Thierry Marx: Icône du nouveau paradigme managérial? l'Humain, le Collectif et le Positif

Publié le 19 mars 2014 par Sapiens Pietro Cossu

J'ai réalisé cet interview de Thierry Marx en Janvier 2013.

Je l'ai fait dans le cadre de la certification à l'Appreciative Inquiry pour la Case Western Reserve Business School (Cleveland Univesity programme BAWB: Business as an Actor for World Benefit)

Dès les premières rencontres avec cet homme, l'évidence se pose: il incarne une approche humaniste du management: positive, collective, innovante, responsabilisante. Une approche qui invite à grandir.

Interview de Thierry Marx, Restaurant « Le Sur Mesure » - Hôtel***** Mandarin Oriental – Paris

« L’Humain est au centre ». « Les pépites sont dans l’entreprise »

Thierry Marx Chef Etoilé. Deux étoiles au Michelin. Samouraï Ultime. A réussi dans la grande cuisine, en affirmant les valeurs du Respect, de la Responsabilité et de l’Ouverture, et en développant une action sociale altruiste et responsable. Une icône du nouveau paradigme, du management appréciatif et de l’innovation collective.

Idées Forces et contexte

« Je place l'humain comme axe principal de mes motivations et de la réussite de l'entreprise. En considérant que l'entreprise ne réussira que si - dans cette entreprise - les gens s'y épanouissent. »

Cette phrase est une profession de foi. Ce sont les premiers mots de la réponse de Thierry Marx à ma question sur son mode de management. Cela faisait longtemps que je souhaitais rencontrer cet homme pour l’interviewer sur son mode de management. Amateur de cuisine étoilée, j’avais été frappé de l’ambiance unique qui règne dans les restaurants que Thierry Marx a dirigé, que ce soit à Cordeillan-Bages dans le bordelais ou au Sur Mesure à Paris. Qu’il soit présent ou pas, l’accueil et le service y sont non seulement attentifs, ils sont pleinement, spontanément et authentiquement impliqués, à l’écoute, l’ambiance y est sereine et calme. Au-delà de la grande cuisine, on trouve dans les assiettes une écriture diffuse de l’hospitalité. Cela a immédiatement éveillé ma curiosité.

J’ai appris par la suite que Thierry Marx était engagé dans l’action sociale par la formation avec son programme « Cuisine mode d’emploi » et d’autres actions plus récentes du même type. « Cuisine mode d’emploi » est une sorte d’école de cuisine « de la dernière chance » qui forme tous les ans une dizaine de personnes en réinsertion ou sans emploi et sans diplôme.

Cet homme, adepte des arts martiaux à très haut niveau, qui a vécu plusieurs vies, a la réputation d’impliquer de manière responsable ceux qui l’accompagnent dans son entreprise. Tous ceux qui l’accompagnent ou qui l’approchent. Du voiturier au directeur général. Sans jamais verser, même dans ses œuvres sociales, dans l’assistanat. Il le fait avec une attention bienveillante, avec un grand sens du positif, du mot et du geste « juste », de la confiance, de la dignité, de la solidarité, de la combativité et de l’innovation inhérentes à la vie.

Son approche est toujours globale, holistique. C’est de ce point de vue, sinon une démarche innovante, du moins une véritable particularité dans l’univers de la gastronomie, où les modes de fonctionnement très hiérarchisés favorisent malheureusement des organisations très rigides et génératrices d’un grand stress pour ceux qui y vivent.

Innovation et description

« J’ai, je crois, monté un outil managérial qui me permet, depuis quelques années d'oeuvrer dans ce sens et d'avoir des résultats grâce cet outil managérial.

Cet outil est basé sur le respect de l'autre et un vrai travail sur le leadership.

