Quel a été le rôle des femmes tunisiennes dans la révolution ? Ont-elles vues leur sort amélioré après la révolution ? Immergé plusieurs mois en Tunisie, Alison Pelotier, journaliste indépendante a rencontré des membres actives d’ennahad, analyse le code personnel de la femme en Tunisie, raconte le parcours de sanah gehmina, chef d’entreprise, le quotidien des arracheuses d’alfa à Kasserine. Reportage à retrouver en intégralité en bas de page.
Comment avez vous vécu votre immersion, comme jeune femme, journaliste, occidentale, militante de l’égalité hommes/femmes s’intéressant à des femmes prises entre « libertés promises et menaces régulières »? Avez-vous pu dépasser vos stéréotypes?
Alison Pelotier : Je ne suis pas spécialement arrivée en Tunisie avec des idées reçues mais avec beaucoup d’interrogations. L’objectif de mon projet était justement de m’éloigner des préjugés que l’on peut entendre à droite et à gauche sur la femme maghrébine en rencontrant un maximum de personnes possible. Avant de partir je m’étais renseignée sur l’Histoire de ce pays surtout en ce qui concerne les droits des femmes. Sur place j’ai compris à quel point le Code du Statut personnel mis en place par le président Habib Bourguiba en 1956 est extrêmement important pour l’avancée des droits de Tunisiennes. Avec mon regard de jeune femme occidentale, je ne dirais pas féministe mais tout simplement pour l’égalité des droits entre les deux sexes, je me suis nourrie de rencontres. Hommes, femmes, jeunes, anciens, politiciens, avocats, militants, bénévoles. Tous m’ont donné des éléments pour comprendre les différentes conditions féminines dans le pays mais m’ont aussi fait prendre conscience de la réalité politique et sociale de la Tunisie. Il faut savoir que les femmes de la capitale et les femmes du Centre-Sud du Pays n’ont absolument pas les mêmes droits, non pas sur le papier mais tout simplement dans la réalité. Les femmes habitants à la campagne ne connaissent même pas le code du statut personnel qui est censé les protéger tout autant que les femmes qui habitent les villes les plus modernes. Elles travaillent souvent sans voir la couleur de leur argent.
Sur place j’ai compris à quel point le Code du Statut personnel mis en place par le président Habib Bourguiba en 1956 est extrêmement important pour l’avancée des droits de Tunisiennes.
Femmes des villes/femmes des campagnes : n’y a t-il pas sinon deux statuts personnels au moins deux manières de les vivre?
Alison Pelotier :Oui. Comme je vous le disais, les femmes de la capitale et des villes les plus importantes économiquement parlant ne peuvent absolument pas être comparées aux femmes de campagne que j’ai rencontrées lors d’un reportage sur les « arracheuses d’alfa ». Je me trouvais à Kasserine, une ville de 75 mille habitants située au centre-ouest de la Tunisie. Ici, les femmes sont à l’origine de l’économie de la ville. Elles arrachent l’alfa, une plante à partir de laquelle on produit essentiellement du papier et qui représente la source de vie de plus de 10000 paysans de Kasserine.
Pour leur travail elles ne bénéficient de presque aucun revenu car c’est systématiquement le chef de famille qui récupère l’argent à un point de récolte: cet homme décidera de payer ou pas les femmes de sa famille et de partager l’argent de façon équitable.
Plus d’info ici: http://apelotier.files.wordpress.com/2013/05/les-arracheuses-dalfa.pdf
Les Tunisienne sont-elles victimes de violences ?
Alison Pelotier :Je n’aime pas faire de généralité mais en effet en Tunisie en parle beaucoup de violence conjugales. Il y a deux ans une étude nationale autours de la violence envers les femmes a été menée par la délégation régionale de la famille et de la population de Sousse. Cette étude réalisée dans le cadre du programme national sur l’égalité entre les deux sexes et la prévention de la violence envers la femme est basée sur un échantillon représentant la société tunisienne et composé de 4200 familles. Elle révèle que 47,6% des femmes interrogées ont déclaré qu’elles ont été victimes de différentes sortes de violence, au moins une fois, dans leur vie, alors que 32,9% ont subi des violences, au cours des douze derniers mois. L’étude révèle aussi, que le taux de propagation de la violence, dans le sud-ouest du pays, est plus élevé avec 72,2% en comparaison avec le centre ouest qui enregistre le taux le plus bas, avec 35,9%.
Elle explique, d’autre part, que la violence contre la femme est exercée, la plupart du temps, en milieu conjugal, notamment pour les femmes divorcées. 45% des femmes mariées ont déclaré que la violence leur a laissé des séquelles et des retombées négatives, sur le plan physique, psychologique et social, 50% d’entre elles ont affirmé qu’elles ont quitté le logement conjugal et 17,8% ont eu recours à la justice. Par ailleurs, 42% des femmes mariées ont souligné qu’elles n’ont parlé à personne, auparavant, des violences qu’elles avaient subies, alors que 55% considèrent que la violence dont elles sont victimes est une chose normale et qui n’en mérite d’en parler, et que la famille est le seul refuge.
