Aujourd’hui, revenons l’instant de quelques lignes sur les concepts de base, comme l’importance d’une égalité devant la loi, du contrôle des administrations, et de la nécessité d’une probité hors norme de nos hommes politiques. Et pour cela, illustrons avec deux exemples actuels, qui montreront que A/ la loi, c’est pour les autres, B/ le contrôle des administrations, me faites pas rire, et C/ la probité des hommes politiques, ha ha ha la bonne blague.
Comme je le remarque parfois au détour d’un de mes billets désabusé, l’État est une véritable mafia. Le jeune démocrate naïf, à la carte d’électeur encore vierge de tout tampon républicain et tout frémissant à l’idée d’aller voter prochainement, s’écriera immédiatement en lisant ça « Quelle exagération ! », avec un mouvement rageur du poing histoire de bien montrer sa désapprobation en mode Non Mais Franchement. Les vieux militants, quant à eux et ne pouvant passer en pertes toute une vie à baratiner et se faire baratiner, jureront leurs grands dieux que non non non, l’État n’est pas une mafia bien que les problèmes courants pourraient bien être le fait d’une certaine catégorie de personnel mais que les intentions et les principes sont bons, comme les petits pavés qui, bien ajustés, mènent à l’enfer sans accroc.
Mais la réalité, celle que refusent de voir les vieux briscards de la politicaillerie et les jeunes noobs de l’engagement citoyen, cette réalité sans fard montre qu’il n’y a pas exagération : il n’y a aucune différence de nature entre une organisation mafieuse et l’État, surtout lorsque ce dernier a abandonné toute prétention à représenter autre chose que ceux qui le dirigent et qui en profitent personnellement et directement. Tout comme une mafia, l’État utilisera d’abord les paroles, les menaces et les sous-entendus pour s’assurer de votre coopération, pour ensuite passer aux rétorsions, aux petites misères et autres vexations si vous montrez quelques réticences à lui accorder ce qu’il désire, pour enfin utiliser la force et la brutalité si, d’aventure, vous vous obstiniez.
Et ce qui se passe actuellement avec Numericable en apporte une preuve flagrante.
Pourtant, comme tout bon mafioso, le parrain Montebourg avait clairement indiqué les termes de la proposition que Vivendi ne pouvait pas refuser : ou bien Bouygues rachetait SFR sans faire de vague, tout se passait bien et des petits bisous républicains étaient échangés, ou bien Numéricable tentait le coup et …
« Il faut que monsieur Drahi rapatrie l’ensemble de ses possessions et de ses biens en France et nous aurons des questions fiscales à lui poser. »
Las.
Peut-être la firme centenaire a-t-elle jugé prudent de s’éloigner de ce clown et de ses propositions : souhaitant logiquement éviter le pire, ils ont choisi l’adversité avec Numéricable, mais se sont probablement épargnés un paquet d’emmerdes futures monumentales (qui peut les blâmer ? Vivendi se souvient sans doute de son cuisant passage dans les mains de politiciens et autres énarques).
Ce qui devait arriver arriva : Numericable se prend donc un petit contrôle fiscal, déjà évalué à plus de 36 millions d’euros. Cette demande est certes ouverte depuis un mois, probablement pour montrer toute la réalité du levier dont dispose le brave Arnaud, mais elle va trouver son importance accrue par l’échec ministériel. On peut parier que la somme demandé par Bercy grimpera, sans parler de l’attention des services de l’État pour eux.
Et puis histoire de montrer qu’en plus des menaces générales sur l’entreprise, Montebourg est aussi capable de cogner sur son patron, on apprend selon la mention consacrée d’« une source gouvernementale » (relayée par BFM) que Bercy a lancé une enquête sur la situation fiscale du PDG de Numericable, et notamment sa résidence fiscale exacte, étant donné l’importance que prend Patrick Drahi dans l’économie hexagonale. Ben voyons.
On imagine sans mal qu’à mesure que les négociations entre Vivendi et Numericable vont avancer, les cognements fiscaux dont Drahi va faire l’expérience vont très probablement s’intensifier. Les noms d’oiseaux (« exilé fiscal », « salodesuisse » et autres joyeuseté du même tonneau) ont déjà commencé à pleuvoir, vaguement adoucis par le langage un peu duplomatique de Montebourg et de son sbire Pellerin. Le parrain ne laissera pas ce deal se faire sans grogner.
Mais voilà : tout le monde semble trouver tout ça parfaitement normal.
Les politiciens, par exemple, n’ont absolument rien à dire sur l’heureuse concomitance de la reprise de SFR par Numericable et d’un contrôle fiscal de la société et de son patron. Du reste, on les comprend : ceux qui sont au pouvoir s’en foutent et comprennent très bien, et ceux qui n’y sont pas n’ont probablement pas envie de faire partie de la prochaine fournée de contrôles.
La presse, par exemple, est mollement atone alors qu’à l’évidence, le ministre use ici de son pouvoir bien au-delà de ses prérogatives pour harceler un citoyen et une entreprise. Les articles se suivent et se ressemblent comme si les recopies un peu remises en forme de l’AFP pouvaient constituer la vraie valeur ajoutée du travail de journaliste économique dans ce pays. Personne pour s’étonner de cette pratique alors que d’habitude, les deux tourtereaux gouvernementaux s’entendent comme des larrons en foire pour louer l’investissement étranger en France ; pourtant, ici, c’est bien un étranger qui investit, massivement, en France, non ? Apparemment, ce n’est pas le bon type d’étranger. Zut alors.
Pas un journaliste pour s’étonner aussi du parti-pris gouvernemental. Le parrain s’agace et cogne, mais tout ceci est parfaitement normal. Et tant pis si la reprise du réseau SFR par Bouygues aurait inévitablement conduit à la fermeture des douzaines de boutiques SFR devenues surnuméraires (car généralement proches de celles de Bouygues), provoquant une pelleté de chômeurs en plus, ce qui ne se produira pas (ou alors, pas de cette façon là) avec Numericable… Personne pour s’interroger sur les vraies motivations qui poussent ainsi Arnaud à faire autant confiance à une entreprise de BTP, ou ce qui l’encourage avec sa frétillance habituelle à sortir que finalement, la concurrence, c’est cracra et qu’il vaut mieux se contenter d’un bon petit cartel de téléphonistes, à trois …
Mais non. Tout le monde s’en fiche. Même pas mal. C’est la France.
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