Qu'est-ce que le leadership qu'est-ce que c'est d'être un leader ? Si ce n'est d'observer les compétences de ses proches collaborateurs pour pouvoir les mettre en valeur, et surtout pas de les écraser sous les contraintes. »

Thierry Marx est né le 19 septembre 1962 à Paris d’une famille d’émigrés polonais, avec un CAP de pâtissier et un CAP de cuisine, il gravit les échelons de l’apprentissage, après un passage dans l'armée comme et casque bleu au Liban et diverses expériences (vigile, transporteur de fonds, manutentionnaire…). Il se remet à la cuisine (commis chez Taillevent, Robuchon), ne tarde pas à se faire remarquer et recommence à voyager et multiplier les rencontres surtout en Asie : chef cuisinier du Regency Hôtel de Sydney, Singapour, Honk Kong, Tokyo.

Plusieurs fois étoilé à Nîmes et à Tours, sa renommée se conforte au Relais et Château Cordeillan-Bages à Pauillac où il obtient une deuxième étoile en 1999.

En juin 2011, à la tête de la restauration de l’Hotel ***** Mandarin Oriental de Paris, il ouvre le restaurant « Sur-mesure by Thierry Marx » qui reçoit à nouveau deux étoile au Michelin l’année suivante.

Dans la foulée, il utilise sa notoriété pour intervenir dans le domaine social et ouvre à Paris, une formation gratuite aux métiers de la restauration. Ce programme baptisé "Cuisine, mode d’emploi(s)" est destinée en priorité aux jeunes sans diplôme et aux personnes en réinsertion.. Il continue en 2013 avec la création d'un centre de formation boulangerie, d'un restaurant d'application et d’insertion et un centre de création culinaire. Sur ces derniers projets, il ouvre l’initiative au grand public en impliquant le site de financement participatif « My Major Company ».

Le modèle mis en œuvre par Thierry Marx se distingue par cinq points forts :

  • Une vision harmonieuse et le sens de la justesse (accuracy)
  • La volonté de diffuser Confiance et Respect
  • Une vision positive
  • Le sens de l’innovation collective
  • Une vision ouverte globale et holistique

« Etre leader c’est aussi apprendre à ses collaborateurs - et il faut le faire avec eux – à marcher sur ce fil tendu entre l'ordre et le désordre. Il y a toujours cette bi-céphalité du chef d'entreprise.

D'un coté on a besoin d’ordre et que les choses soient ordonnées, calibrées, cadencées. Mais si on y met trop d'ordre, ça ne produit aucune créativité et si aucune créativité ne se produit, ça mourra. ….

De l'autre côté il y a le chef d'entreprise ouvert au désordre de la vie aux relations sympathiques et fortes. Mais en laissant une certaine anarchie s'installer, rien ne se produit car on a pas de cohérence.

C’est cet équilibre entre ces deux forces qui peut paraître par moment un peu précaire qui fait qu’à mon avis, une entreprise – au 21 siècle, peut trouver sa voie. »

Pour réussir cette alchimie, Thierry Marx crée d’abord un univers de confiance et de respect et pour cela il donne une importance majeure à l’écoute et à l’attention portée à l’épanouissement de ses collaborateurs, il en fait un mode de fonctionnement et veille à sa diffusion dans l’organisation en formant ses cadres: « Je considère que si un collaborateur ne trouve pas d’épanouissement dans sa vie personnelle, ça reviendra de toute façon dans le monde de l’entreprise... Ce que je crois, en essayant d’être leader au mieux, tous les jours, c’est de replacer l’humain au centre du débat ».

C’est également le sens de la place donnée à la vision positive dont il fait la promotion. En recherchant systématiquement en toute chose à faire émerger sa dimension positive et en luttant contre ce qu’il appelle « la dramaturgie de l’échec ». Thierry Marx se nourrit de ses réussites et avance avec ses échecs en positivant ce qu’ils lui apprennent et fait de même avec ses équipes : « Si on veut trouver une nouvelle façon de cuire, de nouvelles textures, ces échecs sont une source de connaissance nouvelle, de nombreuses portes qui s’ouvrent… ». Et il cite le poète et peintre Henri Michaux: « à chaque acte nouveau il y a une possibilité de réussite, à chaque acte nouveau (à chaque échec) une connaissance nouvelle…. ». Être positif est « une force et quand vous avez cette force ou quand vous avez réussi à acquérir cette force, on vous suit. Parce que on ne suit que les gens positifs, qui créent la confiance ; on ne suit pas les gens qui sont dans l’inquiétude, ou la non détermination(...) Ce n’est pas sur mes compétences que les gens s’appuient mais sur l’énergie positive que je met dans mes projets ».

