Magazine Beaux Arts

Les prémonitions de Daniel Pommereulle

Publié le 19 mars 2014 par Pantalaskas @chapeau_noir

Ecorché vif, insaisissable, Daniel Pommereulle n'était pas fait pour les hommages et les rétrospectives. Il était l'homme de l'instant, échappant à toute tentative de classement. Si bien que l'ouvrage "Pour Daniel Pommereulle"  publié récemment aux Editions Impeccables  a choisi de proposer un certain nombre de textes pour  nous donner des éléments d'approche sur une œuvre, sur un comportement, sur une vie.Pour Daniel Pommereulle

Esthétique du tranchant

Personnellement, j'avais croisé le travail de Daniel Pommereulle sans même le savoir. C’était en 1968, dans ce film d’Eric Rohmer : « La collectionneuse ». Un personnage, prénommé Daniel, tentait vainement de prendre en main une petite sculpture : une boite cylindrique hérissée de lames rasoirs. Cette séquence donnait déjà des indications sur la difficulté de Daniel Pommereulle dans sa relation au monde : par quel bout  prendre la vie ? Comment la saisir sans se blesser ? Pour répondre à ces interrogations, l'artiste expérimenta : comédien, cinéaste, sculpteur,créateur d' happening …
La petite boite  hérissée de lames de rasoirs préfigurait cette « esthétique du tranchant »  développée ensuite jusqu' aux sculptures en verre du "tailleur de lumière" selon l'expression de Michel Bulteau.  Lucas Hess, Alain  Jouffroy, Jean-Christophe Bailly, Eric Rohmer, Anne Tronche, d'autres encore participent à cette approche croisée à la fois d'un homme et d'une œuvre. Dès sa jeunesse, la peinture ne lui suffit pas. Il lui faut autre chose.

Sur le fil du rasoir

Les prémonitions de Daniel Pommereulle

"Objet de prémonition" 1974-1975 Daniel Pommereulle

A l'initiative d'Alain Jouffroy, il participe en 1965 à l’exposition « Les Objecteurs ».  Il y a tout juste un an la Maison Rouge à Paris présentait ses "Objets de tentation" (1966) dans le  cadre de l'exposition « Sous influences ». Au seuil du vide, Daniel Pommereulle s'est installé dans l' instable, à la fois physiquement et mentalement. Bien avant l'avènement d'une " esthétique relationnelle"  il a ouvert la voie à cette nouvelle perception du monde, faite, pour ce qui le concerne, d'hypersensibilité et de douleur.  Malek Abbou, dans un texte inédit, rappelle  :
"Jeune appelé du contingent entre 1957 et 1959, Pommereulle subit les "événements" d'une guerre qui  n'ose pas dire son nom. Sentinelle d'un centre de rétention en Algérie, il est le témoin direct d'interrogatoires qu'il a vu pratiquer sur des suspects avec des couteaux, des rasoirs et de fines feuilles de plomb. De tout cela il répugne à parler. Sa contre-violence plastique répond au silence". L'artiste et l'homme  s'engagent alors dans une vie sur le fil du rasoir.
Presque à contre-courant, la couverture de l'ouvrage présente une photographie d'Alain Jouffroy montrant l'artiste installant  une toile "Limited Looser" (1963-1964).  Ce n'est pas le moindre paradoxe de mettre au premier plan l'image d'un peintre au regard de cet itinéraire turbulent, agité. Daniel Pommereulle, même dans son travail sur le plan du tableau, proposait  "Brûlure du ciel", feuilles superposées, l'une jaune, l'autre bleu ciel, les brûlures révélant leur superposition.
Ses amis peintres, Christian Bouillé lui aussi disparu, Jacques Monory sont associés à cette tentative pour cerner l'indomptable. Monory rappelle ses premières relations difficiles avec Pommereulle ": Quand je l'ai connu, il était terriblement agressif. Oui agressif, c'est le mot. Comme il avait rencontré a peu près tout le monde de cette manière, je me suis préparé à ce qu'il soit très agressif avec moi aussi. Donc je me suis dit "on va se battre"."
Rencontrant personnellement Daniel Pommereulle bien plus tard dans les années quatre-vingt dix, je fis connaissance avec un homme ne gardant vraisemblablement  qu'une politesse du désespoir,  désabusé de voir, à ce moment, son travail un peu oublié, d'avoir peut-être aussi  été en avance sur des idées en devenir. Après sa disparition,cette œuvre revient en lumière. L'ouvrage "Pour Daniel Pommereulle" permet à la fois de mieux approcher l'homme pour ceux qui connaissent déjà l’œuvre et offre une occasion de découverte pour d'autres. Il conduit également à regarder l'art de notre temps avec la mise en perspective d'une œuvre prémonitoire.

Photo "Objet de prémonition" : Galerie Christophe Gaillard Paris

Pour Daniel Pommereulle
(dir. Lucas Hees)
Essais et documents
Editions Impeccables
Décembre 2013
ISBN 9782953644593


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pantalaskas 3071 partages Voir son profil
Voir son blog