On dit parfois que ce sont les grands mères russes qui ont fait tomber le régime communiste. Les femmes avaient elles un intérêt à la Révolution?
Alison Pelotier :Bien sûr, si elles n’avaient pas estimé avoir un intérêt dans cette révolution, elles ne seraient pas descendues dans la rue pour manifester. Mais si elles ont manifesté c’est avant tout parce qu’elles font partie intégrante de la société. Elles ont pris part à la révolution pour libérer leur pays de la dictature Ben Ali ; la défense de leur droits n’est venue que dans un deuxième temps, lorsqu’elles ont réellement commencé à se sentir menacées par l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahdha. Lorsqu’elles manifestaient Avenue Bourguiba, dans la capitale mais aussi ailleurs en Tunisie, les femmes ne pouvaient pas savoir si elles auraient obtenu plus de droits après la révolution mais elles ont tout fait pour essayer de préserver ceux qu’elles avaient déjà obtenus auparavant. Il était hors de question pour elles, de renoncer à ce texte (le code du statut personnel) dont elles sont pour le plupart extrêmement reconnaissantes, même si les plus progressistes aimeraient le voir davantage évoluer.
Le cas Amina. Est-elle isolée ? Son discours est-il simple éphiphénonène ou est-il relayé et approfondi?
Alison Pelotier :Oui, l’on peut dire que le cas Amina est isolé car en Tunisie pas plus de quinze femmes étaient décidé à rejoindre le mouvement féministe mais n’ont jamais accompagné Amina dans ses actions. Aujourd’hui Amina a déjà été oubliée. Sa médiatisation a duré le temps de la polémique surtout véhiculée par les médias occidentaux. Lorsque l’on a commencé à parler d’elle dans les médias tunisiens et étrangers, les Femen étaient extrêmement médiatisées suite à leur action sein nus devant l’embrassade de Tunisie en France. Le discours d’Amina est celui d’une jeune femme probablement frustrée de ne pas pouvoir vivre libre dans un pays où la religion musulmane lui impose de rester discrète et effacée au côté de l’homme. Le combat d’Amina, quoi qu’il soit naïf et rebelle est, selon moi, celui d’une jeune femme qui se cherche et qui suit le mouvement qui lui paraît être le plus progressistes, sans forcément respecter ses valeurs et ses traditions. Elle s’en est d’ailleurs rendu compte lorsque les Femen ont mené une action choc devant le Grande Mosquée de Paris en brûlant le drapeau Tawhid (dogme fondamental de l’Islam souvent associé au salafisme). Elle a par la suite décidé de se désolidariser du mouvement les accusant d’islamophobie tout en affirmant vouloir continuer son combat « autrement ».
A quelles sources avez-vous eu accès? Quelles ont été vos difficultés?
Alison Pelotier :Travaillant dans une rédaction bien implantée à Tunis j’ai eu accès à énormément de contacts. Les difficultés n’a absolument pas été la prise de contact avec mes interlocuteurs mais l’exercice de ma profession face à la langue de bois particulièrement bien gérée par les députés du parti islamiste qui profitent des journalistes étrangers pour faire passer des messages pseudo-démocrates. La difficulté a été de prouver ma connaissance de la politique tunisienne en posant les bonnes questions aux politiques au moment où la nouvelle Constitution tunisienne était sur le point d’être finalisée. Je me rappelle en particulier de l’interview de la députée islamiste Farida Labidi employant des termes extrêmement vagues et superflus pour décrire les droits des femmes dans la Constitution. J’ai immédiatement remarqué leur habilité de communication, me retournant mes propres questions pour ne pas y répondre. IVG et contraceptions autorisées. Mais quelles pratiques?
Alison Pelotier :L’IVG et les contraceptions sont autorisée en Tunisie mais les pratiques sont strictement liées aux moeurs de chaque famille. J’ai rencontré des gynécologues et des sages-femmes qui ont pour la plupart tenu un discours très clair: « Il faut respecter la volonté de la femme ». Néanmoins, après la révolution et avec l’arrivée des islamistes au pouvoir, le personnel médical s’est renouvelé surtout dans les hôpitaux public. Certains médecins ont observé un changement radical des mentalités et dénoncé une prise en charge anti-professonnielle vis-à-vis de femmes souhaitant avorté. Selon des sources que je tiens à protéger, les médecins les plus radicaux mentiraient sur les délais de prise en charge, empêchant ainsi un possible avortement. D’autres se refuseraient de pratiquer tout simplement l’IVG, soi-disant non étique et conforme à la religion musulmane.
Le combat d’Amina est, selon moi, celui d’une jeune femme qui se cherche et qui suit le mouvement qui lui paraît être le plus progressistes. Lorsque les Femen ont mené une action choc devant le Grande Mosquée de Paris en brûlant le drapeau Tawhid (dogme fondamental de l’Islam souvent associé au salafisme), elle a décidé de se désolidariser du mouvement les accusant d’islamophobie.