Le sens de l’innovation collective est un autre pilier du modèle. Thierry Marx indique avec un charisme chaleureux : « il n’ya pas de conflit entre tradition et innovation et c’est ce que j’explique à mes collaborateurs : un plat traditionnel est un plat innovant qui a réussi. Il y a une énergie de l’innovation, sentir que dans cette maison l’innovation est omniprésente, que donc la réflexion est omniprésente, crée une énergie pour les collaborateurs qui est assez incroyable car nous n’avons exclu personne de la création. On estime que la créativité n’est pas réservée à une élite qui passerait son temps à penser. Donc nous impliquons tous les collaborateurs à devenir eux aussi des acteurs de la création. Et ça change tout. ». De fait, une fois par mois, chaque service organise un atelier auquel tous participent, y compris les jeunes commis dont les idées nourrissent les réflexions car « les pépites sont dans l’entreprise(...). Ici vous avez 400 personnes en moyenne de 15 ou 20 nationalités différentes, ce sont des gens qui ont des expériences de vie, des expériences extrêmement intéressantes, des mines d’or. Y compris le type qui nettoie la vaisselle ou les sols, qui a vécu ici ou là, au Mali ou tel endroit qui a acquis des connaissances que vous vous n’avez pas et ce sont des choses dont vous tirez profit… et lui s’épanouira dans l’entreprise ».

Le collectif, c’est aussi tous les jeudi, pour les cadres du Mandarin, un cours de Tai Chi en commun….

Il y a enfin cette approche globale et holistique. Pour Thierry Marx, la cuisine n’est pas seulement un acte nourricier. Il y a une dimension spirituelle, culturelle, de respect du produit et de « l’autre », une dimension de partage : « il y a cette relation à l’autre qui est importante. Le cuisinier par définition est quelqu’un de partageur, d’ouvert aux autres, plus il s’ouvre, plus il a cette capacité à échanger avec l’autre et cuisiner c’est toucher l’intimité de l’autre le cœur de l’autre le plus rapidement possible ». La cuisine est un véhicule de valeurs que Thierry Marx utilise dans tous les sens, d’un point de vue opérationnel, humain mais aussi managérial et social.

Car l’initiative « Cuisine mode d’emploi(s) » s’inscrit directement dans la ligne de cet aspect du partage et de l’impact positif sur l’environnement. Thierry Marx insiste sur la responsabilisation des stagiaires qui accèdent à ces formations : il est demandé une démarche d’engagement, de respect de la parole, de soi et des autres et une posture proactive où la dignité est confortée ou rétablie, par la prise en main de sa propre vie.

Motivations

Il y a chez Thierry Marx une incroyable richesse d’inspiration et de motivation.

Il y a la richesse récoltée lors de ses multiples expériences et ses voyages avec une inspiration culturelle asiatique très forte qui est venue conforter les enseignements d’une pratique sportive des arts martiaux à haut niveau, qui permet de se construire en tant qu’homme plus qu’en tant que combattant.

Il en tire d’abord ce sens de « l’homme accompli », inspiré du Samouraï Accompli et du personnage légendaire de Miyamoto Musashi : un combattant sorti de la logique du guerrier basique et qui tire de ses rencontres le goût d’apprendre, l’ouverture vers la culture et les arts, une vision holistique de l’homme et du monde.

Il en tire aussi une saine combativité, un sens du positif qui le maintient toujours debout et lui donne un charisme particulier. Dans ses expériences militaires et des voyages, un sens fort de l’engagement, de la responsabilité, du collectif, du respect, de la confiance et de la rencontre constructive.

