aller admirer la vue depuis le haut de cet immeuble, qui déjà vue d’en bas donne un certain vertige. Quelle déception quand arrivée au trentième étage, je compris qu’il n’y avait aucun accès au toit et aucune vue possible…
Bertrand Lamarche, Le Haut Lièvre, 2012
À défaut de pouvoir être entourée d’horizons, je décide d’aller visiter l’exposition présentée au Centre d’art contemporain La Criée intitulée Les Horizons et dont l’élément déclencheur a donc été cette tour surprenante. Retour sur son histoire.
Julier Berthier, L'éternel dernier rayon
Lorsque l’architecte Georges Maillols dessine en 1970 le premier immeuble de grande hauteur en France, communément appelé la tour Les Horizons, il est loin de s’imaginer que son œuvre, pourtant reconnue comme architecture notoire de la ville de Rennes, deviendra, quatre décennies plus tard, l’élément central d’une exposition contemporaine. Son but : « élever l’immeuble le plus haut de Rennes ». Il commencera d’abord par la tour Maillol avant de conclure par la tour des Horizons s’échelonnant sur trente étages et offrant une façade en béton architectonique remarquable (voyez plutôt).
Blaise Drummond, Gewaltige Raume Unerschlossenen Landes
Cette tour moderne devenue monument emblématique de la ville a permis à Sophie Kaplan, directrice de La Criée et à l’artiste Jan Kopp, d’élaborer une réflexion autour de l’espace urbain comme lieu de conflits sociopolitiques mais aussi et surtout esthétique.
Onze artistes d’origines et parcours multiples se sont alors confrontés à l’objet même de l’exposition : la ville. Du chantier aux ruines, du moderne à l‘archaïque, les villes sont insaisissables. Elles sont empreintes de bien d’histoires et de bien des visages. Chaque artiste apporte son regard sur la ville, qu’elle soit imaginaire, réelle ou fragmentaire. Autant de points de vues qu’il y a d’expériences parcourues dans une ville. Les éléments qui la composent : façades, paysages, rues, architectures, vont être les points d’attaque de chacun des artistes présents au travers de différents médiums.
Francis Alÿs, Reel, Unreel, 2011
Bertrand Lamarche et Blaise Drummond ont eux par exemple choisi d’évoquer l’architecture et notamment celle des Trentes glorieuses. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, beaucoup de villes sont partiellement voire totalement détruites. La France ruinée financièrement doit alors reconstruire ses villes avec peu d’argent. Les architectes vont alors s’emparer de cette contrainte économique pour faire agir leur génie. Le béton armé, en pleine expansion au cours de cette époque, va alors être le matériau idéal pour construire vite et grand. Bertrand Lamarche effectue lui une modélisation suspendue dans l’espace d’une des premières barres d’habitation construite en 1959 à Nancy par l’architecte Bernard Zehrfuss, Le Haut Lièvre. Tandis que Blaise Drummond représente la fameuse Cité radieuse du Corbusier (aussi appelée à Marseille « la maison du fada »).
L’artiste Julien Berthier questionne lui aussi l’architecture mais de façon moins historique. Ses dessins détournent avec dérision le mécanisme du réel et renversent la logique du quotidien.
Josef Robakowski, The Market, 1970
Si l’architecture inspire Berthier, Drummond et Lamarche, l’artiste Josef Robakowski va lui s’intéresser à la rue et à ses passants en filmant en noir et blanc et en plan fixe le marché de Lodz depuis sa fenêtre et tout en variant la vitesse d’enregistrement de façon à perturber la perception du réel.
Francis Alÿs interroge lui aussi le réel. Dans son œuvre intitulée Reel, Unreel, il capture deux enfants déambulant dans les rues de Kaboul, le premier déroulant une bobine de film comme un cerceau et le second l’enroulant quelques mètres derrière lui. Par cette action, l’artiste fait part de son engagement dans cette ville tendue géopolitiquement où les talibans ont notamment pu brûler les bobines de nombreux films.
De Kaboul à San Francisco, de Gaza à Berlin, de Caracas à Marseille, en passant par Lodz, Rennes ou encore Nancy, ces travaux appartiennent à des réalités différentes mais apparaissent comme des espaces en mouvement, où tout est perpétuellement changeant. Cette exposition s’intéresse finalement à la façon dont les gens s’approprient ces lieux. Qui sont-ils ? Quelle est leur histoire ? Ces travaux peuvent être donc perçus comme des témoignages des conditions sociales.
Marine.
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Du 14 mars au 11 mai 2014LA CRIÉE
CENTRE D’ART
CONTEMPORAIN
Place Honoré Commeurec
35000 Rennes
Tel. +33 (0)2 23 62 25 10
Fax +33 (0)2 23 62 25 19