L’HOMME-FILLE (d'après Maupassant)
Nous entendons dire souvent :
Cet homme est charmant
Mais c’est une fille,
Une vraie fille.
Nous sommes tous des hommes-filles
C’est-à-dire fantasques, changeants,
Perfides innocemment,
Sans volonté, faibles comme des filles.
De tous les hommes-filles,
Le plus irritant
Est le Parisien, assurément.
Il a en lui tous les défauts des filles.
La Chambre des Députés en est peuplée.
Nos Représentants sont des opportunistes,
Et des sophistes
Qu’on pourrait appeler
Aimables charmeurs.
Ils promettent mais avec des vœux trompeurs.
Ils serrent les mains sans façon
Mais c’est pour gagner leur élection.
Ils disent : ‘’ Mon cher ami ’’
D’un air gentil
Aux gens qu’ils ne connaissent pas.
Ils rectifient leurs opinions sans compas.
Ils sont sûrs de leurs convictions
Mais peuvent en changer à toutes occasions.
Ils se laissent tromper même,
Comme ils trompent eux-mêmes.
Ils ne se souviennent plus le lendemain
De ce que la veille ils affirmaient, sereins.
Les journaux aussi sont pleins d’hommes-filles.
C’est là qu’on en trouve le plus
…Mais c’est là qu’on en a besoin le plus !
Tout journaliste doit être un peu fille :
Se montrer docile aux instructions
Du gouvernement,
Accompagner les nuances de l’opinion,
Se révéler divers et ondoyant,
Crédule et sceptique,
Enthousiaste et ironique,
Et toujours convaincre sans croire à rien.
Les Anglais tenaces et les lourds Allemands
Nous considèrent avec un étonnement
Mêlé de mépris. Ils nous disent futiles.
Ce n’est pas cela. Nous sommes des filles.
Voilà pourquoi
On nous aime malgré nos défauts,
Et pourquoi,
Aussitôt,
On revient à nous
Malgré le mal qu’on a dit de nous.
L’homme-fille est un causeur charmant.
Il capte votre esprit en un instant.
Son sourire vous semble adressé.
On peut penser
Qu’il ne parle qu’à votre intention
Tant sont aimables ses intonations.
On croit le connaître depuis vingt ans.
On accepte de lui prêter de l’argent.
Il vous a séduit comme une femme.
On se pâme !
Quand il admire quelque chose, il s’extasie
Avec des expressions tellement choisies
Qu’il vous jette à l’âme ses convictions.
Victor Hugo a fait son admiration.
Il le traite aujourd’hui de bedole.
Il a adoré Rivarol.
Il l’abandonne pour Barbey. (1)
Quand il aime, il n’admet
Aucune restriction.
Il vous soufflèterait pour une protestation.
Quand il se met à mépriser,
Il convient de ne pas s’y opposer.
L’autre jour, j’écoutais deux filles :
-« Alors tu es fâchée avec Myrtille ? »
-« Je te crois, je l’ai giflée. »
-« Qu’est-ce qu’elle t’avait fait ? »
-« Elle avait dit à Pauline que je battais
La dèche treize mois sur douze.
Et Pauline l’a redit à Jean Gouze.
Tu comprends ? »
-« Vous habitiez ensemble, rue Ferrand ? »
-« Non. Nous avons habité ensemble,
Voilà quatre ans, rue de l’Amble.
Puis nous nous sommes fâchées
Pour une paire de bas.
Que je lui aurais fauchée. »
-« C’était faux, n’est-ce pas ? »
-« Oui, je les avais achetés.
Alors, elle m’a quittée.
Je l’ai revue il y a six mois.
Elle voulait revenir habiter chez moi,
Vu qu’elle avait été virée par sa logeuse. »
…Je passe. La suite est vaseuse.
Le dimanche suivant,
J’allais en train à Médan.
Deux femmes sont montées
Dans mon compartiment.
Je les ai reconnues immédiatement.
Ce ne furent que projets,
Caresses,
Mamours partagés
Et tendresses.
-« Dis donc, Myrtille… »
-« Écoute, Myrtille… »
L’homme-fille a des amitiés similaires.
Il ne quittera jamais son vieux Gilbert
Lui seul a du bon sens,
De l’esprit, du talent.
Lui seul est quelqu’un dans Paris.
Ils dinent ensemble,
On les rencontre partout ensemble.
Ils vont ensemble dans les boites de nuit.
Trois mois plus tard, si on lui parle de Gilbert :
-« En voilà une crapule, un pervers.
J’ai appris à le connaître, allez !
Pas même honnête et si mal élevé… »
Trois mois après,
Ils logent tous deux rue du Marais ;
Mais un matin, on apprend
Qu’ils se sont battus, puis réconciliés,
Et, en pleurant, se sont embrassés,
Les relations avec les hommes-filles
Sont incertaines, fébriles.
Leurs humeurs sont à surprise.
Un jour, ils vous chérissent ;
Le lendemain, ils vous regardent à peine.
Parce qu’ils ont une nature de fille,
Un charme de fille,
Un tempérament de fille.
Leurs sentiments semblent ceux des filles.
Quelle étrange comédie
Aussi
Que les tendresses d’une fille
Envers un homme-fille.
Elle le griffe. Il la bat.
Ils ne peuvent se sentir, mais ne se quittent pas.
Ils se lancent des injures. Bah !
Ils vont bientôt se tomber dans les bras.
L’homme-fille est brave, imprudent
Et lâche en même temps.
(1)Barbey d’Aurevilly, écrivain qui méprisait le caractère bourgeois de son siècle.