Il y a une valeur forte de vérité, d’honnêteté, au sens où on ne se ment pas à soi même. Thierry Marx est porté par une grande authenticité quand il parle de ses valeurs d’égalité et de liberté

L'énergie qui m'a poussé tout au début n'est pas une énergie forcément très saine, forcément un peu revancharde. Nourrie par l’envie de sortir absolument de mon origine sociale… C'était très combatif… J'ai commencé à faire un peu social quand j'ai commencé à avoir un peu de notoriété et je me suis mis à redonner ce qu'on m'avait, à moi aussi donné. Et c'est à ce moment-là que j'ai trouvé un peu de recul. Mais le moteur qui me pousse le plus, c'est que tous, quelque soit l’origine sociale aient les mêmes chances …, mais je suis assez individualiste (quand j'ai voulu faire ma carrière) , et aussi assez combatif, et je le reste encore, mais je me suis rapidement dit: « il vaut mieux être les uns avec les autres, plutôt que les uns contre les autres ».

Donc d'essayer de remettre ça un petit peu en perspective. Donc c'était moteur, une énergie comme ça qui me pousse à dire : « il n'y a pas de raison, on sait qu'il y a des différence c’est vrai, mais il n'y a pas de raison d'être d' une extraction sociale différente de ne pas avoir les mêmes chances ».

En même temps, je veux éviter que ces personnes que je rencontre dans le domaine du social ne « prennent la posture de la victime», en leur disant : « arrêtez de croire aux grand discours et prenez votre vie en main ».

Il y a beaucoup de générosité qui en ressort et peut être une tendresse pour l’humain, mais aussi une saine curiosité, celle de l’explorateur, qui franchi les frontières avec la sagesse de l’homme accompli, et qui explique une grande partie de son action.

Impact

Le premier impact est celui lié au succès du Mandarin Oriental et du « Sur Mesure ». Bon nombre de clients viennent et y retournent parce que « c’est différent ».

Le second impact identifiable est celui de l’ambiance dans le restaurant et le bien-être palpable des personnes qui y travaillent et qui rejaillit sur les clients. La philosophie et le style du management ont un impact direct sur le produit. Quand les portes des cuisines s’ouvrent on n’entend rien, pas un cri. C’est une exception dans le métier.

Le troisième impact est celui du succès du programme de l’école de la deuxième chance « Cuisine mode d’Emploi(s) »: les élèves qui avaient des difficultés pour trouver un emploi ou pour se réinsérer, trouvent très vite un travail et certains s’installent et créent leur activité ou reprennent un restaurant. Succès également grâce à l’énergie créée : les initiatives s’enchaînent (boulangerie, restaurant d’application,…) mais également d’autres chefs et d’autres acteurs sont impliqués dans ces actions sociales.

Inspiration

Thierry Marx est une exception dans ce métier, par l’ouverture avec laquelle il entreprend.

Il est une source d’inspiration pour ceux qui entrent dans son restaurant ou qui le côtoient. L’homme et ses façons de faire et d’être m’ont interpellé dès que j’ai mis le pied dans son restaurant à Cordeillan Bages, il y a cinq ans.

En recherchant des candidats pour les interviews BAWB, il s’est imposé de manière évidente pour moi.

On ressort conforté d’un entretien avec Thierry Marx, sur l’impact personnel que l’on peut tirer de telles pratiques. Car le premier impact est sans doute sur lui et sur ce formidable capital confiance qu’il inspire.

Et quand vous lui demandez sa recette il vous dit : « c’est simple, d’abord être positif, ensuite je n’ai pas de plan B, je n’ai que des plans A ».

Ces paroles sont claires de sens, à ce stade d’accomplissement.....

Et je pourrais ajouter ces autres mots qui lui appartiennent: « car tant qu’on n’est pas mort, il n’y a pas d’alternative à la Vie ».