Les garçons et Guillaume à table! est le premier film réalisé par l’acteur et sociétaire de la Comédie-Française Guillaume Gallienne et est en salles au Québec depuis le 14 mars. Cette comédie autobiographique met en scène Guillaume, un adolescent qui a toujours vécu sous la férule d’une mère qui l’obsède (les deux rôles sont interprétés par Gallienne). Sa fascination pour les femmes encourage ses proches à le traiter comme s’il était homosexuel alors que ses « compagnons » de classe ne se gênent pas pour l’humilier en raison de cette différence. Dès lors s’amorcera un périple autant intérieur qu’extérieur pour un jeune homme à la recherche de repères et surtout d’une identité. Adaptation de la pièce de théâtre éponyme et récipiendaire de plusieurs Césars en 2014 dont ceux du meilleur acteur, du meilleur film et de la meilleure adaptation, Les garçons et Guillaume à table! offre un regard intéressant sur le concept de genres et sur une société qui carbure aux étiquettes. Le talent de Gallienne est indéniable, mais on se demande si au nom de la comédie, on n’est pas tombé un peu trop vite dans les clichés. Quant à la fin, elle est amenée de façon un peu brouillonne et ne nous convainc qu’à moitié.
Et Guillaume…
Guillaume est le mouton noir (ou rose) de la famille. Il a deux frères plus âgés, beaux, déterminés et sportifs qui font la fierté de leur père. Ceux-ci le tiennent bien évidemment à l’écart. Le seul modèle qui lui reste est sa mère, une femme à la fois pimbêche et distante, mais avec une certaine grâce. Comme le dit le titre, elle le considère comme un être à part, mais sans pour autant manifester plus d’affection à son égard. Conscient qu’il doit ouvrir ses horizons, Guillaume émet le désir de voyager et son périple commence en Espagne. Censé apprendre la langue, il s’intéresse davantage au flamenco. Quand il va faire des études en Angleterre, il s’initie à la nage, l’équitation, le rugby et l’aviron; tous des sports qu’il déteste. Plus tard, il va en Bavière afin de faire une cure dans un spa, mais au lieu de revenir détendu, il est tout crispé en raison des massages chocs qui lui ont été administrés. Bref, ces voyages sont des échecs tant que le but était de faire de lui un homme. Les gens qu’il a côtoyés dans ces pays d’Europe se sont moqués de lui et il est reparti avec l’étiquette de « pédale ». En France avec sa famille, il a plusieurs tête-à-tête avec ses tantes et sa grand-mère qui lui vantent San Francisco où voilent à peine leurs propos sur une homosexualité que Guillaume n’assume pas encore. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Il sort dans les bars et croit plus d’une fois être prêt à passer à l’acte, mais n’y arrive jamais. C’est que tout jeune, il se considère comme étant une fille. À l’adolescence, il essaie d’imiter les femmes et s’amuse à interpréter des rôles féminins lorsqu’il est seul. Et alors qu’il ne s’y attend pas, tout devient clair : lors d’une soirée avec des amies, il rencontre Amandine (Clémence Thioly) et tombe amoureux. Cette révélation, Guillaume décide de la transposer au théâtre et sa première spectatrice est bien entendu sa mère.
L’identité façonnée par la société
La force de Les garçons et Guillaume à table! est que les sujets du coming out et de l’identité sexuelle sont abordés sous le thème de l’humour. Guillaume dans le film est extrêmement efféminé. D’une part, il imite sa mère à la perfection, il adore le flamenco, mais seulement s’il exécute les pas de danse attribués aux partenaires féminins et il se déguise souvent en femme (la scène où il incarne à la fois l’impératrice Sissi et l’archiduchesse Sophie est hilarante d’autant plus que l’acteur est très convaincant). D’autre part, il déteste tous les sports et a une peur bleue de se faire enrôler dans l’armée. De ces caractéristiques, on conclut qu’il est inévitablement homosexuel. C’est donc affirmer que tous ceux-ci sont des travestis et que tous les hétérosexuels aiment le sport. La société est faite de codes imprégnés dans notre subconscient et il est difficile de s’en détacher. À un moment, Guillaume va consulter un psychiatre et ce dernier émet un diagnostic qui va en ce sens : il lui dit qu’il s’écoute beaucoup trop et qu’il se fait du cinéma. Qu’on le veuille ou non, ce média est le véhicule par excellence de l’image et tout au cours de son histoire il a contribué à la propagation de certains clichés (femme fatale, cowboy, etc.). On retrouve cette mise en abîme dans le film qui débute avec Guillaume qui est sur une scène de théâtre alors qu’il récite dans un monologue l’histoire de sa vie. Cette narration se poursuit durant tout le long métrage et trouve son apogée à la fin alors que cet acteur qui nous parle de sa vraie vie et reçoit une ovation. De mélanger ainsi la fiction à la fois cinématographique et théâtrale à la réalité (il s’agit de la biographie de Gallienne), vient justement renforcer ces idées préconçues de genre en grande partie créées ou du moins propagées par les médias. La preuve dans le film; Guillaume se force à désirer des hommes et va dans des bars gais seulement parce que selon les normes, il a tout d’un homosexuel. L’humour dans le film exploite à fond toutes ces thématiques et les quiproquos qu’engendrent ces idées préconçues nous font justement réaliser le ridicule de celles-ci.
Par contre, la comédie est une arme à double tranchant. Si de façon légère elle livre un message efficace tout en rassemblant un plus large auditoire, elle est presque contrainte de s’appuyer sur des clichés pour y parvenir et c’est ce qui se passe dans Les garçons et Guillaume à table! Par exemple, à deux reprises, Guillaume rencontre des hommes dans des bars gais. Si ceux-ci ne sont pas pour autant efféminés, seul le sexe les intéresse. Bref, ils n’ont aucune profondeur. Un autre aspect qui vient plomber lui-même le discours du film est la rencontre de Guillaume avec Amandine. C’est le coup de foudre instantané alors qu’ils ne se sont même pas encore parlé. Comme l’écrit Julien Kojfer dans son article : «Face à un univers gay dépeint comme le septième cercle de l’enfer (…) la femme révélatrice de l’hétérosexualité est filmée comme un ange salvateur qui vient libérer notre héros de ses abjects tourments. » La scène où ils font connaissance ne comporte pas de dialogue, seulement de la musique et de cette rencontre, tout est clair; il est hétérosexuel. Quelques questions se posent, notamment sur ses désirs sexuels? Ne savait-il pas seulement pas les fantasmes de cet ordre qu’il préférait les femmes? On aurait pu rajouter dans ce film déjà court (moins de 90 minutes) quelques scènes supplémentaires pour du moins nous convaincre de cette conviction acquise sur le tard par le protagoniste. En évitant d’entrer dans les détails, ce long métrage perd quelque peu en crédibilité.
Les garçons et Guillaume à table!, malgré ses défauts reste tout de même un gage de divertissement et le film défile devant nos yeux en un clin d’œil. Succès critique, mais succès public aussi puisqu’à sa sortie en France, il a attiré plus de 2,5 millions de spectateurs et qu’après ses « gains » aux César, Gaumont, le producteur, a décidé de rediffuser le long métrage pour une seconde fois sur 200 écrans. Souhaitons-lui le même succès outre-mer!