La question du voile suffit-elle à résumer cette transition ? Quelles autres marqueurs?
Alison Pelotier :Non,elle ne suffit clairement pas même si elle est symptomatique. ll y a tellement de voiles et tellement des façons de le porter différentes que cela serait réducteur de dire que la transition démocratique pour les femmes passerait uniquement par le voile. Depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir il y a eu en effet une légère augmentation du port du voile dans la société, pour la plupart dans les administrations publiques. Dans la société en général, le port du voile est vécu différemment selon l’éducation donnée par chaque famille. Les femmes croyantes de confession maghrébine modérée portent le voile de leur propre grée mais ce n’est pas le cas de celles qui vivent isolées dans le patriarcat pur et dur. Ici, l’on parle de « préconisation de porter de voile » pour ne pas employer le mot « obligation » mais en regardant la réalité en face les femmes n’ont pas d’autres choix que de se plier non seulement à la volonté du mari mais aussi à celle de la famille. Néanmoins l’on ne peut pas parler de transition démocratique sans mesurer la place de la femme dans le monde du travail. Actuellement, les femmes connaissent un taux de chômage record de 28,2% contre un taux de 15,4% pour les hommes selon une étude élaborée par la Coopération technique Allemande (GTZ). Les résultats font ressortir que le taux d’activité féminin est de seulement 24,9% contre 70,1% pour les hommes. Néanmoins les points positifs émergent également. Côté politique, la nouvelle Constitution a introduit pour la première fois dans le monde arabe un objectif de parité hommes-femmes dans les assemblée élus. Il faut espérer que cet objectif soit porté jusqu’au bout pour que ce marqueur si important prenne tout son sens.
Selon des sources que je tiens à protéger, les médecins les plus radicaux mentiraient sur les délais de prise en charge, empêchant ainsi un possible avortement. D’autres se refuseraient de pratiquer tout simplement l’IVG, soi-disant non étique et conforme à la religion musulmane.
Quelles avancées pour l’égalité hommes-femmes dans la nouvelle Constitution?
Alison Pelotier :Lorsque j’étais en Tunisie, un an et demi après la révolution, la Constitution tunisienne était toujours en train d’être discutée sur les bancs de l’Assemblée Constituante. La question de l’égalité des droits hommes-femmes étaient très attendues de la société civile. Le 26 janvier la nouvelle Constitution a été votée à une majorité écrasante (200 voix pour, 12 contre, 4 abstentions). Même si l’article 1 reconnaît la place de l’Islam comme religion de la Tunisie, la loi islamique (châaria) n’est pas mentionnée comme source de droit, comme le voulaient initialement les islamistes. Une des grandes avancée dans cette nouvelle Constitution est la reconnaissance de la liberté de « croyance et de conscience » (art. 6). Un pas en avant pour toutes ces femmes qui ne veulent plus que leur droits reposent uniquement sur les valeurs de l’Islam. Dans cette nouvelle Constitution la Tunisie s’engage un peu plus pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Dans son article 34, la Constitution oblige par exemple l’Etat à garantir la représentativité des femmes dans les assemblées élues. En effet, l’article 40 affirme que « tout citoyen et toute citoyenne ont le droit au travail dans des conditions décentes et à salaire équitable ». L’article 46, lui, est consacré plus particulièrement aux droits des femmes, et inscrit dans la Constitution la protection des acquis de la femme, le principe de parité et la lutte contre les violences faites aux femmes. La femme est donc citoyenne dans son libre droit pour la première fois de l’histoire tunisienne. Lien Constitution en français: http://www.marsad.tn/fr/constitution/5/article/
Selon vous, les femmes tunisiennes peuvent-elles être prises en modèle pour tous les autres printemps arabes?
Credit Photo Alison Pelotier
Alison Pelotier :Oui, absolument. Elles ont participé aux même titre que les hommes à la révolution du 14 janvier 2010 et bien plus que ça, elles ont continué à se battre pour que leur présence ne se limite pas uniquement à la mobilisation qui a causé la chute du régime et le départ de Ben Ali. Les femmes que l’on a vues à la télévision ont continué à manifester, à s’investir dans le syndicalisme, notamment au sein de l’UGTT, la force syndicale de référence en Tunisie, pour mutualiser leurs forces dans tous les domaines: culturel, médical, éducatif, politique, entrepreunarial. Elles n’ont rien lâché et continuent aujourd’hui encore à se mobiliser si elles l’estiment nécessaire. Malheureusement tous les printemps arabes ne se sont pas terminés de la même manière. La Tunisie fait finalement partie de ces pays qui s’en sont le mieux sortis mais le moins qu’on puisse c’est que la société civile continue à se donner les moyens de rivaliser le pouvoir en place à travers une mobilisation importante et des lobbying persistants.